Imaginée par l’artiste Ugo Rondinone, comme une œuvre à part entière prenant la forme d’une déclaration d’amour, l’exposition I Love John Giorno au Palais de Tokyo est la première grande rétrospective dédiée à la vie et à l’œuvre du poète américain John Giorno, né en 1939 à New York où il vit.
Les huit chapitres de l’exposition représentent chacun une facette de l’œuvre foisonnante de John Giorno, et dressent son portrait, à l’image des premiers films d’Andy Warhol, parmi lesquels le célèbre film-perfomance Sleep dans lequel il tient le rôle du dormeur, ou lorsque John Giorno s’inspire de la libre appropriation des images du Pop Art et capture sur le vif la langue populaire des publicités, de la télévision, des journaux et de la rue. Une des figures les plus marquantes au début des années 1960. Dans la lignée de la Beat Generation, il renouvelle le genre de la « poésie trouvée » et œuvre pour rendre la poésie ouverte à tous.
Dès le début des années 1960, Giorno conçoit le poème, ses litanies incandescentes qui se succèdent en se superposant, s’interpénétrant sans cesse, qu’il rédige pour les lire lui-même face au public, comme un virus qui doit se transmettre au plus grand nombre, cherchant toujours à faciliter le passage du texte à son récepteur. Il crée ainsi Dial-A-Poem (1968) / Appelle un poème, un service téléphonique qui permet l’écoute de poèmes, œuvres sonores, chansons, les luttes sociales et discours politiques.
La version originale de Dial-A-poem / Appelle un poème est réactivé à l’occasion de l’exposition, enrichie de voix françaises retraçant ainsi plus d’un siècle de poésie sonore, de 1915 à nos jours. Il vous suffit de compose le numéro de téléphone gratuit 0800 106 106. Les morceaux diffusés de façon aléatoire reflètent la diversité de registres défendue par Giorno, de Antonin Artaud à Louise Bourgeois, Serge Gainsbourg, Simone de Beauvoir, Bernard Heidsieck, ou Brigitte Fontaine.
Deux performances de John Giorno sont présentées dans le cadre du Festival d’Automne à Paris. La première qui permettra de découvrir John Giorno Live, de et avec John Giorno, le 18 novembre 2015, à 19h au Palais de Tokyo.
La seconde, Street Works, de John Giorno, proposé pendant toute la durée de l’exposition. Il s’agit d’une distribution continue et en rollers de poèmes de Giorno aux visiteurs et passants des alentours du Palais de Tokyo. Elle réactive sa participation aux performances du même nom, initiées en 1969 dans les rues de New York par un groupe d’artistes et de poètes.
Qu’ils soient enregistrés sur un disque, peints sur une toile, déclamés sur scène ou déstructurés sur la page d’un livre, les poèmes sont considérés par Giorno comme des images, dont la reproduction par la technologie est sans limite. « À l’ère du sampling, du copier-coller, de la manipulation digitale du texte et de l’art de l’appropriation - qui trouve son apogée dans le hip hop et l’orgie textuelle du web - le monde rattrape enfin les techniques et les styles dont Giorno fut le pionnier il y a plusieurs décennies ». [1]
À la croisée de la poésie, des arts visuels, de la musique et de la performance, l’exposition révèle l’influence marquante de la vie et de l’œuvre de Giorno sur plusieurs générations d’artistes.
Le Palais de Tokyo présente par ailleurs la première exposition personnelle en France de l’artiste islandais Ragnar Kjartansson (né en 1976, vit à Reykjavik), dont l’œuvre singulière se situe à la croisée de la performance, du théâtre et du cinéma, de la sculpture et de l’art lyrique, de la peinture de plein air et de la musique. Seul celui qui connaît le désir, c’est le titre de l’exposition, reprend un poème de Goethe. Parallèlement à la présentation d’œuvres anciennes mettant en scène filiation et ressassement, l’artiste propose des productions récentes. Empreinte de l’humour propre à l’univers de l’artiste, l’exposition explore de façon poétique et surprenante la vie quotidienne occidentale, brouillant les frontières entre réalité et fiction.
Ragnar Kjartansson a conçu plusieurs œuvres inédites pour cette exposition. L’œuvre la plus impressionnante s’intitule Bonjour (2015), performance qui fait se répéter chaque jour, pendant toute la durée de l’exposition, la rencontre fugace, sur une petite place de province au milieu de laquelle se trouve une fontaine, entre un homme et une femme qui quittent leurs demeures pour croiser leurs regards et se dire Bonjour à intervalles réguliers, dans un décor à l’échelle 1. « La répétition, écrit Smaranda Olcèse dans le Magazine Inferno, est un élément essentiel de sa pratique qui lui permet d’infléchir le temps linéaire, de dilater de manière encensée un élément narratif et de le transformer en véritable situation performative. »
Scenes from Western Culture [Scènes de la culture occidentale] (2015), est une installation vidéo présentant un ensemble d’une dizaine de films courts, variations autour de sujets du quotidien : une séance de nage dans une piscine au rythme des aboiements d’un chien, un déjeuner au restaurant entre un couple, une horloge qui sonne, des enfants qui jouent dans un jardin, un chalet qui brûle dans la campagne, un couple qui fait l’amour.
Chaque vidéo fonctionne comme un fragment de scénario dont le sens global nous serait caché, rappelant les peintures ambigües de Jean-Antoine Watteau qui superposent les niveaux de narration. Un ensemble de peintures cinématiques et idylliques qui tout à la fois célèbre et déplore les désirs produits par la culture occidentale.
Seul celui qui connait le désir (2015) est composée de grandes peintures qui représentent des glaciers et des roches enneigées, rappelant la tradition théâtrale du décor peint.
Le projet d’exposition conçu par Ragnar Kjartansson pour le Palais de Tokyo succède à une importante série d’expériences inspirées de World Light [Lumière du Monde] (1937-1940), le roman épique du Prix Nobel Halldór Laxness. Considéré comme le chef d’œuvre de cette figure incontournable de la littérature islandaise du XXème siècle, et comme une sorte de bible pour de nombreux artistes islandais, l’ouvrage relate l’histoire tragique et éminemment romantique d’un poète maudit.
« Ce roman, déclare Kjartanssonn a sculpté mon rapport à l’art et plus généralement ma vision du monde. C’est à la fois une ode à la beauté et sa propre déconstruction. »
Pour le titre de son exposition au Palais de Tokyo, l’artiste reprend un poème de Goethe. Objet complexe à la croisée de la littérature et de la musique, ce poème a connu différentes adaptations et traductions. Issu d’un roman d’apprentissage, il est devenu une composition musicale par Tchaïkovski (1869), puis une chanson interprétée par Frank Sinatra en 1949.
[1] Marcus Boon, « Introduction », in Subduing Demons in America, Selected Poems 1962-2007, Soft Skull Press, New York, 2008, p.X.