À l’invitation de Stéphane Bikialo, je reviens cette année à la Faculté de Lettres pour assurer une série d’ateliers d’écriture sur le thème du travail, comme je l’avais fait en novembre et décembre 2009 à Sciences Po Poitiers et à la Faculté de Lettres.
Les résultats de cet atelier, dans leur forme sonore, et de celui que mène Stéphane Bikialo sur "quel travail voulons nous" suite à l’enquête Radio France, figureront dans l’exposition sur l’écriture du travail qui aura lieu à la Médiathèque de Poitiers, dans le cadre de la manifestation Filmer le travail qui a lieu à Poitiers, du 8 au 13 février 2013.
Quatrième séance :
Un atelier d’écriture autour des ouvrages de Jean-Charles Massera, United Emmerdements Of New Order, précédé de United Problems Of coût de la main-d’œuvre, chez P.O.L., en 2002 et de celui de Jérôme Mauche, La loi des rendements décroissants, édité au Seuil, dans la Collection Déplacements, en 2007.
Présentation des livres :
Le rire et l’intelligence d’une syntaxe très travaillée comme antidote à la doxa sociale et politique d’aujourd’hui, dans 202 morceaux de texte qui décomposent et recomposent le discours des médias, comme l’écrit Jérôme Mauche dans sa postface (p. 185-191) : « Au-delà d’un certain seuil, l’efficacité productive diminue – et finalement toute chose. (…) Puissent les rendements décroître au-delà d’un seuil certain. (…) Une lecture, un trimestre durant, de divers magazines et de journaux à vocation informative rapportant des faits, des mouvements, des évolutions et des anticipations aussi. (...) Écrire à partir de ce qui est écrit déjà. Ne serait-ce que pour constater que ce n’était pas cela qui était écrit en fait. »
« Comment dire merdre dans cette langue policée dont on use tous les jours", s’interroge Xavier Person dans l’article qu’il consacrait au livre de Jean-Charles Massera United Emmerdements Of New Order dans Le Matricule des Anges, "dans ces récits que quotidiennement on nous fait du monde, sans interroger cette langue même, sans en déplacer le cadre ? Choisissant le parti amusé de l’outrance, Jean-Charles Massera gonfle le vide de ce qui se dit, de ce qui s’écrit, jusqu’à explosion. »
La rhétorique de l’époque, analysée et mise à mal, dans la confrontation du jargon économico-administratif corrigé par les "brèves de comptoir" et les propos du café du commerce, donne à ce livre un ton original et dérangeant, un troublant accent de vérité sur la situation actuelle (1. de la littérature, 2. du monde qui nous entoure).
Présentation des auteurs :
Né en 1965, Jérôme Mauche vit à Paris. Critique d’art et directeur de la collection « Grands soirs » aux éditions des Petits Matins, il a déjà publié : Les possibles (Nicolas Philippe, 2002), Fenêtres, portes et façades (Mix, 2002), Ésaü à la chasse (Mix, 2003), Électuaire du discount (Le Bleu du ciel, 2004), Superadobe (Le Bleu du ciel, 2005), Tuyautés de pans de flûte de mémoire (L’Attente, 2005), L’hypostase sous-tendue du coup de maître raté (Mix, 2006). La Maison Bing, cipM / Spectre Familiers, 2008. Isotypie sur doxogravure, Le Triangle, 2008. Le Placard en flammes, Le Bleu du ciel, 2009.
Jean-Charles Massera (1965 – Mantes-la Jolie) vit et travaille entre Paris et Berlin. Auteur de fictions, il a notamment publié France guide de l’utilisateur, P.O.L (1998) ; United Emmerdements of New Order précédé de United Problems of Coût de la Main-d’œuvre, P.O.L (2002) ; Jean de La Ciotat confirme, P.O.L (2004), A Cauchemar is Born, Verticales (2007) ; Jean de La Ciotat, la légende, Verticales (2007) ; We Are L’Europe, Verticales (2009), Le guide du démocrate – les clés pour gérer une vie sans projet, (avec Éric Arlix) lignes (2010). De nombreux de ses textes ont été portés à la scène, notamment par Brigitte Mounier, Jean-Pierre Vincent et Benoît Lambert avec lequel il a entamé une collaboration en 2008. Depuis peu, il développe un travail dans des formats autres que le livre, notamment l’installation sonore, la chanson, le film et le clip vidéo, le diaporama, la photo, l’affichage dans l’espace public ou encore la performance. Ce travail récent a notamment fait l’objet d’une exposition personnelle (Kiss My Mondialisation) à l’Institut d’Art Contemporain de Villeurbanne / Rhône-Alpes en 2010 et d’un livre-cd-dvd (Tunnel of Mondialisation) conçu avec Pascal Sangla et publié aux éditions Verticales en 2011.
Atelier d’écriture :
Confronter le jargon économico-administratif aux "brèves de comptoir" dont on est tous témoin tous les jours, détourner les tics et les codes du langage juridique, tordre le cou à la "langue de bois" politique, aux messages publicitaires, au formatage des nouvelles du 20 heures, et à la mondialisation qu’on nous propose en kit. Composer à partir de ce matériau hétéroclite une sorte de ReadyMade global.
Écrire un texte sur la doxa sociale et politique d’aujourd’hui, comme l’on se lance un joyeux défi. Citer ce que l’on peut lire dans un journal spécialisé dans l’économie politique, et plus largement ce qui touche le monde de l’entreprise, du travail au quotidien, ressaisi et monté en fragments qui s’enchaînent en ordre incrémentiel, dans une interrogation de la langue sur les choses, le monde, la vie des hommes.
Extraits des textes :
« Le personnel, le turnover constant, est seul à même de satisfaire la clientèle dont la surface, par la perturbation du jeu, maintient à égalité les intervenants et rompt ce fossé, un peu inutile et néfaste, de l’employat au consommat, alors que se constate, non seulement à coups de bons d’achat, que pour se simplifier la vie, le salarié dans la distribution opère le plus gros de ses courses sur son propre lieu de travail. Sans aspirer à l’extension de pratiques qui sinon (nous n’en sommes là) brouilleraient les frontières vie publique-privée externe, permettant ainsi à la banque lorsqu’on fait un plein d’argent de directement emplir son réfrigérateur, tout en prélevant les agios de retard, sur place, dans les hypers et supermarchés, plus de mixité dans les tâches laborieuses et consuméristes est souhaitée. Ainsi, les employés un peu honteux de travailler pourront eux-mêmes passer pour des clients qui éprouvent, de leur coté, la culpabilité normale d’acheter et de vivre, quand on songe à la moyenne économique du monde entier. Avec un border-line expérimental, innovant et attrayant pour chacun de ne savoir jamais où se trouve, en tant qu’acheteur, le produit qu’il souhaite et, en tant que salarié, où pouvoir et dans quel rayonnage, le mettre en place, le décharger et, surtout à la caisse, lieu du jugement par excellence, se demander s’il achète, s’il est acheté en retour, s’il vole, ou un peu des deux à la fois, et pour le compte de qui au final. »
La loi des rendements décroissants, Jérôme Mauche, Seuil, Collection Déplacements, 2007, p. 169-170.
Tunnel Of Mondialisation est extraite de Tunnel of Mondialisation (l’album), de Jean-Charles Massera, réalisée en collaboration avec l’Atelier de création radiophonique (ACR) de France Culture.
Bonus :
Dresser l’inventaire des métiers qu’on a souhaité exercer depuis son enfance, de ses rendez-vous manqués, de ses rêves détruits, évanouis, ravis ou heureusement transformés.
Cet atelier s’inspire du texte d’Henri Lefebvre, Les unités perdues, publié chez Virgile, en 2004.
Lecture de leurs textes par les étudiants :
Textes de étudiants :