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de nouveaux procédés d’écriture pour de nouveaux usages de lecture ?

Journée thématique, au Lycée Louis Armand, dans le cadre du Festival du Premier Roman de Chambéry, le Jeudi 7 novembre 2013.

Le succès rencontré par l’encyclopédie collaborative Wikipédia a ouvert la voie à de nouvelles pratiques de partage de la connaissance et des savoirs. Elle a démontré combien la collaboration était porteuse de qualité et d’une plus grande richesse. Richesse pour la communauté qui bénéficie de la rencontre de points de vue différents sur un même sujet. Richesse également pour l’individu qui participe à un projet qui le conduit à collaborer avec d’autres contributeurs amateurs ou professionnels.

C’est à la même époque, au début des années 2000, que sont apparus, dans la même dynamique, les outils du web participatif appelé communément le web 2.0.

Est-ce que cette expérience collaborative liée au monde du savoir peut trouver un écho dans le monde littéraire ? Qu’entend-on alors par écriture collaborative ? Quels sont les processus créatifs et organisationnels de ces nouvelles pratiques ? Quels sont les outils existants, les contraintes et les avantages ? Quelles ouvertures pour les auteurs mais aussi les lecteurs ? Quels champs d’applications en classe ou en bibliothèque ? Comment acquérir et transmettre de bonnes pratiques ?

Apport théorique et historique

Au milieu du tourbillon des nouvelles technologies et des possibilités qu’offrent les nouveaux outils en ligne, le rapport à l’écriture individuelle et collective a profondément bougé. Entre le Roman de Renart (une œuvre du Moyen-Age composée par plusieurs auteurs sous forme de branches regroupées ensuite sous forme de recueils) et l’avènement d’Internet, comment a évolué ce rapport à l’écriture collective ? Qu’entend-on par écriture collaborative aujourd’hui ?

L’écriture en collaboration, ou à plusieurs mains, est un phénomène à la fois méconnu et méjugé des études littéraires, sans doute parce que, dans l’imaginaire collectif, une œuvre digne de ce nom ne peut être que la création d’un auteur unique, car « le génie ne se décline qu’au singulier. »

Pour cerner les enjeux d’une pratique ouvrant sur des perspectives tant littéraires et artistiques, que psychologiques, juridiques ou politiques, servons-nous de l’ouvrage de Michel Lafon et Benoit Peeters, qui dressent dans leur ouvrage Nous est un autre : Enquête sur les duos d’écrivains, paru chez Flammarion, en 2006, le portrait de dix-sept tandems d’écrivains des XIXe et XXe siècles, touchant des pays et des genres variés, et offrant des types très divers de collaborations, dont voici quelques exemples. La collaboration des frères Goncourt et son exemple sans équivalent dans l’histoire des lettres d’une osmose absolue, tant littéraire qu’affective et même physique, entre deux êtres inséparables qui tiennent leur Journal. Marx et Engels qui écrivent ensemble La Sainte Famille et le Manifeste du Parti communiste. La collaboration aux dimensions industrielles avec Willy, qui gère avec le cynisme d’un entrepreneur des ateliers qui produisent des ouvrages sérieux et surtout des romans. Son épouse Colette devient naturellement l’un de ses nègres de son mari. De leur collaboration et du génie publicitaire de Willy naît Claudine. Le cadavre exquis surréaliste est un exemple florissant. Entre contrainte syntaxico-numérique et combinaisons sémantiques, l’écriture collaborative y est transparente et devient ludique : l’espace réservé à chaque joueur y est délimité dans la forme même de l’écriture. Les Champs magnétiques d’André Breton et Philippe Soupault est presque toujours analysé du point de vue de Breton – ce que favorisa l’effacement volontaire de Soupault.

L’écriture en duo de Borges et Bioy Casares pendant quarante ans, selon un dispositif fondé sur l’oralité, le plaisir et le rire, qui aboutit paradoxalement à des textes d’une extrême rigueur. La rencontre de Pierre Boileau et Thomas Narcejac dans les années 50 qui débouche sur une collaboration fondée sur la distance et la répartition des tâches : Boileau rédige le « germe » du roman, Narcejac écrit le manuscrit et Boileau le dactylographie en le corrigeant. Cette collaboration aboutit à un renouveau du roman policier, et à des œuvres aussi célèbres que Celle qui n’était plus (adapté par Clouzot avec Les Diaboliques) ou D’entre les morts (adapté par Hitchcock sous le titre Vertigo).

Nous sommes passés du centon au cut up : Everything is a Remix

Il existe 6 licences de Creative Commons : (Attribution, Pas d’utilisation commerciale, Partage dans les mêmes conditions, Pas de modification).

Ces logos permettent d’identifier les options choisies par l’auteur d’une oeuvre ou d’un contenu (texte, image, vidéo, etc) informant le public dans quelle mesure cette oeuvre ou ce contenu peut-être partagé, remixé, ré-utilisé sous une licence Creative Commons.

Choisir la licence CC-BY-SA, c’est une manière d’encourager le partage, le remix et la ré-utilisation des contenus du blog (textes, images, vidéos), afin qu’ils circulent.

Les outils d’écriture collaborative

De nombreux outils d’écriture collaborative existent sur la toile. Il est devenu simple d’écrire à plusieurs sur un même support, de modifier un document à distance de manière différée ou simultanée. Quels sont ces nouveaux outils ? En quoi un nuage, un pad, un blog ou encore les réseaux sociaux ouvrent-ils de nouvelles démarches et de nouveaux procédés d’écriture ?

Quelques exemples de plateformes et de logiciels de collaboration en ligne :

Framapad, un éditeur de textes collaboratifs en ligne qui met à disposition un « pad ». Export : HTML, txt, DokuWiki.

Google Drive (ex Google Docs), Google a ajouté du collaboratif à toute sa suite bureautique en ligne. Le traitement de texte est particulièrement puissant. Google Drive offre toutes les fonctions nécessaires et notamment une sauvegarde permanente, la possibilité de revenir sur les versions précédentes d’un document et un système de dialogue en direct sous forme de chat ou de vidéo. Ainsi qu’un scanner avec reconnaissance de caractères permettant de transformer une image en texte. Exports classiques d’un traitement de textes : doc, pdf, rtf, odt, txt, html.

Zoho Docs, un véritable classeur en ligne dans lequel stocker ses documents. La suite Zoho vous permet d’accéder à ces derniers de partout à partir de n’importe quel ordinateur, portable ou smartphone. Zoho Docs offre un traitement de texte en ligne complet qui permet une écriture collaborative. Chaque collaborateur est parfaitement identifié et peut modifier le texte en temps réel. Une fenêtre de tchat permet un dialogue en direct entre les différents éditeurs. Zoho permet de travailler sur un document texte, une feuille de calcul ou une présentation.

Wiki, un site web dont les pages sont modifiables par les visiteurs, ce qui permet l’écriture et l’illustration collaboratives des documents numériques qu’il contient. Il utilise un langage de balisage et son contenu est modifiable au moyen d’un navigateur web. On accède à un wiki, en lecture comme en écriture, avec un navigateur web classique. On peut visualiser les pages dans deux modes différents.

Un moteur de wiki est un logiciel de la famille des systèmes de gestion de contenu permettant de réaliser des wikis.

MediaWiki, un ensemble wiki à base de logiciels libres Open source, développé à l’origine pour Wikipédia et aujourd’hui utilisé par plusieurs autres projets de l’association à but non lucratif Wikimedia Foundation ainsi que par beaucoup d’autres wikis, y compris ce site central de développement, documentation, référence et support de MediaWiki.

Il faut télécharger le logiciel et l’installer sur un serveur via FTP disposant d’une base MySQL.

Il existe cependant des logiciels en ligne qui permettent de le faire automatiquement et non manuellement ce qui peut être un peu compliqué pour un néophyte : Installatron, par exemple.

Les blogs : Blogger, Wordpress.

Le microblogging : tumblr (comme un cahier de tendance : voir l’exemple sur les visages et Le tour du Jour en 80 mondes)

Les forums littéraires comme celui de Jeunes écrivains ou sur ceux de RPG (jeux de rôle).

Zopler, un outil collaboratif pour écrire des histoires à plusieurs. Il se présente sous la forme d’un réseau social dédié à l’écriture et aux écrivains. I s’agit d’écrire des histoires à plusieurs mains. Vous pouvez participer à l’écriture d’une histoire commencée par quelqu’un d’autre ou autoriser d’autres membres à venir compléter l’histoire que vous êtes en train d’écrire. Une fois inscrit vous pouvez commencer à rédiger votre histoire.

Webook, une communauté virtuelle qui fait émerger de nouveaux talents.

Protagonize, plateforme assez classique dans ses grandes lignes. L’innovation vient de la structure des livres. Il y a des livres à structure linéaire (plusieurs chapitres qui s’enchainent comme) qui sont rédigés par un seul auteur qui s’inspire des commentaires des membres et des livres à embranchements multiples (comme les Livres dont vous êtes le héros) auxquels tout le monde peut contribuer.

Papyrus, un outil en ligne qui permet de créer facilement un ebook collaboratif en ligne puis de le diffuser. Cette plateforme très facile à utiliser permet de créer un ebook collaboratif très facilement au format PDF, Kindle ou ePub pour une liseuse. Papyrus est un véritable éditeur en ligne qui permet de créer et de diffuser gratuitement ou en le vendant un livre électronique consultable sur la plupart des plateformes disponibles sur le marché. Papyrus propose également des fonctions collaboratives pour écrire un livre à plusieurs mains. Une fois les coauteurs connectés, les modifications apportées par chacun se font en temps réel. Il est également possible de créer un ebook à partir du contenu d’un blog.

Autres exemples : Polifile et Byeink.

Le lien incontournable sur les outils collaboratifs : http://outilscollaboratifs.com

Conclusion :

Les gestes rapprochés de la lecture de l’écriture et de la publication.

Pour que le travail d’écriture en collaboration ne se cantonne pas à l’actualisation d’une idéographie dynamique, une lecture des catégories de gestes possibles : choisir, orchestrer, juxtaposer, déplacer, ajouter des formats, des contenus, produisant une écriture du montage, de l’ajout, du faux-raccord avec une prétention à l’omniprésence, à l’ubiquité énonciative, il faut :

1. Avoir un projet d’écriture et de publication déterminé au préalable, fixé à l’avance. 2. Accepter que ce projet se transforme sous l’influence de la technique (ses apports et ses contraintes) ainsi que dans l’échange et le dialogue avec les autres auteurs. 3. Détourner ce que nous propose le logiciel a minima pour aller plus loin que ce que l’on avait prévu initialement.

« Enseigner la publication (et le partage), écrit Olivier Ertzscheid dans une tribune diffusée dans le journal Le Monde. Concrètement, il faudrait enseigner la publication et en faire l’axe central de la déclinaison de l’ensemble des savoirs et des connaissances. Avec la même importance et le même soin que l’on prend, dès le cours préparatoire, à enseigner la lecture et l’écriture. Enseigner la publication, apprendre à renseigner l’activité de publication dans son contexte, dans différents environnements.

L’œuvre collective est l’avenir du livre numérique : le lecteur est un auteur comme les autres.

Récits d’expériences : avec Fanny Saintenoy et Joachim Séné

Deux démarches d’écritures collaboratives, l’une pour un roman papier et l’autre pour un roman numérique. Fanny Saintenoy a co-écrit, avec trois écrivains, le roman
Quatre paru aux éditions Fayard.

Joachim Séné expérimente depuis quelques temps déjà l’écriture collaborative sur le net. Tous deux nous feront part de leurs expériences, de leur choix de la démarche collaborative et de son incidence sur leur travail.

Pratiques d’écriture collaborative en milieu scolaire et en bibliothèque : avec Caroline Duret et Pierre Ménard

Lire et écrire par les réseaux sociaux en classe est une démarche adoptée par Caroline Duret avec ses élèves. L’enseignante souhaite amener ses élèves à vivre autrement la littérature. Par ces nouvelles approches, ils deviennent acteurs de leurs lectures. Caroline Duret partagera ses expériences sur les réseaux sociaux autour de
Candide de Voltaire ou du Père Goriot de Balzac.

J’évoquerai pour ma part mes ateliers à Sciences Po : élaboration d’un texte commun à partir d’un corpus de textes écrits individuellement dans lequel on va puiser matière d’un texte commun (Twitter, Google Street View, récit sonore), mais également ceux de Boulogne (Le désir de te revoir : La vie d’Emma est un roman), de Bagneux et Sèvres avec Cécile Portier (Écrire la ville), ainsi que l’ouvrage À l’endroit, à l’envers, réalisé avec les élèves de Guebwiller. Les ateliers autour de Facebook comme outil de création avec les 3ème du collège d’Arthez-de-Béarn, ainsi que le travail sur la mémoire du Collège Marguerite de Navarre, avec le élèves de Pau (atelier sur trois ans).

Pour la bibliothèque, j’évoquerai : l’expérience exemplaire de CherMedia, les espaces collectifs de mémoire de Brest (Wiki-Brest), ainsi que les avis des lecteurs de l’Astrolabe à Melun et la gestion de leurs contenus multimédia.

Écriture collaborative et incidences sur la lecture : avec Pierre Ménard, Fanny Saintenoy, Joachim Séné, Caroline Duret

Par sa collaboration, le lecteur peut, lui-même, devenir co-auteur. Quelle est alors sa place dans l’œuvre collective nouvellement née ? Comment peut-il s’emparer de ces nouvelles œuvres collaboratives ? À qui sont-elles destinées ? Sont-elles l’avenir du livre numérique ?

Conçu comme un support à la construction d’un savoir collectif, le Web 2.0 a profondément amené à concevoir l’information de manière différente. Libérant l’écriture de l’univers clos du support imprimé, il a engendré une profonde modification dans ce domaine. Il est désormais possible d’écrire à plusieurs sur le même document et en même temps ! Le succès rencontré par l’Encyclopédie Wikipédia, l’un des sites les plus consultés au monde, a ouvert la voie à de nouvelles pratiques d’écriture.

Qu’est-ce que peut apporter l’outil informatique sur le plan pratique et sur les possibilités de travail collectif et leurs implications théoriques, notamment dans une réflexion sur le travail de l’écriture et le statut de l’écrivain ?

La notion d’auteur est assez récente. Dans sa Septième leçon : Naissance de l’écrivain classique, Antoine Compagnon revient sur cette naissance :

« La hiérarchie des termes auteur et écrivain se renversera au cours du siècle. Pour résumer le changement brutalement : au Moyen Âge, on l’a dit, n’importe quel écrivain n’était pas un auteur (mais seulement celui qui jouissait d’autorité) ; à partir de l’âge classique, n’importe quel auteur n’est pas un écrivain (mais seulement celui qui écrit bien). »

Le numérique gomme les frontières entre lecteur et auteur. Blogs avec plusieurs rédacteurs. Commentaires et réactions du lecteur qui influe le texte, échange, dialogue avec l’auteur, de pair à pair. L’auteur a toujours été lecteur mais désormais le lecteur devient également auteur.

Les habitudes de lecture ont elles aussi très sensiblement évoluées ces dernières années. Les gens lisent de plus en plus, des écrits de nature variée et sur des supports très différents, passant des flash infos sur les sites qu’ils ont l’habitude d’utiliser régulièrement, comme leur boîte email, à la lecture d’articles en ligne, sur les réseaux sociaux aussi bien qu’ailleurs, et sur ces réseaux sociaux, les heures passées à la lecture par défilement (et sauts de puces d’une information à une autre sur le principe des hypertextes) cherchant un renseignement disponible à tous moments sur Wikipédia via leur smartphones. L’apparition des liseuses et désormais des tablettes tactiles en couleur ont permis également la lecture de textes plus long, mais deux modes de lecture se stabilisent désormais : la lecture longue (d’un livre imprimé ou d’un livre numérique, peu importe, puisque c’est la même chose, dans 90% des cas, autour d’un format de fichier unique l’ePub et malgré une encore très grande disparité de prix (entre éditeur traditionnel et éditeur Pure Player) ou la lecture fragmentée (sur le web, quelque soit le support de lecture (ordinateur, tablette, smartphones)).

Les nouvelles technologies changent la donne du jeu dans une triple alliance : celui du numérique, de l’auteur et du littéraire. Les outils prévus pour ces usages (avec leur intérêt et leurs contraintes, une certaine standardisation de l’écriture sous couvert de simplicité), les outils que l’on détourne et ceux que l’on invente en commun en les détournant.

L’occasion également d’évoquer bien évidemment Publie.net : coopérative d’auteurs pour la littérature numérique et la revue d’ici là, et de parler de la méthode agile pour terminer.


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