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Éclatement de la continuité temporelle et fonctionnement fragmentaire de la mémoire comme représentation du monde

« Ce qui a le plus changé dans ma vie, c’est l’écoulement du temps, sa vitesse et même son orientation. Jadis chaque journée, chaque heure, chaque minute était inclinée en quelque sorte vers la journée, l’heure ou la minute suivante, et toutes ensemble étaient aspirées par le dessein du moment dont l’inexistence provisoire créait comme un vacuum. Ainsi le temps passait vite et utilement, d’autant plus vite qu’il était plus utilement employé, et il laissait derrière lui un amas de monuments et de détritus qui s’appelait mon histoire. (...) Peut-être cette chronique dans laquelle j’étais embarqué aurait-elle fini après des millénaires de péripéties par « boucler » et revenir à son origine. Mais cette circularité du temps demeurait le secret des dieux, et ma courte vie était pour moi un segment rectiligne dont les deux bouts pointaient absurdement vers l’infini, de même que rien dans un jardin de quelques arpents ne révèle la sphéricité de la terre. Pourtant certains insignes nous enseignent qu’il y a des clefs pour l’éternité : l’almanach, par exemple, dont les saisons sont un éternel retour à l’échelle humaine, et même la modeste ronde des heures. Pour moi désormais, le cercle s’est rétréci au point qu’il se confond avec l’instant. Le mouvement circulaire est devenu si rapide qu’il ne se distingue plus de l’immobilité. On dirait, par suite, que mes journées se sont redressées. Elles ne basculent plus les unes sur les autres. Elles se tiennent debout, verticales, et s’affirment fièrement dans leur valeur intrinsèque. Et comme elles ne sont plus différenciées par les étapes successives d’un plan en voie d’exécution, elles se ressemblent au point qu’elles se superposent exactement dans ma mémoire et qu’il me semble qu’il me semble revivre sans cesse la même journée. »


Michel Tournier, Vendredi ou les limbes du Pacifique, 1967 (Folio 2008, 218-219). Cité par Jean Prod’hom sur son site Les marges

Revue d’ici là n°7 sur eBouquin.fr

Et si un livre c’était le temps qu’on met à le lire ? se demandait François Bon il y a quelques années sur son site.


« Ainsi, dans cette définition minimum, Don Quichotte ou À la Recherche du temps perdu ne sont pas le même livre selon qu’on les relit et à quel âge de sa vie. Ainsi, le temps pris à relire un Simenon le pose comme livre même dans la notion toute différente que sont les notes de cours de 1927 de Heidegger lentement avancées. 

Ainsi, l’objet ou le support ne modifient-ils pas essentiellement la définition : on peut lire le volume de pages sous reliure pris sur l’étagère ou la table de chevet, mais le continuer dans le métro sur son téléphone portable, le relire sur sa « liseuse » électronique, ou le reprendre plein écran sur son ordinateur de travail, avec les fonctions d’annotation, les liens externes, les recherches plein texte ouvrant sur les autres textes de notre bibliothèque numérique utilisant ce terme. »

Le cinéaste Mike Figgis a déclaré en 2004 : « Il me semble plus intéressant d’établir des connexions entre des images et des évènements en me fondant sur des principes non-linéaires, plutôt qu’en suivant des intrigues pré-formatées. Jean-Luc Godard et Luis Buñuel ont eu une influence colossale ; ce sont les deux maîtres incontestés du genre déconstruit. »

Aléatoire, versatile, déconstruite, virtuelle, non-linéaire, transitoire. Les mots pour décrire l’écriture numérique et ses spécificités ont tous des consonances négatives. Ce que je me disais lundi dernier, en rentrant chez moi, suite aux discussions passionnantes que j’avais eu dans l’après-midi avec Gwen Catala tout d’abord, qui m’avait présenté La corde à linge de Jean-Jacques Birgé dont il avait créé la version ePub pour iPad, puis dans la soirée avec Ulrich Fischer, le créateur du projet Walking the edit.

Walking the edit, Ulrich Fischer

« C’est un livre qui se lit sur écran, décrit son auteur Jean-Jacques Birgé sur son site, dont les 47 photographies en couleurs font partie intégrante du récit et que le son vient éclairer d’un jour nouveau. D’une certaine façon ce premier roman pourrait aussi répondre à la dénomination d’un drame musical instantané ! »

« Pas possible d’entrer dans l’invention sans expérimenter directement l’invention de ce nouveau lire/écrire dans toutes ses formes, écrit François Bon, et notamment dans l’impossible division, désormais, du site et du livre, de nos blogs, carnets et des formes plus stables que nous lançons en circulation sous le nom de livre numérique. »

La corde à linge de Jean-Jacques Birgé, Publie.net

C’est ce qu’on expérimente au quotidien dans nos sites. Depuis longtemps l’écriture numérique est une écriture fragmentée, fonctionnant par série et récurrence, élaboré directement au format html, avec ajout systématique de photographies, de vidéos et de sons, enchevêtrement et résonance de tous ces médias entre eux. Les textes sont reliés les uns aux autres par de très nombreux liens hypertextes permettant circulation et lecture non-linéaire, ainsi que par des
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Dans l’introduction de Sites et écritures diffusé sur Publie.net, François Bon écrit : « Ce que change Internet, ce n’est pas rapport au livre, c’est notre rapport au monde. Quelles conséquences pour nos récits, nos fables, comment les inventer, les transmettre ? »

« Le site peut dès lors devenir il me semble, écrit Arnaud Maïsetti, une sorte d’espace hybride entre le volumen et le codex : du volumen, il tire la possibilité d’une lecture continue par page, descendante, verticale, d’une haleine. Mais par le jeu multiple des mots clés, de passerelles, de liens, de rubriques, d’indexation, de glossaire, le site renouvelle l’invention du codex qui était le numéro de page. »

Le texte linéaire dont la forme est la plus répandue et la plus célèbre est le roman, de sa lecture naissent divers récits pour le lecteur, car l’auteur, de son côté, ne peut revenir à rebours. L’auteur s’efface derrière le lecteur. La lecture est l’interaction dynamique entre le texte et le lecteur.

L’auteur ne sollicite l’interactivité que par jeu, collage, boucles... L’interactivité est l’activité de dialogue entre le lecteur et l’information fournie par la machine qui permet d’utiliser un mode conversationnel. L’œuvre imprimée ne produit seulement qu’une action réciproque, l’œuvre interactive modifie la réciprocité parce qu’un dialogue s’établit, non pas entre la machine et le lecteur mais bien entre l’auteur et le lecteur notamment par l’utilisation des commentaires, des réponses, de la messagerie.

Même si le lecteur a la possibilité de choisir entre plusieurs variantes possibles, la structure du texte est définie en amont par l’auteur. Ce qui change, c’est que le plan n’est plus linéaire mais établi suivant un quadrillage, une arborescence.
Dans l’article qu’il consacre à Peter Meyers d’O’Reilly Media qui s’est lancé dans l’écriture d’un livre, Breaking the Page (Casser la page), où, en ligne, billet après billet, il pose des questions percutantes sur la conception de nos livres numériques, Hubert Guillaud rappelle sur son blog que son propos est d’interroger ce qu’on peut faire avec le livre numérique et qu’on ne peut pas faire avec le livre imprimé.

« La forme dominante du livre imprimé est linéaire, écrit Peter Meyers. L’écrivain écrit 384 pages et le lecteur lit 384 pages, l’une après l’autre. En termes formels, j’imagine cela comme une ligne droite, une courbe peut-être si vous voulez mettre en avant l’arc narratif (l’introduction, l’exposition, les conflits, la résolution, le dénouement). Le chemin est fixé par l’auteur qui lui-même travaille dans les limites imposées par la pagination et le livre relié. »

Or rien de tout cela n’est désormais nécessaire. Les capacités de défilement, les liens hypertextes, les combinaisons multimédias sont autant d’options avec lesquelles il va nous falloir apprendre à travailler autrement - mais aussi disposer d’outils pour travailler autrement - et force est de reconnaître que le monopole du traitement de texte, linéaire, ne facilite pas de nouvelles formes de compositions. Plus que les outils de lecture, c’est peut-être bien les outils de création qu’il faut interroger, comme nous y invite François Bon dans Après le livre.

« C’est que les marges d’un livre ne sont jamais nettes ni rigoureusement tranchées : par-delà le titre, les premières lignes et le point final, par-delà sa configuration interne et la forme qui l’autonomise, il est pris dans un système de renvois à d’autres livres, d’autres textes, d’autres phrases : noeud dans un réseau. »

Michel Foucault, L’Archéologie du savoir, Paris, Gallimard.

En avant marge, diffusé sur Publie.net, est constitué des blocs issus de lectures versatiles : un livre est tout entier contenu dans une de ses pages. Ces blocs tissent entre les lignes espacées de nos lectures, les trames d’un récit chaque fois renouvelé, son écriture en marge. « Le parcours de ces blocs d’écriture forme une lecture entre les lignes des livres de chevet, écrit François Bon, qui nous accompagnent au quotidien, et dont on n’achève jamais vraiment l’inépuisable lecture.

«  Une fiction

Le texte est une fiction au service du sens. Par un supplément de simulacre et de fermeture qui semble s’engager avec la transformation du dehors. Une autre mise en place. Par exemple le jeu, le travail de cette feinte. Il n’y a rien hors du texte. »

La construction hypertextuelle est par nature non-linéaire ou plus exactement non uni-linéaire : plusieurs parcours sont possibles. En revanche la "lecture", ou la consultation, d’un hypertexte se fait de manière linéaire et séquentielle. Comme le soulignent Marie Redmond et Niall Sweeney :

« L’expérience que l’on fait avec une présentation multimédia est un événement linéaire. Cependant, l’information contenue dans la présentation n’est pas écrite ou stockée de manière linéaire. Le défi le plus important dans la production multimédia est de savoir comment écrire et organiser l’information dans une forme non linéaire pour une lecture linéaire. »

L’écriture linéaire, ou la structuration linéaire des informations, est liée à la tradition du récit écrit en occident. Dans le récit africain, ou dans d’autres traditions orales, on note une construction en "incises" dans laquelle des morceaux de récits s’emboîtent les uns dans les autres, renvoyant les uns aux autres.

Une expérience de lecture numérique innovante : Comment écrire au quotidien : 365 ateliers d’écriture, Publie.net.

Le texte peut se lire comme un texte poétique sur l’écriture, de façon linéaire (du premier au dernier atelier, mais on peut aussi les lire de façon non-linéaire. Mais ce texte poétique qui reprend l’ensemble des pistes d’écriture proposées lors des ateliers, permet, en cliquant sur le titre de l’ouvrage et de son auteur, d’ouvrir une nouvelle fenêtre tout en restant à l’intérieur de l’ouvrage (sans en interrompre la lecture comme cela arrive trop souvent avec des liens qui obligent de sortir de l’outil de lecture pour se connecter à Internet), et de permettre la découverte de l’intégralité des 365 ateliers d’écriture mis en ligne initialement sur Internet, comprenant la présentation du texte, de son auteur, un extrait, des liens pour en savoir plus sur ce texte, ainsi que la consigne d’écriture.

On entre dans le texte par différentes portes d’entrée qui sont autant de pistes de lecture variées : le menu par image, les index (auteurs, thèmes), le sommaire.

Collages et fragments littéraires

« On parle de collages, tantôt comme d’une activité artistique précise, tantôt comme d’une métaphore approximative, quand on n’en n’arrive pas à la généralisation extrême du « tout est collage ». Il n’en demeure pas moins qu’il existe, un procédé technique spécifique du collage, qui constitue une des principales innovations du XXe siècle. »

La technique du collage consiste à prélever un certain nombre d’éléments dans des œuvres, des objets, des messages déjà existants et à les intégrer dans une création nouvelle pour produire une totalité originale où se manifestent des ruptures [discordances] de types divers.

Cette définition, très générale, décrit une technique en deux temps, dont le résultat est pour le spectateur ou le lecteur la perception d’une discordance ou de discordances à travers la totalité, artistique ou littéraire, qu’est devenue l’œuvre nouvellement réalisée.

L’écriture fragmentaire est une technique d’écriture érigée en éthique pratiquant tous les genres, elle échappe à tout système et remet en cause toutes les certitudes de la littérature.

J’emploie et transforme tour à tour, dans mes différentes œuvres, la citation, l’emprunt, le centon, le cut up, l’échantillonnage, le collage, autant de lieux textuels où se pose de manière décisive la question de l’origine, qui permet de voir comment son écriture s’articule par ce biais à une interrogation capitale sur le sens même du sens de la littérature.

L’art de la ponction. Effectuer des prélèvements. Capturer des choses et les travailler. C’est un moyen de souligner la problématique de l’origine.

L’origine est à la fois constamment exhibée et mise sous rature (on sait que toutes les phrases de ces œuvres sont citées, ce sont des bribes d’autres films, des fragments de conversations, d’images prélevées, on ne sait pas vraiment d’où elles viennent). Il en résulte une quête doublement impossible à clore : on ne saura jamais identifier toutes les sources (cela dépasse tout simplement les capacités de n’importe quel lecteur ou spectateur), on ne saurait pas non plus s’abstenir de les chercher (ne fût-ce que parce que très régulièrement on bute sur des sources, différentes selon les personnes bien entendu, qu’on reconnaît ou croit reconnaître).



Le cinéaste belge Patric Jean s’intéresse aux nouvelles formes d’écritures Web, il se consacre essentiellement au film documentaire mais prépare plusieurs projets de fiction et des expériences Web.

Dans son article Écriture non linéaire et art du réel, il affirme que « la linéarité a organisé toutes les sociétés écrites : récits, littérature, histoires familiales, textes religieux, cinéma, biographies sont autant de façon de raconter des éléments placés le long d’un fil linéaire et pris dans un support aussi linéaire (le livre, la bobine de film, la cassette vidéo). Dieu a fait le monde en six jours et s’est reposé le septième, jamais le troisième ou le cinquième. Une vie se raconte par le fil qui va de la naissance à la mort. Sauf erreur, tous les spectateurs voient dans le même ordre les bobines d’un film, dans toutes les salles de cinéma du monde. »


Un monde de fragments indéfiniment recomposables !

Le monde nouveau est un monde de fragments juxtaposés, indéfiniment recomposables, sans que soit nécessaire ou désirée la compréhension de la relation qui inscrit ces fragments dans l’œuvre dont ils ont été extraits. On m’objectera qu’il en a toujours été ainsi dans la culture écrite, non pas seulement par des œuvres qui supposent le processus de la reliure, mais par des recueils d’extraits des anthologies, recueils de morceaux choisis, c’est vrai. Mais, dans la culture de l’imprimé, le démembrement des écrits qui nourrit ces recueils d’extraits, de lieux communs ou de morceaux choisis, est accompagné de son contraire, leur circulation dans des formes qui respectent l’intégrité des œuvres et qui parfois les rassemble dans des œuvres complètes. De plus, dans le livre lui-même, même s’il est de nature ou de structure anthologique, les fragments sont nécessairement, matériellement rapportés à une totalité textuelle toujours reconnaissable.

Webobjet, d’Alain François sur Publie.net : Un an de journal quotidien. Mais pas de n’importe quel journal : Alain François est artiste plasticien et photographe. Il a 41 ans. Il se donne un an pour une mise en cause complète, retour à l’université, à la lecture.

D’autre part, Alain François est de cette génération des inventeurs du web : il a fondé entre autres Le Portillon, important carrefour de création et de critique.
Son journal, nous seront quelques-uns à le suivre par autorisation spéciale. Il s’agit d’un site Internet "sans lien", site auquel rien nulle part n’indique ni ne renvoie, inaccessible si on n’en a pas l’adresse. Une bulle complexe, en expansion permanente, flottant quelque part dans la grande nuit des réseaux.
Pourtant, une seule page html, qui se développe, avec des embranchements, des emboîtements, des échanges de courriers, des vidéos et des sons, des récits et des photographies.

Et ce n’est pas non plus une année banale : ce qu’on met en pratique, c’est les arts numériques, et leur théorie, via lecture de Derrida ou Debord, et la constitution du site, en abîme, est l’objet qu’on décrypte à mesure qu’on l’élabore. C’est l’autre dimension parfaitement originale de ce travail : l’objet du récit, c’est le web lui-même.

« Qu’est-ce qui a changé ? demande Roger Chartier dans l’article qu’il consacre au dernier livre de François Bon, Après le livre. Pour lui, ce n’est pas tant le livre que l’au-delà du livre. Entendons la totalité des rapports à l’écrit. Ce qu’il désigne comme « l’écriture web » en permettant conversation et débat sur la même « page » que le texte qui en est l’objet, efface le cloisonnement entre écrire et lire, favorise une écriture collective et fait perdre à l’écrivain solitaire sa souveraine autorité. Ce nouveau mode de publication donne à lire des œuvres dans leur mouvement, non dans leur fixité, dans leurs étapes successives en les désignant comme toujours ouvertes. De ce fait, il abolit la distinction tranchée entre brouillons successifs et le texte « définitif ». »

Depuis mon premier texte Le spectre des armatures, publié par Le Quartanier, je travaille sur cette fragmentation du puzzle de la mémoire, morcelage et rassemblage de fragments au détriment d’un enchaînement d’images et des sons comme dans la narration classique.

L’éclatement de la continuité temporelle de mes textes rejoint en effet le fonctionnement fragmentaire de la mémoire. Si on le dérègle le mécanisme de la mémoire peut servir à toute autre chose qu’à se souvenir : à réinventer la vie, et finalement vaincre la mort. « La spirale du temps n’arrête pas d’avaler le présent, écrit Chris Marker, et d’élargir les contours du passé. »

Chaque détail d’un ensemble en répète la configuration générale, jusqu’à l’infini, l’univers s’enroulant sur lui-même sans pour autant imploser.

Dans Deux temps trois mouvements, diffusé sur Publie.net en 2010, j’ai cherché à faire émerger une nouvelle logique par la juxtaposition de matériaux composites. Fragments de textes piochés un peu partout. Procéder par prélèvements, détournements, abstractions successives, c’est se donner une chance d’échapper à la falsification générale.
Au lieu de publier les deux années du journal de manière consécutive, j’ai choisi de confronter les textes en diffusant sans date mais de manière chronologique l’ensemble des textes de mon journal des années 2005/2006 en les juxtaposant les uns aux autres. Et cette superposition provoque d’étonnants résultats et d’enseignements, échos troublants, répétitions temporelles, et quelques décalages imprévus. Une réflexion sur le temps qui est le propre de tout journal.

Il y a cependant, dans la contrainte d’une écriture au quotidien, un défi. Faire que ces textes soient des franchissements qui m’emportent où je n’ai pas prévu, là où on ne va pas avec sa raison ni même l’intuition.

Il faut rendre sous forme de mouvement ce qu’on a emprunté, et c’est ainsi qu’on devient peut-être libre.

Quelque chose dans cet assemblage reste volontairement mal recousu, dépareillé. Ce caractère épars colle évidemment à la représentation du monde.

On cesse alors de voir le monde comme une juxtaposition de choses séparées, et on cherche à relier ce qui est disjoint.

Mort d’un père, de Martine Rousseau, sur Publie.net : « Le deuil, mais aussi l’envers du deuil », écrit François Bon dans sa présentation du texte.

« En cela, non pas l’expérience de l’autre, l’expérience autobiographique de l’auteur, mais notre propre expérience à tous : le deuil est aussi l’ouverture d’une enquête. Notre liberté d’aller vers la part inconnue du visage disparu. »

Martine Rousseau est la fondatrice du blog Langue Sauce Piquante, dans lequel les correcteurs du journal Le Monde nous initient à tant de secrets de la langue. Ici, elle l’affronte pour elle-même. Texte semé ou troué de photographies d’archives familiales qui multiplient le chemin, et déplient le texte dans un univers numérique qu’on découvre comme en relief (création epub Gwen Catala).

Dans son article Les récits littéraires interactifs, Serge Bouchardon décrit ainsi le premier roman combinatoire publié en 1962 aux éditions du Seuil :

« Marc Saporta propose dans Composition n°1 un exemple de combinatoire totale, sans doute unique dans l’histoire du roman. Brisant les habitudes de lecture et les contraintes liées aux caractéristiques matérielles du livre relié, l’auteur présente son œuvre sous la forme d’une pochette contenant 150 feuillets détachés. Chaque feuillet constitue un module romanesque. Dans sa préface, l’auteur indique que « Le lecteur est prié de battre ces pages comme un jeu de cartes. De couper, s’il le désire, de la main gauche, comme chez une cartomancienne. L’ordre dans lequel les feuillets sortiront du jeu orientera le destin de X. Car le temps et l’ordre des événements règlent la vie plus que la nature de ces événements. » Le nombre de combinaisons possibles (150) est de nature à décourager toute tentation de lecture exhaustive. »

« Le texte, rappelle Marie D. Martel (Bibliomancienne) dans l’article qu’elle consacré à l’édition numérique de Composition n°1 de Marc Saporta, et qui fait écho à la présentation de l’ouvrage que j’ai proposée ici, n’est qu’un des véhicules possibles de l’œuvre littéraire qui peut aussi consister en images, vidéos, en sons, en règles de combinaisons d’unités multimédias, en nœuds de mémoire, etc. »


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