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Le film des films

Depuis un an je travaille à l’assemblage, la réappropriation d’une sélection de films dans le cadre d’un projet d’abécédaire de la préposition ou film des films. Deux fois par mois, je diffuse sur mon site, un montage d’extraits de films (à partir d’une sélection d’une centaine de mes films préférés : fiction, documentaire, art vidéo) assemblés autour d’un thème. Ces films d’une quinzaine de minutes, sont accompagnés par l’écriture d’un texte de fiction.

J’ai beaucoup été au cinéma dans ma jeunesse, je n’y vais plus beaucoup désormais. Mais je ne pouvais pas manquer le film de Frank Beauvais : Ne croyez surtout pas que je hurle. Ce film est un essai cinématographique, un journal de bord, un livre d’images. Le cinéaste y a réuni des plans issus de plus de 400 films sur lesquels il a monté en voix off, le récit autobiographique qui évoque les jours sombres qu’il a traversés en 2016. Il y exprime le désarroi dans lequel il était plongé, seul, isolé dans un village alsacien après une rupture amoureuse, terrifié par le climat sécuritaire qui régnait alors dans une France en état d’urgence. Ce cri de rage désespéré, ce bouleversant désir de retour à la vie d’un cinéphile reclus, est également publié sous la forme d’un livre édité par Capricci.

Né en 1970, Frank Beauvais est sélectionneur au festival Entrevues de Belfort de 1999 à 2002. Ne croyez surtout pas que je hurle est son premier long métrage après avoir écrit et dirigé huit courts métrages.

Janvier 2016. L’histoire amoureuse qui m’avait amené dans le village d’Alsace où je vis est terminée depuis six mois. À 45 ans, je me retrouve désormais seul, sans voiture, sans emploi ni réelle perspective d’avenir, en plein cœur d’une nature luxuriante dont la proximité ne suffit pas à apaiser le désarroi profond dans lequel je suis plongé. La France, encore sous le choc des attentats de novembre, est en état d’urgence.



La forme qu’invente Frank Beauvais, l’objet cinématographique inédit qu’il nous propose, s’accorde avec cohérence à son propos, à sa démarche si juste, intime et en même temps universelle. Elle s’inscrit totalement, quoi qu’en disent ceux qui sont déstabilisés par le film, avec nos habitudes de lecture et d’attention versatiles, en ligne notamment, à l’ère du zapping et du sampling. Le puzzle d’images animés en arrière fond de la voix off qui nous raconte l’histoire d’un homme en crise, dans une société en crise, n’illustre en aucun cas le propos, il s’agit plutôt d’une constellation d’échos, de correspondances de prolongements silencieux, de soulignements discrets, de contre-pieds, qui permettent d’entendre et de comprendre, de l’intérieur, la plainte de cet homme, sans tomber dans le voyeurisme ou risquer l’ennui. C’est un récit de soi dans lequel on se projette aisément, comme une déclaration d’amour au cinéma.

Les 400 films visionnés lors de sa dépression constituent un corpus que le cinéaste va patiemment découper selon le principe du found footage, un collage bout à bout d’extraits cinématographiques, afin de composer des fragments associés et confrontés en même temps à la lecture du texte qui relève du journal intime.

« Un état des lieux, un état du monde, un état intérieur, comme l’écrit dans sa préface au livre Bertrand Mandico, celui d’un cinéphile qui trouve refuge dans la boulimie des films, des musiques stupéfiantes, pour ne pas sombrer, pour ne pas couler à pic dans la trivialité du réel. »

La forme du clip, à laquelle nous sommes habitués depuis longtemps, est détournée dans le film Ne croyez surtout pas que je hurle, pas une musique pendant tout le film, c’est la voix off qui la remplace. L’inventivité du montage reprend celle des films musicaux. En 2009, Frank Beauvais réalisait d’ailleurs un film sur le même modèle que son dernier film, Un 45 t. de Cheveu, pour le groupe Cheveu (Born Bad Records) comprenant les titres Like a deer in the headlight et C’est ça l’amour, issus de leur EP de 2009.


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