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Au lieu de se souvenir (Semaine 01 à 05)

Chaque mois, un film regroupant l’ensemble des images prises au fil des jours, le mois précédent, et le texte qui s’écrit en creux.

« Une sorte de palimpseste, dans lequel doivent transparaître les traces - ténues mais non déchiffrables - de l’écriture “préalable” ».

Jorge Luis Borges, Fictions


Je finis l’année comme je la commence, à plat, malade, le virus m’a rattrapé. Les jours se suivent et se répètent en une longue journée sans fin. Les uns après les autres nous voilà tous atteints, dans la famille, sans pouvoir ni bouger ni sortir, toussant, fatigués à force de dormir très peu, de rester assis derrière l’écran de l’ordinateur ou de la télévision sans aucune énergie pour travailler.

Promenade aux Buttes Chaumont avec Caroline. La fatigue est tenace. Elle nous laisse abattue. L’impression d’être vieux. Nos membres lourds. Tout est effort. Contre-jour et fraîcheur du jour. Lumière rase, à l’horizon. Un peu de la beauté du jour pour guérir plus vite.

Après deux ans de fermeture, la bibliothèque François Villon à Paris dans le 10ème, ouvre ses portes. Avec l’équipe nous attendions ce moment avec impatience, à peu près tout autant que le public qui répond présent dès le premier jour. Il y a cinq ans déjà je suis venu travailler dans cette bibliothèque après mes vingt ans passés à Melun, dont dix à l’Astrolabe, avec ce projet de rénovation en perspective. Heureux de le voir enfin aboutir. Excitation des beaux jours. Grand ciel bleu. Lumière franche d’hiver. Surprise du public qui revient alors que nous n’avions pas la possibilité de le prévenir. Il fallait attendre le dernier moment pour communiquer. Les gens sont heureux de retrouver les ouvrages, le lieu transformé, rénové, avec de nouveaux espaces. La lumière y circule différemment. Les premières critiques viendront plus tard. Joie des retrouvailles.

Le projet de L’Espace d’un instant que je mène depuis un an, sous la forme de sept courts textes écrits autour de différents lieux du monde à la même heure et dont j’enregistre ensuite chaque semaine la lecture pour les diffuser sous forme de podcast, se termine le mois prochain, avec le 60ème épisode.

Je vais reprendre ce que j’ai pu écrire et diffuser dans le cadre de L’espace d’un instant, pour le développer dans un texte et un essai radiophonique qui engloberont les textes déjà écrits en y ajoutant des sons et le récit d’un homme qui traverse Paris du Nord au Sud en une journée. Ce projet est une invitation à parcourir et à traverser une journée fragmentée heure par heure, accompagnée par les récits d’instants suspendus qui surviennent au même instant dans le monde entier, livrant leurs secrets et leurs sensations face à l’avancée du jour, face au temps qui passe. Comme le jour lui-même, cette création est composée de différents fragments. Comme une plongée dans un présent qui cherche sa présence. Comme une envie d’être présent en fonction de l’heure de la journée.

Un désir, une émotion, un lieu, de la lumière et des bruits.

Un bout de notre monde et qui appartienne à tous.

Dans mon journal vidéo du mois de mai 2019, à mon retour de Montréal, sur le chemin du travail, entre la rue Albert Camus et la Place Robert Desnos, je filme une branche d’arbre cassée. En commentaire sous la vidéo François Bon m’écrit : Quand une branche cassée suffit à signifier la bascule de ville...
Deux ans et sept mois plus tard, au même endroit, la même branche cassée.

Et le souvenir de ce poème qui me revient en tête :

Il était une feuille avec ses lignes
Ligne de vie
Ligne de chance
Ligne de cœur —
Il était une branche au bout de la feuille —
Ligne fourchue signe de vie
Signe de chance
Signe de cœur —
Il était un arbre au bout de la branche —
Un arbre digne de vie
Digne de chance
Digne de cœur —
cœur gravé, percé, transpercé,
Un arbre que nul jamais ne vit.
Il était des racines au bout de l’arbre —
Racines vignes de vie
Vignes de chance
Vigne de cœur —
Au bout de ces racines il était la terre —
La terre tout court
La terre toute ronde
La terre toute seule au travers du ciel
La terre.

Il était une feuille avec ses lignes, dans le recueil Les Portes battantes, Robert Desnos


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