À l’issue de nos sept premières séances d’atelier, nous allons entamer la phase finale de l’écriture du récit, en écrivant un texte composé à partir de l’ensemble des textes écrits lors des précédentes séances. Nous associerons ensuite les captures d’images des villes de chaque participant sur Street View, d’ici la fin de nos séances, avec des bribes de fiction qui inventeront à leur tour une autre ville, en filigrane, en surimpression, sous la forme d’un palimpseste. Puis nous les disséminerons sur une carte interactive.
Pour travailler sur le regroupement des textes et leur association, nous allons utiliser la forme du centon.
La méthode du centon a été utilisée par de nombreux auteurs. Vincent Sabatier dans plusieurs de ses livres. Jacques Lacan, Jules Michelet. Dans ce livre-lit, édité en 2002 aux éditions Le Bleu du Ciel, a par exemple été conçu à partir de deux textes, l’un de Jacques Lacan, Séminaire XX et l’autre de Jules Michelet, La Mer. Parenchyme est la juxtaposition de prélèvements dans un traité culinaire, aidés d’un dictionnaire d’anatomie et de 1987 fragments de textes de Colette. La mise ensemble et en sens de ces deux textes créant une véritable esthétique combinatoire de la suture et de la couture.
Le principe de ce livre rappelle celui du livre de Yak Rivais, Les Demoiselles d’A, publié aux éditions Belfond en 1979. Un roman-citations (c’est ainsi qu’il le sous-titre) qui se compose de 750 citations provenant de 406 auteurs différents. Mais également le plus récent : Les mille et une phrases d’Éric Simon, est le quatrième livre numérique publié par Contre-mur.
Nous allons également reprendre un atelier élaboré lors de nos précédents ateliers élèves de Sciences Po autour de Street View : inventer la ville
Cela avait été l’occasion d’un beau travail des élèves sur la ville dont voici l’enregistrement sonore :
Extrait du texte : Vous êtes ici où le temps s’est arrêté
Vous êtes ici. Un autre temps. Vous êtes ici. Puis les portes s’ouvrent. Vous êtes ici. Le je devient nous, l’ego laisse place à l’égal. Vous êtes ici. Une illumination, un bout d’humanité dans cet endroit oublié. Sans un regard. Chacun son but. Les destins ne devaient pas se croiser. Tout allait très vite. Vous êtes ici. Difficile de se frayer un chemin en commun. Vous êtes ici : circulation intense, Absence totale de feux ou de quelconque signalisation. Vous êtes ici : sous un ciel orangé, les gens se parlent entourés de panneaux publicitaires. Vous êtes ici : chantier de reconstruction, mêmes fenêtres double vitrage. Le soleil, entretemps, disparaît. Vous êtes ici : un homme se déplace sur le boulevard, vide ; odeur de poussière Vous êtes ici : la piste cyclable, la descente, le parisien n’ayant pas le courage de monter à vélo. Vous êtes ici : d’immenses remparts. Beaucoup de constructions transparentes. Vous êtes ici : aucune émotion, costume noir, ne se fait pas remarquer. Vous êtes ici : immense gymnase, foule bruyante. Vous êtes ici : tout allait très vite.
Proposition d’écriture :
« Vous êtes ici » est une mention traditionnellement portée sur les cartes implantées à un endroit fixe, afin d’indiquer la position de la carte sur l’espace qu’elle décrit. Toute personne lisant la carte étant nécessairement au même endroit que celle-ci, cette indication permet aux lecteurs d’appréhender rapidement leur position sur la carte, et donc de déterminer plus facilement leur itinéraire pour atteindre leur but.
On le trouve typiquement sur les plans de ville, de réseaux de transport en commun, de bâtiments.
C’est l’équivalent du fil d’Ariane dans les interfaces informatiques.
Il a d’abord une utilité pratique, mais peut aussi servir à favoriser l’immersion.
Sur les plans de métro ou de bus, le pictogramme ici permet de s’orienter. Comme toute information extraite d’un ensemble, non reliée à d’autres informations, le pictogramme isolé se vide de sens. L’ironique pochoir ne sera d’aucune utilité au passant perdu qui pourrait même se mettre en colère contre celui qui se paye sa tête. Détourné, le petit dessin est une plaisanterie surréaliste.
« Chaque lecture est un parcours ; un parcours double aux voies imbriquées : celui dans l’univers du texte et celui dans l’espace matériel qui en permet l’existence – le livre ou l’écran. L’expérience de ce parcours dans le texte imprimé, est balisée par les contraintes matérielles du livre, espace de déploiement du texte dont l’écriture s’inscrit dans l’assimilation de ces contraintes. Que nous dit alors l’espace numérique de cette expérience ? Qu’imposent les contraintes et les possibles du système écran-souris-logiciel au parcours de lecture et à l’écriture du texte ? Comment donner à lire les fils qui relient ces expériences inédites de lecture à ce qui les rend historiquement possible ? Que nous dit cette transformation de notre façon d’être au monde ? »
Luc Dall’Armellina et Annick Lantenois - 2004
« Chaque époque rêve la suivante. Mais en rêvant, elle s’efforce de se réveiller » disait Michelet.
À lire également : Vous êtes ici, blues du béton, comme l’a décrit sur Twitter Lucien Suel (Stuck inside The City with the Concrete Blues again), composé à partir de fragments de textes des élèves de l’atelier d’écriture.