Grore Images est une agence de photographies trouvées, une à une, par hasard, sur la voie publique (dans la rue, sur les trottoirs, dans les caniveaux, les jardins publics, sous les roues des voitures...). Elles sont trouvées au hasard des déplacements dans la ville. Elles ne sont pas ramassées dans les poubelles (qui sont des lieux privés), elles ne sont jamais achetées, ni recherchées. Près de 3 000 images conservées sans retouches, mises en ligne, proposées pour tous les usages classiques : illustration, communication, exposition.
L’édition numérique par Art Book Magazine du premier tome de ce catalogue, présentant une sélection de 300 images du fonds, légendées par l’auteur dramatique Raya Lindberg acquièrent un nouveau mode de consultation, une nouvelle dimension. La rédaction des notules de présentation qui font écho dans l’effort de neutralité littéraire dont l’auteur fait preuve pour parvenir à décrire les images, les titrer, au travail de Laurent Septier dans ses Œuvres photographiques complètes dont j’ai déjà parlé plusieurs fois sur ce site :
« À des fins de classement des ses images, il a été amené à en faire une liste comprenant une numérotation accompagnée d’une brève description pour mémoire. Pour qu’elle soit plus homogène et simplement pratique, il a limité chaque description à une seule ligne de texte : il avait ainsi une liste constituée de l’année de prise de vue, d’un numéro, d’une ligne par photographie, le tout étant rangé par chapitres correspondant aux titres qu’il donnait alors à des séries de 30 à 40 photographies. »
Cavité rocheuse sur la mer. Sentier pierreux sous les arbres. Homme endormi sur une chaise près d’une plante verte. Image avec marque de piqûres. Étendue d’eau bordée de végétation au crépuscule. Étendue d’eau avec à sa surface le reflet d’une colline. Enfant assis jambes nues avec un gilet blanc. Homme debout entouré de deux femmes sous l’auvent d’une terrasse de café. Jardin à la française. Femme avec un bâton fourchu dans sa main. Image avec rayure, grattage et froissure. Chemin de terre à travers champs et buissons.
Cet ouvrage interroge de façon troublante et émouvante non seulement notre société mais aussi la manière de la représenter, d’en analyser les traces et l’effacement. Il questionne aussi le statut de la photographie, de l’image, à l’heure du numérique et de l’accélération des flux médiatiques.
Dans son article Portrait oblique d’un auteur et de ses usagers potentiels, Robert Fleck affirme que « Philippe Mairesse a choisi d’appliquer, jusqu’au moindre détail, la structure de l’agence photographique (de type Magnum ou Sygma, issue du photo- journalisme libre et indépendant du milieu du 20ème siècle) à ce vaste ensemble, toujours grandissant, de photographies trouvées sans intention particulière. Ce faisant, il laisse d’une part le champ ouvert à la poursuite des multiples relations ouvertes et non-déterminées qui s’ouvrent entre les images sauvées et un possible public ; il se refuse d’intervenir dans ces nouvelles relations entre images et personnes qui peuvent se créer grâce au système de l’agence photo ; mais en même temps, il prend le pari de réinsérer les images dans un certain usage social, dans une vie sociale de l’image qui semblait éliminée au départ pour ces photographies abandonnées, tout en créant une dimension supplémentaire, une distanciation par rapport aux usages normalisés des images, ce qui permet de dire et de comprendre beaucoup sur les images et leur rôle dans notre vie contemporaine. »
Véronique Bellanger présente ainsi le travail de Philippe Mairesse, directeur de l’agence de photographies trouvées Grore Images fondée en 1993 :
« Dans le travail d’anarchiviste de Philippe Mairesse, le statut de l’objet offre quelques particularités qui interrogent, parmi lesquelles celle de savoir s’il s’agit essentiellement d’un objet perdu ou d’un objet trouvé. Désarrimé d’un “ sujet à la photographie ”, cet objet trouvé parce que perdu se trouve délesté en quelque sorte, apparemment léger. Y-a-t-il quelque être qui se cache derrière ces images ? L’anonymat ici proposé nous sollicite dans une position inhabituelle. En effet la signature, le Nom Propre, c’est ce qui vient ordinairement solliciter l’Être, ce qui permet une prétention à la singularité, à l’affirmation d’un être. La psychanalyse nous enseigne cependant que le Nom Propre, loin de se rapporter à quelque être, ne fait que symboliser le trou dans l’Autre ; la vocation de ce Nom Propre, vocation lourde, étant justement au Nom de l’idéal de chercher à accomplir cet être.N’y aurait-il pas alors ici la possibilité d’un soulagement de cette sollicitation mosaïque, de ne supposer aucun nom ? Notre narcissisme ne se trouve-t-il pas épargné de ne devoir se comparer, s’incliner ou s’indigner dans son rapport à l’artiste ? “ Soulagés ” de l’artiste, que devient alors notre rapport à l’image ? Quelle appropriation allons nous faire de cet objet ? Quel va être le type d’identification en jeu ? Identification qui, si elle ne se fonde plus sur l’imaginaire d’une relation duelle artiste/public, se fonde sur ce qui est à l’œuvre dans le processus même de cette agence, à savoir la perte. Le rapport de chacun à la perte se trouve ici éveillé, ces photographies devenant pourquoi pas les nôtres puisque cet anonymat leur permet de devenir objet commun, partageable, aimable donc. Il y a bien sûr le dispositif, l’agencement des images, le choix de celles-ci qui viennent immédiatement donner un cadre, un statut symbolique, une esthétique même à ces objets réels. Dans ce dévoilement de l’objet - voir ce qui ne devait pas être ainsi montré - y-a-t-il inquiétude, dérangement ou sentiment d’escroquerie ? Ou s’agit-il de redonner à l’objet des coordonnées symboliques et imaginaires, de restituer à l’objet photographie sa nature même d’image, façon ici d’élever l’objet à une dignité qui n’était certes pas celle inaugurale ? Ce dérangement que peut provoquer l’utilisation d’un objet perdu n’est-il pas l’écho de notre gêne d’un certain voyeurisme, auquel nous sommes pourtant souvent confrontés ? Sans déplacer ni mettre en question, bien entendu, le statut à réserver à l’artiste en tant qu’il est photographe, le travail de l’agence Grore interroge un mode de jouissance proprement contemporaine : jouissance consumériste qui se propose à partir d’une banque d’images où chacun va bien trouver “ chaussure à son pied ” ; satisfaction à venir combler sans entrave notre manque-à être. Et en cela même, Philippe Mairesse s’inscrit dans une démarche artistique, en tant que toujours elle questionne notre rapport au Réel. »
La collection d’images du Château Landon, de l’artiste Hubert Renard, rassemble des négatifs ou inversibles trouvés dans la rue, et les édite sous forme de cartes postales quand il s’agit d’un petit nombre de négatifs, tirées à 20 exemplaires sur papier photographique noir et blanc, ou de coffrets pour les lots plus important (La collection "H.S."). La personne qui fournit le négatif devient l’auteur de l’édition et lui donne un titre.
Depuis octobre 2004, La nouvelle collection d’images du Château Landon publie une fois par mois et en couleur une carte postale.
Le CyberChâteau envoie toutes les images trouvées en édition électronique, par mail, gratuitement, sur simple demande.
Hubert Renard avait diffusé une série de ses images dans le premier numéro de la revue de création d’ici là sur le thème du quotidien : Nous dormons notre vie sans sommeil.
En 1998, je découvre les premiers photomatons abandonnés dans les cabines parisiennes. Avec des amis complices (Arnold Pasquier le plus grand à plus d’un titre), je me lance dans la récolte et la collection de ces photomatons. Une collection qui n’est pas inédite. Plusieurs personnes ont, comme moi, d’impressionnantes boîtes à chaussures de ces clichés délaissés. Je m’en sers parfois dans mes ateliers d’écriture. Je n’ai pas encore trouvé le support idéal pour leur édition, mais je les conserve précieusement. L’édition des photographies d’Hubert Renard et celle toute récente de Philippe Mairesse, me donne envie de les publier enfin, indiquant à l’occasion de belles perspectives à suivre.