Pour Pierre, en souvenir de cette belle promenade...
Ces lieux que l’on connaît par cœur, chemin que l’on emprunte tous les jours pour aller faire ses courses, prendre son métro matin et soir, ces rues que l’on traverse, les visages des personnes qu’on y croise, qu’on salue parfois, les terrasses des cafés, ces lieux que l’on parcourt en tous sens mais qu’on ne voit plus vraiment. De loin en loin on remarque parfois un immeuble, une rue, en travaux, il faudrait prendre le temps de les prendre en photographie, pour garder une trace de ce qui est en train de changer. La ville se transforme lentement et c’est un peu de nous qui se disloque, la ville vieillit avec nous, en nous, et si l’on n’y prête pas attention, à peine si l’on reconnaît ensuite les lieux fréquentés au quotidien. Un jour, on ne s’y sent plus le même, étranger. Comme ce visage dans le miroir qu’on ne le regarde plus depuis longtemps, quand on le voit sur une photo, c’est nous pourtant mais on ne s’y reconnaît pas. Ces traits ne sont pas les nôtres, ne nous ressemblent plus.
J’ai toujours été attirée par l’architecture et par les jeux de lumière dans des volumes clos. J’aime la lumière par-dessus tout. J’aime les histoires, les écouter et les raconter. J’aime les rencontres. Quand une porte s’ouvre vers quelqu’un... Mais, les moments de solitude et de contemplation me procurent un plaisir immense et me permettent de me retrouver. Sur les chantiers de démolition, par tous les temps, je retrouve cet état d’apaisement et de contemplation. Ce qui rend possible l’expérience, c’est la mémoire qui introduit le passé dans le présent et rassemble plusieurs moments du temps en une intuition unique, imprégnée à la fois de passé et de futur. L’exploration émotionnelle de la mémoire me poursuit depuis mes premières photographies. Mémoire d’architectures vides ou vidées, mémoires de villes qui ne gardent du passage des hommes que des traces fantomatiques, mémoire d’instants quotidiens que l’on pense insignifiant. Tout se joue sur cette relation de présence et d’absence. [1]
Un jour on trouve une porte ouverte, porte grillagée qu’on avait pas encore remarquée, on l’ouvre, il suffit de la pousser d’une légère pression de la paume, elle se referme derrière nous dans un bruit métallique, et l’on entre dans un lieu inédit. C’est une dimension si différente de la ville que l’on perçoit dès lors sous un angle radicalement décalé, si différent de celui auquel on est habitué, la ville nous paraît déformée. On marche sur la Petite Ceinture, cette ancienne ligne de chemin de fer à double voie qui faisait le tour de Paris à l’intérieur des boulevards des Maréchaux. Aujourd’hui désaffectée, elle se faufile silencieusement entre les immeubles modernes du quartier, entre les rails et le ballast, les herbes hautes qui ont poussé là en toute liberté, et tout ce que l’on voit autour de nous, rues, immeubles, commerces, voitures et passants, légèrement au-dessus d’eux, et le canal au loin se trouve métamorphosé. C’est notre regard qui change soudain. On ouvre enfin les yeux.
Diaporama sur la démolition de la chaufferie du quai de la Marne en octobre 2011 vue depuis la Petite Ceinture Parisienne
Les lignes de désir est un projet éditorial à dimension protéiforme, autour d’un récit à lecture non-linéaire, un entrelacs d’histoires, de promenades sonores et musicales, cartographie poétique de flâneries anciennes, déambulations quotidiennes ou voyages exploratoires, récits de dérives aux creux desquels se dessinent les lignes de désir.
À voir :
Le site de la photographe Maria Letizia Piantoni ainsi que les photographies de Vincent Prfunner, sur le chantier début octobre 2011.