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Ateliers d’écriture à la Faculté de Lettres de Poitiers

À l’invitation de Stéphane Bikialo, je reviens cette année à la Faculté de Lettres pour assurer une série d’ateliers d’écriture sur le thème du travail, comme je l’avais fait en novembre et décembre 2009 à Sciences Po Poitiers et à la Faculté de Lettres.

Les résultats de l’atelier, et de celui que mène Stéphane Bikialo sur "quel travail voulons nous" suite à l’enquête Radio France, figureront dans l’exposition sur l’écriture du travail qui aura lieu à la Médiathèque de Poitiers, dans le cadre de la manifestation Filmer le travail qui a lieu à Poitiers, du 8 au 13 février 2013.

Troisième séance :

Un atelier d’écriture autour de l’ouvrage de Thierry Beinstingel, Retour aux mots sauvages, publié en 2010 par Fayard, et de celui de Jean-Louis Kuffer, Ceux qui songent avant l’aube, édité par Publie.net.

Présentation des livres :

Thierry Beinstingel poursuit, à travers ses romans, une recherche sur les codes, les langages, les fictions du travail.

« Retour aux mots sauvages, met en scène un homme de 50 ans, électricien dans un grand groupe de télécommunications, brusquement bombardé « téléopérateur ». Dépossédé de son prénom - il doit s’en choisir un fictif, immédiatement enregistré sur un « message d’accueil » -, le voilà condamné à réciter mot pour mot les « scripts » qui s’inscrivent sur son écran. Exclu de l’usage de ses mains dont l’habileté faisait jusqu’alors sa fierté professionnelles, le voilà maintenant privé de ses mots - et donc de son humanité. »

Le livre de Thierry Beinstingel est « un formidable révélateur de la violence du monde du travail contemporain, selon Michel Abescat dans Télérama. Il décrit la façon dont l’entreprise - uniquement préoccupée du résultat et de la performance - réinvente une sorte de taylorisme du XXIe siècle, où l’homme, réifié, robotisé, finit complètement broyé. En désobéissant, en retournant aux « mots sauvages », le personnage de Thierry Beinstingel parviendra à se sauver. »

Présentation de l’auteur :

Né à Langres en 1958, Thierry Beinstingel est cadre dans les télécommunications. Il a publié, aux éditions Fayard, Central (2000), Composants(2002), qui a reçu une mention au prix Wepler, Paysage et portrait en pied-de-poule (2004), C.V. Roman (2007), Bestiaire domestique (2009), Retour aux mots sauvages (2010) et Ils désertent (2012). Ses ouvrages racontent, d’une manière réaliste, le quotidien parfois déshumanisant et souvent absurde dans les entreprises tertiaires. Thierry Beinstingel tient un site : feuilles de route.

Atelier d’écriture :

L’énumération comme arme pour dire le monde. La juxtaposition d’éléments forts, de haute gravité, ou à teneur politique, voire subversive, et d’éléments qui tout d’un coup provoquent le rire, ou la seule légèreté. Une énumération tient, c’est quand sa propre table des matières devient elle aussi une prouesse de langage.

Dans son récit, Thierry Beinstingel décrit le retour de vacances de son personnage en utilisant l’énumération telle que pratiquée avec la forme des celui qui, celle qui, ceux qui, dans le texte de Jean-Louis Kuffer, Ceux qui songent avant l’aube, édité par Publie.net.

Petit bonus : travail sur les mots du travail, avec Ridiculum vitae, précédé de Artaud Rimbur, Jean-Pierre Verheggen, Gallimard, Collection Poésie/Gallimard, 2003.

Établir une liste de mots du travail, d’expressions de l’entreprise et de l’économie par exemple dont on déforme à loisir l’orthographe pour l’occasion, en jouant sur les à-peu-près du langage, les détournements de sens, les consonances approximatives, en composant des mots-valises, des jeux de mots, des calembours et des raccourcis. Donner à cette liste la forme d’un éloge-logorrhée du travail à travers les mots qui nous travaillent.

Quelques exemples pour commencer : Self-made-man, l’offre et la demande, chaîne de valeur, empowerment, benchmarking, feedback, workflow, certification, reporting, yield management, struggle for Life, impacter, pouvoir d’achat, effets de levier, main-d’œuvre, déclassement social, coaching oral, process, management, brainstorming, bilan de dépôt, économie d’échelle, prendre le lead, listings, emploi du temps, model business, pro-actif, organigramme, revenir vers quelqu’un, gagnant-gagnant...

Extraits du texte de Thierry Beinstingel :

« Phrases pensées par d’autres, récitées par les collègues machinalement, la bouche comme un outil en suspension devant le micro, le souffle tranquille des mots appris, évidents, logiques, susurrés pour ne jamais déplaire. Et que dit-elle, cette voix du client dans l’oreille, un peu nasillarde ? Est-ce qu’on l’écoute seulement ? On enchaîne rapidement par la question déjà cent fois répétées depuis le début de la journée : Vous êtes bien monsieur/madame/mademoiselle X ? Et qu’importent le nom et le prénom du client puisque dans cinq minutes quelqu’un d’autre l’aura déjà remplacé. Le lien entre l’oreille et la bouche ne se fait pas : on parle et on écoute de façon indépendante. »

« Au retour des vacances, c’est toujours le même cinéma. Il y a ceux qui traînent les pieds, prêts à répondre d’une manière désabusée qu’on serait bien resté là-bas. Ceux qui rapportent des calissons d’Aix, du chocolat suisse ou du chouchen de Bretagne. Ceux qui exhibent leur bronzage. Ceux qui sont intarissables sur le petit restaurant de fruits de mer tellement typique. Ceux qui reviennent crevés. Ceux qui miment le dépassement de la caravane qui a basculé sur l’autoroute juste devant, la peur qu’on a eue. Ceux qui snobent les autres en rapportant les brochures de l’hôtel quatre étoiles tout confort, le plus beau de Ouarzazate, précisent-ils. Ceux qui s’assoient sans rien dire et qui attendent qu’on les interroge. Ceux qui découragent d’avance les questions par leur blancheur de peau. Ceux qui ont envoyé une carte postale représentant des doigts de pieds en éventail sur une plage avec en commentaire : On se la coule douce à Saint-Malo. Ceux qui reviennent en forme, portant encore leurs chaussures de montagne. Ceux qui ont visité leur famille dans le Gers. Ceux qui ont profité des vacances pour construire un garage, un mur de clôture, un appentis. Ceux qui sont restés. Ceux qui partiront en hiver. Ceux qui n’ont rien fait. Ceux qui ont tout vu. Ceux qui grognent. Ceux qui rient. Ceux qui réapparaissent un mardi pour ne pas faire comme tout le monde. »

Lecture de leurs textes par les étudiants :

Textes des participants :


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