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Contacts successifs #67

Moment décisif

Dans son livre Question de couleur Joel Meyerowitz décrit son travail de photographe travaillant en parallèle avec deux boîtiers, l’un pour le noir et blanc et l’autre pour la couleur. Ce livre accompagne l’apprentissage de ce grand spécialiste et pionnier de la photographie couleur qu’il appréhende dans son rapport au noir et blanc. Ce qui l’intéresse au départ c’est la dimension physique, presque chorégraphique, de la photographie. « L’énergie mise au service de l’instant, un instant évanescent qui ne se répéterait jamais plus. » Et cette notion nouvelle prend pour lui le nom de photographie. Il se demande comment convaincre que la couleur en photo a des choses à raconter. Pour parvenir à comparer la photographie couleur et celle en noir et blanc il a l’idée de fabriquer des clichés différents, ce qu’il appelle ses images jumelles. Mais ce que son dispositif met en lumière, au-delà des spécificités de la couleur et du noir et blanc, c’est le laps de temps qui s’écoule entre les deux photos qu’il prend d’un même événement, cet écart de temps qui produit entre les deux images, une image fantôme, invisible, imaginaire. Il comprend au fil de ses expériences que la photographie noir et blanc fonctionne pour tout ce qui est de l’ordre de la composition graphique, de la tension dans le cadre, tandis que la couleur privilégie de son côté l’émotion, la sensibilité, liées à l’onde lumineuse, aux souvenirs que cela déclenche en nous.

Paris 10ème, 2 septembre 2024

Cet espace disponible à l’intérieur

Sans parvenir à trouver où aller ni la motivation à marcher sans but, j’arpente les rues de mon quartier en changeant un peu de mes itinéraires habituelles, histoire de le voir sous un autre angle et ne pas me lasser. Un homme en insulte un autre car ce dernier n’apprécie pas la manière qu’il a eu de regarder sa compagne, lorsqu’ils se sont croisés dans la rue. Près du Canal Saint-Martin, les adolescentes refusent l’uniforme mais portent joyeusement leur baggy en bluejean denim ample et leur débardeur d’été à fines bretelles blanc ou bleu clair laissant apparaître le bronzage de cet été au niveau de leur ventre à l’air libre et de leurs épaules dénudées. Elles discutent par petits groupes, enjouées. J’ai l’impression de ne voir aucun de leur camarade. Où sont-ils ? Au skate-park ? En train de jouer au basket ? Un homme court seul en longeant le couvent des Récollets. Je le reconnais à sa posture pressée, tête en avant, comme si elle était trop lourde, barbe de trois jours, cheveux échevelés au vent. Sa foulée est assez insolite, buste en arrière, il fait de grands moulinets avec ses bras, car il parle au téléphone sans fil tout en trottinant. Les mots qu’il utilise dans sa conversation — livre, politique, parti — finissent par me confirmer qu’il s’agit bien de l’auteur Aurélien Bellanger.

Tant de beauté dans ce qui commence

Cela ressemble à une rencontre. Par hasard on croise sur le net le travail de quelqu’un qu’on ne connaît pas. On se met à regarder ses vidéos. Une, deux, trois. On continue toute la journée. On se reconnaît dans ce qui s’y dit, s’y écrit, la manière de filmer, l’attention aux villes, aux paysages. Les lieux où l’on a vécu, les lieux de l’enfance, ceux que l’on traverse, dans nos voyages, ceux que l’on a perdu qu’on espère retrouver. Pourtant a priori rien de commun entre nous. C’est une jeune femme de l’âge de mes filles. Mais sa manière de raconter son quotidien, de faire le point une fois par an sur qui elle est à l’âge qu’elle a, d’aborder avec ses amis des questions d’ordre poétique, avec cette manière que je lui envie de se mettre en scène sans chercher à s’imposer ni tricher avec son image, de saisir ce qui fait battre le cœur, par l’image aussi bien que par le texte, l’utilisation discrète de la musique. Dans un de ses films elle dit : « Je filme pour ne pas oublier à quoi ça ressemblait l’intérieur des maisons, le visage des gens, ce qu’on mangeait à table et dans quelles assiettes, ce que l’on se racontait le soir... » Ce qui me touche le plus dans ses vidéos, c’est leur écriture qui se développe dans ce léger décalage entre ce qu’elle veut nous montrer et ce qu’on voit à l’écran, l’émotion qui affleure dans cet interstice, entre le temps présent et les traces du passé.

Paris 10ème, 15 septembre 2019

Le passé est un pays étranger

Je me résous à envoyer un message à mon ami Damien, pour savoir comment il va après tout ce temps sans nouvelle. Nous nous connaissons depuis l’enfance. Je lui avoue mes difficultés avec le téléphone. il les connaît depuis longtemps, les partage. Il me propose qu’on s’écrive. Je dois avouer que l’idée m’avait traversé l’esprit. Je m’empresse de le faire. Je reprends le cahier entamé cet été à Bastia pour travailler sur l’esquisse de quelques trames d’histoires pour notre projet Méditerranéen. Je commence la rédaction de ma lettre. Je retrouve cet élan propre à l’écriture quand on court après ce qu’on veut exprimer sans trop en avoir une idée très précise, qu’on découvre au fil de l’écriture, et que c’est le rythme même du texte, ce à quoi on pense au moment où on l’écrit, ce que cela provoque en nous de questions, de souvenirs, de remords, hésitations et digressions comprises, qui nous pousse à continuer. En notant cela, c’est l’image d’un chemin qui serpente dans l’obscurité, qui apparaît et se révèle sous la lumière d’une torche, au gré de l’avancée.


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