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Prototype d’application mobile des Lignes de désir

« Certains lieux sont particulièrement actifs, révélant des parties de nous-mêmes que nous ignorions ; c’est ce que j’appelle leur « génie », m’appuyant sur la tradition latine. Souvent c’est parce qu’ils sont façonnés par l’homme, qu’ils sont la matérialisation d’une culture ou d’une époque. Parfois un grand artiste, un architecte par exemple, les a façonnés ; mais la plupart du temps ils se sont mis à plusieurs et les époques se superposent. Parfois ce sont des écrivains qui ont décrit telle ville, et dont nous avons l’impression de retrouver le texte à tous les coins de rues. »

Michel Butor par Michel Butor, Seghers, 2003

Quai d’Anjou, août 2016

Les Lignes de désir a longtemps eu l’ambition d’être un projet éditorial à dimension protéiforme construit autour d’un texte non-linéaire dont les différents supports de publication en transformerait la structure et la réception. Je voulais voir ainsi comment une même histoire, celle d’un homme qui traverse la ville d’un bout à l’autre, à la recherche de la femme qu’il aime et qui a disparu, dans les lieux qu’ils avaient l’habitude de fréquenter à Paris, pourrait changer de forme à travers différents supports d’édition.

  • d’un livre imprimé, édité par un éditeur qui ne retiendrait qu’une sélection aléatoire dans l’ensemble des fragments écrits (et à chaque nouvelle impression, une nouvelle version créant ainsi autant de versions collectors de ce récit).
  • d’un livre numérique diffusée sur Publie.net (avec ordre non-linéaire des pages du récit).
  • d’un texte sous forme de cartes à jouer (tirage limité façon livre d’artiste), à partir d’une sélection de textes ayant pour thème le visage (série en cours d’écriture.
  • d’une installation sonore (associée à des lectures avec tirage aléatoire du texte (comme au cipM à Marseille) et des performances régulières (sous forme de visites guidée, notamment). À partir des deux pièces sonores réalisée sur France Culture. Dialogue d’un homme et une femme, entre le jour et la nuit (comme celle de La Commanderie à La Commande, à l’initiative de l’association accès(s) dans le cadre des Chemins électroniques
  • et d’une application pour les plateformes Android et iOS au format smartphone uniquement, permettant d’écouter le récit tout en marchant dans l’espace même de son déroulement (l’île Saint-Louis), une écoute mobile de l’histoire permettant d’éditer à l’issue de son itinéraire, selon le chemin suivi, un récit inédit, un parcours poétique original.
Sur le plan chercher la voie à suivre, Square de Barye, sur l’île Saint-Louis

En travaillant sur le dispositif transmédia proposant d’explorer le récit interactif sous forme de narration combinatoire élaboré à partir d’une base de données géolocalisées de textes se présentant sous la forme d’enregistrements sonores offrant à l’utilisateur une ballade immersive sans pour autant lui dicter un quelconque chemin à emprunter, le projet a sensiblement évolué. C’est le dispositif interactif dans sa dimension sonore qui prend désormais le pas sur l’expérience éditoriale et la réflexion autour du livre numérique.

Les lignes de désir se présentera sous la forme d’un texte lu par un acteur. Dans la version du prototype, j’ai enregistré l’intégralité des textes (dont une partie est disponible sur SoundCloud). Une voix nous raconte l’histoire dans les lieux traversés et dont la dynamique et le développement narratif « épouse » votre comportement, il suffit de se mettre en mouvement, de traverser la ville, de déambuler sur l’île pour découvrir les histoires de ce couple qui se sont connus dans cet endroit. Il vous parle, mais jamais directement, comme s’il était votre confident. Sa voix est neutre, il est à la fois le narrateur de cette histoire, la voix des personnages d’Octave le photographe, de Nora la jeune comédienne, et de son auteur. L’histoire s’adapte à votre itinéraire et à votre vitesse. Vous vivez une expérience personnelle, potentiellement unique.



L’utilisateur se trouve constamment entouré par le son lors de son périple, il expérimente ainsi diverses textures sonores, la voix humaine qu’il entend lui raconter une histoire par bribes éparses, se mélange aux sons de la nature environnante (le vent dans les arbres, le fleuve et ses ressacs), et aux bruits urbains (les voitures, les motos, les bateaux, les avions, les chantiers de construction, les voix des passants, etc.).

Les images existent déjà autour de nous. La mémoire visuelle du territoire que l’on traverse remonte à la surface, on entend, dans l’intimité des oreillettes du casque audio, les sons qui se confrontent au lieu traversé, les soulignent parfois en arrière-plan, y font écho ou le perturbe en le troublant, entrent cependant en correspondances.

Même si j’ai essayé de dresser une typologie de dispositifs sonores urbains afin de délimiter l’utilisation habituelle de la géolocalisation pour mieux la détourner, je me rends compte, à travers les premiers retours des personnes qui découvrent le projet, mais également en expérimentant moi-même le prototype d’application mobile développé par David Hodgetts et Olivier Evalet pour tester sa mécanique technique, que ce qui constitue l’originalité de mon projet n’est pas toujours bien comprise, sans doute parce qu’elle n’est pas encore suffisamment claire.

En marchant sur l’île Saint-Louis

On ne sent pas assez par exemple l’interaction entre nos mouvements, le rythme de nos pas, le lieu et les textes qu’on entend. Si je change de trottoir, si je rectifie ma direction, je ne sens aucune réelle différence, et c’est assez décevant pour l’utilisateur qui du coup a l’impression d’écouter un récit qui évolue seulement en fonction de sa géolocalisation. La lecture des textes se poursuit sans que je me rende compte d’un changement. C’est satisfaisant pour la continuité de l’expérience, pas de sautes en effet, ni d’interruptions dans le récit, par contre l’interaction de l’utilisateur au centre du dispositif devient inopérante, et vu que c’est l’utilisateur qui écrit le récit et le personnalise par ses mouvements et son attitude générale, il faut absolument qu’il en ait conscience et le perçoive sensiblement au fil de son itinéraire. Il nous faut donc trouver un moyen technique pour accentuer l’interaction du dispositif.

J’ai pu me rendre compte, en effectuant ces tests, que les fragments de textes sont relativement courts, mais on a tendance à marcher vite au début de l’expérience, on pratique beaucoup de chemin en écoutant finalement assez peu de l’ensemble des textes.

Je me demande par exemple si la notion de marche rapide ou de marche lente, dont je souhaitais me servir au départ, en influant sur le type de textes que l’utilisateur écouterait, est viable par rapport à ce que le moteur alimenté par le flux de position GPS est capable de saisir et de traduire en données ?

Un parcours d’une heure sur place (j’imagine que la plupart des personne passeront 30 minutes environ à marcher sur l’île, les plus courageux et les passionnés peut-être 1h30) : soit l’écoute de 80 textes dans leur intégralité (sur un total de 365).

J’ai eu la confirmation qu’il manquait des indications sur le parcours effectué et celui qu’il restait à parcourir. Il n’y a pour l’instant (mais le prototype va très vite évoluer) que le passage d’une zone à l’autre qui est visible, où l’on peut voir la liste des fragments de textes se charger et être diffusé. Il faudrait y remédier avec le travail sur le design de l’application pour optimiser l’expérience utilisateur. Mais peut-être également dans le texte lui-même, en créant des textes intermédiaires.

Capture d’écran du prototype de l’application réalisée par David Hodgetts

Dans l’état actuel du prototype les fragments sont affichés par zone au moment où l’utilisateur entre dans celle-ci et où le moteur peut les proposer à l’écoute. Et quand ils ont été lus, une marque le signale. Je pense que ce n’est pas cela qu’il faudrait montrer dans la version « finale » car ce n’est pas le plus intéressant, mais il faut en tout cas garder un aspect graphique très simple et épuré à l’ensemble.

Je me suis rendu compte enfin en testant in situ sur l’Ile Saint-Louis le prototype, que je ne passais pas totalement inaperçu. Pour des raisons techniques je devais garder allumé mon smartphone afin que la lecture ne soit pas interrompue, du coup je tenais le smartphone à la main, le fil blanc de mes écouteurs visible devant moi. J’ai croisé de nombreuses personnes à la recherche de Pokemons avec l’application Pokemon Go et je donnais parfois l’impression de les imiter et non pas celle d’écouter un récit tout en me promenant. J’ai croisé également quelques guides touristiques sur l’île, leurs visiteurs me regardaient avec curiosité quand je les croisais dans la rue comme un touriste qui écoute à l’aide d’un audioguide une voix lui décrire les œuvres d’art du musée qu’il visite.

Test de l’application quai d’Anjou sur l’île Saint-Louis

Comme le précise Ulrich Fischer sur son blog, « cette première mouture n’est pas encore utilisable par le public – il s’agissait principalement de valider les aspects suivants :

  • Consistance de l’expérience mobile (flux audio ; précision de la localisation)
  • Pertinence du découpage par zones et des arcs narratifs
  • Solidité et évolutivité du workflow global, de l’édition artistique à l’expérience mobile – tout en étant le plus économique que possible… »

Des futurs tests vont nous permettre de préciser et d’affiner les critères et les règles de jeu du dispositif.

Les prochaines étapes concernent le design de l’expérience mobile à proprement parler (UI/UX), la visualisation des données, des images en lien avec les fragments audio et surtout une valorisation de l’expérience de l’utilisateur à travers des mécaniques d’engagement actif (création de contenus) et de partage.


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