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Dans le cadre de la manifestation « Rendez-vous aux jardins »

J’ai animé samedi 3 juin 2017, de 10h30 à 13h30, un atelier d’écriture itinérant dans les jardins du Grand Palais, à l’occasion des ateliers Jardins sens dessus dessous, mis en place dans le cadre de la manifestation « Rendez-vous aux jardins » en résonance avec l’exposition Jardins au Grand Palais.

Au cœur de la thématique Jardins le numérique renouvelle les formes d’écriture et de fictions. Contraction de Twitter et de littérature, l’atelier twittérature permet d’utiliser le réseau social à des fins de création littéraire et photographique.

Atelier twitter sur le thème du jardin

Paysage, et toutes les images qui font jour, les images de paysages, toutes les peintures, les photographies, les films, les cartes postales, les plans, les mappemondes, ces objets qui donnent parfois l’impression que le paysage est une image. Mais le paysage se traverse, on l’habite, on le fabrique sans cesse, avec des projets volontaires, modestes ou ambitieux, avec sa fréquentation, ou encore son abandon. Il contient sa propre dynamique, ses poussées, ses inclinations, ses chutes, parfois au ralenti, toujours en mouvement. Il faut marcher, parcourir, faire des écarts pour saisir le paysage. C’est une question de croisées, de trajectoires et d’histoires, de lieux d’interrogation et de moments d’expérience, espaces de construction de la connaissance autant que moments singuliers d’une vie où s’éprouve l’altérité de l’espace. Comprendre l’histoire dont il est issu - une forme d’invention sans cesse renouvelée pour le décrire, la complexité du paysage, en faire jouer, bien plus que les facettes, les superpositions, les chevauchements, les sédimentations et les mélanges. Je consulte une carte, non pas pour me guider en chemin mais afin de rendre visible mais aussi lisible ce qui autrement resterait inaperçu ou simplement chaotique. Toute carte instaure un monde autant qu’elle le révèle. Je me laisse aller à la rêverie ou à l’exploration alors même qu’elle revêt les apparences les plus austères de la « science ». Dans la marche l’espace s’écrit, se dessine et se décrit dans les croisements du corps et du temps, de l’expérience et du mouvement. Dans mes voyages ou dans les rues de mon quartier.

Photographie de l’atelier par Marie-Hélène Fabre

Comment décrire le paysage où l’on se trouve ? Qu’est-ce que l’on voit quand on décrit ce que l’on a sous les yeux ? Si l’on ferme les yeux qu’est-ce qu’on entend qu’on ne voyait pas ? Qu’est-ce qu’on découvre ? Qu’est-ce qu’on invente ? Une écriture sonore et visuelle de l’espace perçu mais aussi de l’espace mental, intérieur : le paysage de notre perception, nos sensations. Tension vers la poésie, s’enfoncer dans le paysage, avec des textes courts, passerelles entre peinture et promenade, photographie et souvenirs. Sensations sur le temps qui passe, le travail des jours et des nuits, la marche dans la ville, dans ses jardins, la création, la pensée. Le lieu et le lien qui nous y unit, dans le temps et dans l’espace.

Vidéo de l’atelier :



Voici les propositions d’écriture utilisées par les participants de l’atelier :

Proposition d’écriture : Georges Perec

En octobre 1974, Georges Perec s’est installé pendant trois jours consécutifs place Saint-Sulpice à Paris. À différents moments de la journée, il a noté ce qu’il voyait, les événements ordinaires de la rue, les gens, véhicules, animaux, nuages et le passage du temps. Des listes. Les faits insignifiants de la vie quotidienne. Rien, ou presque rien. Mais un regard, une perception humaine, unique, vibrante, impressionniste, variable, comme celle de Monet devant la cathédrale de Rouen.
Pour décrire la ville, suivre l’exemple de Perec, dans son livre Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, en s’asseyant à la terrasse d’un café. Pour les participants à l’atelier, ce sera autour des jardins du Grand Palais (les plus courageux pourraient aller jusqu’aux Tuileries) :

Décrire la ville en l’abordant en mouvement. Deux approches, que vous pouvez cumuler bien entendu, pour aller dans cette direction :

Proposition d’écriture : Guillaume Fayard

Dans le mouvement déambulatoire de la marche, essayez de décrire ce que l’on voit, ce que l’on perçoit, le flot des passants, la foule des mots courant sous le flux des images, la ville défilant sous nos yeux par à-coups, brusques déplacements en fragments décousus, dans ce décor discontinu, une suite d’émotions, d’échos fugitifs, et de corps fuyants. Et dans cette avancée, ce que l’on sait d’avance, saisis d’office, dans un même temps ce que l’on ressent, pensées et situations parallèles, ce qui me regarde en paysages simultanés. Pour cela nous nous inspirerons de l’exemple du texte de Guillaume Fayard, Sombre les détails, Le Quartanier, 2005.

Ce que l’on voit, ce que l’on perçoit en marchant, dans ce mouvement ambulatoire, cette déambulation parole errante, dire le flot des passants, les mots courant sous le flux des images, la ville défile sous nos yeux par à-coups, brusques déplacements en fragments décousus, dans ce décor citadin si discontinu, petits bouts par petits bouts, c’est un détail, à partir de là une suite d’émotions, d’échos fugitifs, et de corps fuyants, une partie seulement, déjà un peu plus loin. On avance. Et dans cette avancée, ce que l’on sait d’avance, saisis d’office, dans un même temps, toujours un peu difficile de savoir ce que l’on ressent au juste, au fond, à l’intérieur tout va plus vite, pensées et situations parallèles, travelling avant et flash-back, silence on tourne, et toujours ce qui me regarde en paysages simultanés.

Proposition d’écriture : Michaël Batalla

On ne trouve pas un paysage, car il ne préexiste pas à la vue, à celui qui va en déplier les espaces, les angles. On peut seulement le regarder, l’élaborer, l’incarner, en creuser les traits, en déplier les espaces et les figures, à partir d’une expérience de pensée. Sur le mode de l’évocation, écrire le paysage. Le texte interroge les relations de domination et d’émerveillement que nous pouvons entretenir avec les paysages qui nous entourent.

paysages maintenant, Michaël Batalla, Éditions Jean-Michel Place, Collection Passage Vérité, 2007.

Présentation du texte :

Michaël Batalla s’explique lui-même de son projet, au début du livre : « J’ai entrepris un travail systématique d’observation des paysages qu’il m’est donné de découvrir au gré de mes déplacements et ce travail d’observation m’a conduit à l’écriture d’une série poétique intitulée paysages maintenant. Ajoutant « j’aurais sans doute pu être un peintre de motif ».

Voici donc une série de poèmes dont le « sujet » est le paysage, descriptions objectives certes mais qui comme le souligne Michel Collot dans sa postface (se souvenir ici que Michel Collot a écrit un essai réputé, Paysage et Poésie, en 2005 chez Corti), sont faits du point de vue d’un sujet à la subjectivité irréductible et fondamentale. Et si « leur énoncé tend à éliminer toute trace de lyrisme, ils n’en reposent pas moins sur une énonciation de type lyrique, expression d’un je-ici-maintenant. »

Extrait :

« en premier lieu il y a cette ligne qui existe à peine l’horizon est une idée là entre le ciel et la terre entre le ciel et le sol entre le ciel et la découpe du sol la forme du sol mêlée à la forme du ciel cette relation cette rencontre cet empilement presque

il y a ce tracé
comme un fil jeté
une fonction spéciale sans formule
le rappel des forces qui organisent le paysage
une ligne pour la pensée qui compose le paysage
je compose avec la pluie le vent
avec la force d’élévation des arbres
la capacité qu’a une pierre de soutenir une autre pierre
la lumière rasante et l’écrasant de la lumière haute
avec la cohésion des sols

Proposition d’écriture : Michel Butor

Dans Mille et un plis, Matière de rêves 5, Michel Butor a écrit un très beau texte intitulé sur les nuages dont le voici un extrait :

1)
Traces de dinosaures dans la boue le long des fleuves de laves parmi les cendres de sigillaires dévastées par la tornade, nuages.

2)
L’horizon fait le gros dos comme un fauve tandis que les troupeaux dévalent parmi les haies dans les chemins creux mouchetés de touffes de laine, nuages.

3)
Village de ruches parmi les ombelles au creux de la carrière abandonnée entre les tas de bûches qu’enlacent ronces, clématites et viornes au bord des tourbières, nuages.

4)
Arène avec foule en chemises claires, chapeaux gris et noirs, éventails, mantilles, garçons passant plateaux de limonades et glaces, envols d’écharpes, fumées de cigares, nuages.

Proposition d’écriture : Jacques Jouet

Un monostique paysager est un poème d’un seul vers d’une vingtaine de mots composé sur le motif.

Le 24 juin 2012, Rentilly

0 h 26 (de mémoire)

l’orangerie devant quoi je tourne sur moi-même pour prénommer à voix haute la totalité de ma population charolaise

2 h 45 (de mémoire)

le cèdre frênétique, dont il est chanté l’hommage selon Louis et synoptiquement selon Marc, nous contient tous et tous

4 h 26 (de mémoire)

le tipi selon Daniel est un four à ciel ouvert, celui-là même qui s’est clarifié sous la voûtaison haute, l’attente cuit

5 h 41 (de mémoire)

entre l’arbre penché, un sapin, et les quatre hêtres pourpres qui ne font qu’un je le relève le mot « confiture » dans le ciel

Le 27 juin 2012, Rentilly

10 h 32
cinq hommes installent des panneaux tests, j’imagine, à l’angle du château, les futurs reflets se préparent à l’avance

10 h 40

le carré de feu qui fut arrosé se souvient de la braise de dimanche matin, charbon de bois transformation eau à la bouche

Le 29 juin 2012, Rentilly

12 h
sur l’herbe au ras de l’herbe les pieds dans, du jambon du gigondas du melon et de l’herbe, des arbres des arbres des

Proposition d’écriture : Raymond Bozier

Un paysage en ville, une sensation de torpeur à la campagne, le vent dans les feuilles des arbres, une excursion, des odeurs, des couleurs, ou ce que l’on ressent la nuit quand on marche dans les rues d’une ville au goudron encore tiède : un « instantané désordre » qu’il faut ensuite organiser en un texte très bref (proche des haïku).

Bord de mer, Raymond Bozier, Flammarion, 1998.

Présentation du texte :

Le recueil Bords de mer est composé d’une série de textes brefs, sortes d’instantanés poétiques où l’auteur cadre avant de les fixer sur le papier d’infimes paysages, choses vues ou projections privées, qu’il étudie ensuite comme sur une planche contact, avant de sélectionner ceux qui lui semblent porteurs d’un arrière-plan significatifs, d’un écho critique à la réalité qu’ils décrivent, ceux seuls capables d’isoler et de restituer les fragments du monde dans sa tension et sa rigueur.

Extrait :

« 4 mai quand il ne reste de l’amour que les formes impalpables du souvenir le corps guetté par la pourriture enfante des rêves couleur chair 24 juillet il a plu loin des persiennes sur les arbres et les voitures comme de l’eau brûlante tout au long de l’avenue l’ombre s’évapore (nous sommes aveugles quoi qu’il y paraisse)

31 juillet

et une odeur de goudron chaud la nuit pénètre après la pluie dans l’océan et je ne vois rien d’autre que l’ombre des visages dans les vitrines les yeux qui pleurent » Bord de mer, Raymond Bozier, Flammarion, 1998, pp-31-35.

Proposition d’écriture : Joachim Séné

Raconter l’homme, la femme, leur amour, le moindre événement au quotidien, cette vie ordinaire, en utilisant un ensemble de mots uniques, sans les répéter une seule fois.

Hapax, Joachim Séné, Publie.net, 2008.

Présentation du texte :

Avec Hapax, Joachim Séné a écrit un texte bref constitué d’exactement 971 mots, tous uniques. En effet, et c’est bien le sens du titre de cet ouvrage, un hapax est un mot dont on n’a pu relever qu’un exemple dans un corpus donné. Ni adverbe, ni auxiliaire ni article répétés. Hapax est donc un texte à contrainte qui raconte une vie marquée d’événements toujours différents, une vie qu’on qualifie d’ordinaire, mais unique. Petit clin d’œil vers Les choses de Georges Perec, bien évidemment. Écriture à contrainte avec pour intention, comme le rappelle François Bon dans sa présentation du texte sur Publie.net, de « casser le visible ou le proche pour en extorquer une représentation inédite. »

Extrait :

« Raconter l’homme, la femme. Leur amour. Visage. Bloc marbré en barbe. Habits droits tels piliers. Colonnes. Couleurs ternes. Gris. Beige. Yeux brillants, regard arrondi selon mouvements doux, lisse fard, ainsi bouclier tendre préhensible. Eux. Ensemble. Bancs université, échangent cours, mémoires, aperçus. Soirée étudiants, chambre neuf mètres carrés, pizza, chips, bière, sèchent mathématiques, apprennent polycopiés. Sorties cinéma, patinoire, piscine. Boulots : caissière, vendeur. Déménagement, alliance. Géniteurs payent noces hispaniques, circuit Castillan : Burgos, Valladolid, Segovia, Toledo, Madrid. Feria plaza Puerto Del Sol : gaspacho, taureau grillé, embutidos. Bal public : mujer décolletée, jupe plissée effrontée, chair sueur paume glissant cuisses avancées, lèvres… hombre musclé, iris sombres envoûtantes, danse serrée abdomen enflammé, doigts caressent pectoraux chemise entrouverte, bouche… Pourtant vus, excitante vérité gardée, hôtel Santo Mauro, draps transpirent secret inoubliable. »

Proposition d’écriture : Lucien Suel

Décrire un paysage en utilisant la technique du vers justifié, c’est-à-dire en limitant chaque vers du poème à 124 caractères (140 caractères hashtag compris : #AteliersJardins), hors ponctuation, aucun mot ne pouvant être artificiellement coupé.

Visions d’un jardin ordinaire (poèmes et photographies), Lucien et Josiane Suel, Marais du Livre, 2004.

Présentation du texte :

La technique du vers justifié (avec 37 caractères chacun hors ponctuation, aucun mot ne pouvant être artificiellement coupé), permet à l’auteur d’évoquer avec un humour décalé et une tendresse attachante, le spectacle de la nature, les gestes ordinaires du travail de la terre, en produisant des textes à l’allure géométrique, dont la signification esthétique et la beauté sautent aux yeux : « Le cordeau raidi était la règle posée sur le cahier blanc du terrain propre et nu. Le fer de l’arbraquette a ligné la page invisible, dessiné l’espace de la cartographie horticole. »

Extraits :

les saules têtard montent la garde à la frontière ouest du jardin la belle saison va leur rendre camouflage de verdure argentée ils n’ont pas une forme naturelle c’est l’homme qui les forme l’homme qui leur donne l’homme qui leur donne une tête une grosse tête pleine de bosses dans la terre ils n’étaient d’abord qu’une simple brindille une branche flexible un scion taillé chaque année

Visions d’un jardin ordinaire (poèmes et photographies), Lucien et Josiane Suel, Marais du Livre, 2004.

Proposition d’écriture : Benoit Bordeleau

Exploration littéraire et photographique sur le mode de la flânerie et de la dérive, sur Twitter en 240 caractères (en ajoutant les hashtags suivants : #Dérive et #AteliersJardins).

Présentation de l’auteur :

Benoit Bordeleau est écrivain Il a assuré la coordination de La Traversée de juin 2010 à mai 2013. Sa thèse, dans une perspective de recherche-création, porte sur la posture de l’écrivain déambulateur et sur les représentations quartier montréalais Hochelaga. Il s’est intéressé, dans le cadre de son mémoire de maîtrise, à la flânerie et à la note de terrain comme modes d’appropriation du territoire urbain ainsi qu’à l’assemblage textuel dans le processus d’écriture. On peut suivre ses déambulations montréalaises, qui se déclinent en divers projets, sur son blogue intitulé Hoche’élague. En 2012, il a fait paraître le récit Au détour de l’habitude dans la collection « Éclats » de La Traversée.


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