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Ateliers d’écriture numérique au Musée du Louvre

Il y a une quinzaine d’année, l’académie de Versailles organisait à la Bibliothèque nationale de France, la première session de l’Atelier annuel d’écriture conduit pas François Bon et Gérard Noiret.

Ce stage long (qui relève de la formation continue des personnels de l’éducation nationale) est destiné aux enseignants des premier et second degrés, mais aussi aux universitaires désireux de s’engager dans des pratique d’écriture créative. Il s’agit de favoriser une approche créative de la littérature dans ses rapports avec les nouvelles technologies.

C’est ainsi que j’ai participé à mon premier atelier d’écriture, que j’ai rencontré François Bon, et que j’ai décidé de mener à mon tour des ateliers d’écriture, au sein de la bibliothèque où je travaillais, à Melun, puis en ouvrant ses ateliers sur ma pratique personnelle et mon utilisation du numérique, les transformant en ateliers de création numérique.

C’est donc avec grand plaisir et à un plus d’un titre que j’ai accepté l’invitation de Patrick Souchon à participer à ce premier atelier annuel d’écriture numérique, qui se déroule cette année encore au Louvre (quel merveilleux terrain de jeu et d’expérimentation) et très fier d’y mener ces ateliers avec trois autres auteurs dont j’apprécie le travail, et qui me sont proches depuis longtemps : Anne Savelli, Cécile Portier et Joachim Séné.

Le privilège de travailler avec ces trois auteurs, c’est, au-delà de notre amitié, notre habitude de travailler ensemble, notre grande proximité dans nos approches de l’écriture et du numérique, qui va nous permettre de mener un ensemble homogène d’ateliers en proposant un parcours commun et partagé tout en nous permettant de choisir un des angles d’attaque différents et de varier nos approches pour les stagiaires : quels sont les rapports qu’entretiennent art et littérature ? comment entrer dans l’œuvre d’art et l’œuvre littéraire ? quelle est la place de l’image dans un Musée et l’image même du Musée ? Questionnement également sur ce statut de l’image, par le biais de la création.

Un musée c’est lieu de silence où règne un étrange brouhaha fait de pas et piétinements, de discussions à voix basses. Les œuvres nous parlent mais en silence. Que nous disent-elles à travers les siècles ?

Pour ma part j’ai donc souhaité travailler lors des quatre séances que je vais conduire au Louvre, sur la déambulation, sur la notion temps/espace, sur le regard et la mémoire. Rapport du corps à l’image. De la déambulation dans le musée. Chorégraphie des visiteurs. Ce qu’on voit, ce qu’on ne voit pas.

Les trois premières propositions d’écriture sont élaborées à partir d’une sélection subjective d’une quarantaine de peintures du Musée du Louvre, parmi lesquelles les participants devront choisir pour travailler à partir d’elles. Les participants auront un choix à faire en fonction des séances et n’utiliseront pas l’ensemble de ces peintures :

Proposition d’écriture n°1 :

Choisir une œuvre artistique, peinture ou sculpture, que l’on décrit en utilisant un poste d’observation des regards, un point de vue mobile, télescopique, infiniment souple. Dans ce travail, en effet, c’est de votre œil – position, acuité, densité – que dépend sa capacité à changer son intimité en profondeur. Penser l’écriture dans une boucle complète, se voyant voir, s’écoutant écouter, mais par laquelle la technique finit par se jouer d’elle-même dans son vertige. Au bout d’un long temps d’exposition, l’intensité du regard qu’on porte sur l’œuvre choisie change en intimité sa profondeur. Le texte s’articule essentiellement autour d’un travail sur la phrase (rythme, syntaxe).

Mon Laurent , Sébastien Smirou, Éditions P.O.L., 2003.



Présentation du texte :

Dans Mon Laurent, les textes sont composés comme des tableaux (le livre ne s’ouvre pas par hasard sur les Batailles de Paolo Uccello) : Sébastien Smirou fabrique des images à partir de phrases, un peu comme s’il s’agissait des légendes d’objets précieux présentés dans un musée. À ceci près qu’il ne s’agit pas d’images aveugles, mais de vignettes elles-mêmes dotées du pouvoir de regarder, et de regarder en premier lieu ce qui leur est donné à voir quand le livre s’ouvre, c’est-à-dire l’œil qui les regarde. C’est la raison pour laquelle, un peu comme le vase de Rubin dans la théorie de la Gestalt, les poèmes sont composés selon plusieurs profils. L’auteur ne représente globalement qu’une scène dans chaque poème mais, pour faire le point sur cette image, grâce à tout un arsenal technique, plusieurs mirages surgissent, plusieurs ambiguïtés se rencontrent au fil de la lecture, qui font qu’un temps de décantation devient nécessaire à l’élaboration du résultat. Il ne s’agit pas d’une invitation pour le lecteur à se voir soi-même en s’élucidant, mais, comme l’explique l’auteur, « à reconstruire une sorte de tableau isomorphique au poème, pour jouir sans fin, avec lui, de l’échange des regards. » La quatrième de couverture du livre est à cet égard assez parlante.

Proposition d’écriture n°2 :

S’inspirer d’une peinture et composer, comme traduit de sa propre émotion, un texte en regard, vers ou prose. Sur la page, le texte s’inscrit en filigrane. Découpes du vers ou de la séquence, syncopes dans le lacis des lignes, tirets pour unique ponctuation, espacements, tout concourt à une appréhension spatiale, assujettie à la vue. Le texte écrit répond à ce jeu de variations et d’échos, évitant soigneusement les références, évoquant d’une manière toute personnelle l’histoire de cette peinture. Un geste, un instant, un lieu.

Étranger devant la porte (I. Varitions), Claude Esteban, Farrago / Éditions Léo Scheer, 2001.

Présentation du texte :

La poésie de Claude Esteban, comme pour beaucoup d’autres poètes contemporains, oscille entre vers et prose. La prose attire pour sa liberté, sa capacité d’aller et venir, sa faculté d’embrasser et d’envelopper toute la teneur du monde. Les poèmes de Claude Esteban traduisent plutôt la déchirure, la perte de substance, se présentant souvent comme une série d’images fixes, voire de portraits funéraires du Fayoum, avec leurs visages grandeur nature.

Les poèmes de ce recueil évoque un monde du peu, du presque rien, en limbes, où se dérobe jusqu’au palpable. L’extrême limpidité recherchée est toujours menacée, notamment par l’excès de palabres. Toute substance semble s’y dérober.
Sur la page, le vers semble s’inscrire en filigrane. Tout concourt à une appréhension spatiale, assujettie à la vue, entretenant avec celle-ci une relation privilégiée, quasi exclusive. « Poèmes, images peintes, sculptures, j’ai voulu les accompagner un instant, écrit Claude Esteban, les suivre ou les poursuivre dans leurs particuliers avec d’autres mots, d’autres signes. »

L’acte du poème est un acte sensible, de connaissance et de reconnaissance du monde renouvelé. Il n’est pas, ne peut pas être, une seule capacité de fixation ou d’élucidation des choses.

Extrait :

« L’œil ne connaît pas l’œil, il est au centre et chaque chose devant lui est juste et se confirme, l’œil ne regarde pas, il sait d’abord et comme il sait, il voit il trébuche, tout près, sur l’invisible. »

Étranger devant la porte (I. Varitions), Claude Esteban, Farrago / Éditions Léo Scheer, 2001, p. 31.

Proposition d’écriture n°3 :

« Comment circonscrire la figure humaine ? Masquer les traits de ses pulsions ? Révéler son désir en cachant son identité ? Monnayer son reflet en icône ? Revêtir des mythes ? Lire les masques ? Les nuances de leur diversité ? Amputer son je sans le nier ? Dérouler les histoires d’un cliché, d’un regard photographié ? Raconter ces histoires avec les bons mots-clefs ? »

Faces, de Louis Imbert, Publie.net.

Dans sa préface, Arnaud Maïsetti décrit ainsi cet ouvrage : « La mémoire des images – exercice douloureux que celui d’essayer de recomposer de mémoire telle ou telle image vue, même celle qu’on connaît le mieux. Mais qu’on la retrouve, devant soi, à l’écran, et cette mémoire soudain s’abolit dans l’évidence immédiate qui ne connaît aucune durée pour s’établir, dans l’instant. Alors, quand L. Imbert écrit l’image, à nous refusée, c’est ce double jeu de mémoire et d’oubli qui se confronte, et se fait face. »

Rumeur des espaces négatifs , Laure Limongi & Thomas Lélu, Léo Scheer, 2005.

La Rumeur des espaces négatifs invente une forme nouvelle entre un texte faussement désincarné et des images banales toutes re-travaillées, où la figure humaine apparaît le plus souvent le plus souvent masquée. Le livre emprunte la forme ludique des manuels illustrés pour s’attacher à la représentation photographique de la figure humaine, celle que l’on retrouve notamment dans la pratique amateur, à travers l’autoportrait (petites annonces, photos d’identité, clichés de magazines, de journaux ou sur internet). Une façon de dévoiler son image en masquant son identité.

La Rumeur des espaces négatifs est un jeu, le roman du je, composé d’amorces de récits et d’un pêle-mêle d’images.

Extrait :

« Le visage n’est pas une évidence, la forme. Les critères informent l’esthétique, la vie. La beauté est un acte moral. Une décision. Bien peu à voir avec la cruauté. L’image crue. Sa pornographie. La beauté est sans reflet. Sans équivoque. Le Dracula nominatif qui hante nos vies, notre vision du monde. Une aspiration. Mais elle ne suffit pas. Il y a toujours quelque chose qui dépasse. Et puis un cadre. Il y a toujours un filtre. »

Rumeur des espaces négatifs , Laure Limongi & Thomas Lélu, Léo Scheer, 2005.

Proposition de travail :

Du visage il n’y a rien à dire (un nez, deux yeux et une figure), et pourtant c’est ce qui définit tout l’être. Comment le faire exister dans la phrase sans le décrire ? L’adjectif en soi ne dit rien, c’est la torsion des phrases en aval et en amont du visage qui vont le dessiner.

Retenir trois visages qui importent pour soi et les décrire : d’après une photo ou un film, d’après une peinture ou un dessin, et le visage d’un ami, d’un parent, d’un être qu’on aime. Les décrire. Et dire ce qui fait qu’on y est attaché, qu’ils prennent pour nous figure de modèle.

Proposition d’écriture n°4 :

Pour la dernière séance, je souhaitais inviter les participants à choisir une œuvre d’art importante pour eux, pas forcément une œuvre du Musée, bien au contraire, il pouvait s’agir d’un film ou d’une chanson, un livre ou une pièce de théâtre, et leur demander de sélectionner ensuite des œuvres dans le musée pour montrer le lien tissé avec cette œuvre.

Mais comme nous avons la possibilité d’imaginer un atelier en lien avec la future exposition de Bill Viola, qui se tiendra au Grand Palais à partir du 5 mars 2014, j’imagine assez bien une dernière séance qui aurait la forme d’un dialogue entre les œuvres du Louvre et celle de Bill Viola.

Inviter les participants à choisir une œuvre d’art importante pour eux, pas forcément une œuvre du Musée, bien au contraire, il peut s’agir d’un film ou d’une chanson, un livre ou une pièce de théâtre, et leur demander de sélectionner ensuite des œuvres dans le musée pour montrer le lien tissé avec cette œuvre.

Le musée a imposé une relation nouvelle avec l’œuvre d’art. C’est un phénomène récent, qui date de la période de la Renaissance et qui n’existe qu’en Europe. Cette relation nouvelle délivre les œuvres de leur fonction, ce que Malraux dans Le Musée imaginaire appelle une métamorphose. Un crucifix n’est plus d’abord un crucifix, un portrait n’est plus un portrait de quelqu’un ; l’œuvre d’art avait toujours été une image - ou de ce qui existe (nature, homme), ou de ce qui n’existe pas (religion, fictions). Or, pour le musée, il n’y a plus ni vénération, ni ressemblance, ni imagination, décor ou possession, mais des images qui diffèrent des choses et qui se trouvent confrontées en tant que telles.

C’est une confrontation de métamorphoses, un concert de mélodies contradictoires, qui marque l’intellectualisation de notre relation à l’art. Le voyage d’art repose sur la mémoire optique qui n’est pas infaillible. Les participants devront donc jouer le jeu du parcours dans le Musée pour tisser entre les œuvres qu’ils choisiront les liens qu’ils y décèlent, manière de raconter une histoire de l’Art qui est surtout leur histoire.

Si nous avons le temps à l’issue d’une séance, je proposerai volontiers aux participants un atelier supplémentaire pendant une des trois premières sénces :

Avec Fantômes de Sophie Calle, la description est protocole même ; ses matériaux sont des « faits réels » : « En octobre 1991, je fus invitée à participer à une exposition au musée d’art moderne de New York. Cinq tableaux de Magritte, Modigliani, De Chirico, Seurat, Hopper ayant été temporairement prêtés ou retirés, devant leurs emplacements laissés vides, j’ai demandé aux conservateurs, aux gardiens et à d’autres permanents du musée de me les décrire et de me les dessiner. J’ai remplacé les tableaux manquants par ces souvenirs. »

Rendu final :

Les textes écrits par les participants lors de mes ateliers seront diffusés sur ce site, mais l’ensemble des textes des participants à l’atelier d’écriture, élaborés à partir des propositions variées des auteurs animant le stage d’écriture numérique, seront présentés de deux façons différentes sur un site créé spécialement pour l’occasion par Joachim Séné : À Louvre-Ouvert. De manière classique, chronologique, regroupés par nom d’auteurs, consignes d’écriture et thématiques d’ateliers, mais également de manière fictive.

Ces textes d’ateliers constitueront en effet à l’issue du stage, un corpus conséquent de textes, d’une écriture au jour le jour, conçue dans l’ignorance de sa centralité et de sa fin, dans l’élaboration d’un texte fragmentaire, ouvert, laboratoire d’écritures et de formes variées intégrant des images, des sons, des vidéos… dont l’interruption est son mouvement.

Pour rendre sensible ce mouvement d’écriture et de lecture, spécifiquement numérique, d’autant plus complexe et ouvert que le lecteur n’est pas invité pour le saisir ou s’en déclarer lecteur, à lire l’ensemble des textes, le site mettra en avant les fragments écrits par chacun des participants, regroupés par mots clés faisant office de connecteurs des textes, en en proposant une lecture sous forme de fiction : la juxtaposition de portraits esquissés d’une phrase, sous la forme d’une énumération dont la propre table des matières devient elle aussi une ouverture sur le monde.

Celle qui dévie le regard lorsqu’elle croise quelqu’un. Celle dont l’humidité fait gonfler les cheveux. Celui qui marche de dalle en dalle en évitant les jointures en ciment. Celui qui fume une cigarette devant l’entrée du Musée. Celui qui pense déjà à son week-end en Bretagne. Celle qui tient deux fillettes par la main et semble être entraînée malgré elle. Celle pour qui la moindre seconde perdue est un drame personnel qui va lui ruiner sa journée. Celle qui fouille encore dans son sac alors qu’elle a oublié ce qu’elle y cherchait.

Parallèlement au site, et si le temps nous le permet, les auteurs proposent la réalisation d’un audioguide, à partir des textes écrits qui seraient lus par leurs auteurs à l’issue de l’atelier et dont les enregistrements sonores seraient répartis sous certaines œuvres du Musée, proposant ainsi une mise en situation géolocalisée dans l’enceinte du Musée du Louvre, par l’intermédiaire de QR codes. Cet audioguide conçu par ses visiteurs / contributeurs permettrait de créer une multitude de trajets : selon leurs déplacements, leur choix de mots clés ou bien la décision de ne suivre qu’un seul des thèmes ou des contributeurs. Peu à peu et selon le chemin qu’ils réaliseraient, une cartographie évolutive du lieu apparaitrait, mêlant les différentes voix et les différents points de vue : historique, scientifique, poétique, artistique, imaginaire, sensible… qui ensemble participent à la construction d’une mémoire, réelle, fictive et potentielle d’un même espace : le musée.


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