| Accueil
Contacts successifs #63

Faire du bruit

Il y a les événements auxquels on assiste, ce qu’on y ressent sur place, et ce que la télévision filme et restitue en direct. Ce soir-là, je suis invité aux deux quarts de finale de Beach Volley au Stade Tour Eiffel. J’arrive largement avant le début de l’épreuve. Les gradins sont clairsemés, encore peu de personne. Il fait encore jour. Le vent se lève et fraichit rapidement, surtout au sommet des derniers rangs où j’ai pris place, largement au-dessus des arbres. Le match s’annonce et je découvre l’accompagnement qui transforme la compétition en show à l’Américaine entre cirque et boite de nuit, foire et kermesse. C’est une première pour moi. J’assiste médusé au match qui oppose une équipe Australienne et une équipe Suisse. À chaque point, chaque échange, le speaker, associé à un DJ en coulisse, encourage le public à réagir, à s’exprimer, à faire du bruit. Il joue le rôle du gentil organisateur du club de vacances. J’imagine que ce côté show à l’américaine qu’on retrouve au basket, au baseball, avec animation dans les tribunes et pom pom girls sur la piste, est lié à ce style de sports. Ici aussi, à chaque mi-temps un groupe de danseurs envahit le terrain en dansant en musique. Je regarde le début du second match beaucoup plus disputé entre une équipe suisse et une équipe américaine cette fois-ci. Je me suis rapproché du terrain. J’observe les premiers échanges disputés entre les deux équipes avant de partir. La nuit est tombée. La Tour Eiffel scintille de mille feux dans l’obscurité. Après quelques déboires dans le métro suite à l’annonce d’un colis piégé, je parviens enfin à rentrer à la maison. La confrontation sportive que j’ai quittée une heure plus tôt est diffusée en différé à la télé. Le match vient de commencer, c’est assez perturbant. Je n’entends plus ni les cris d’encouragement, ni les applaudissements et les bruits de pieds cognant contre le sol métallique, ni la musique de fond. L’agitation extra-sportive a presque totalement disparu. Avec l’image filmée, associant gros plan, ralentis et commentaires, on n’entend presque plus le public, alors qu’au stade il était assourdissant, omniprésent. Les gestes des athlètes sont magnifiés, saisis au vol. La télévision transforme radicalement le spectacle sportif auquel j’ai assisté sur place en une compétition des Jeux Olympiques.

Pantin, Halles Pouchard, 05 août 2024

Inconfort du départ

On devrait se réjouir, mais on ne parvient à être ni soulagé ni détendu. Une pression incompréhensible nous empêche de nous sentir heureux à l’idée du départ imminent. Sans doute il y a t-il dans les préparatifs suffisamment de taches rébarbatives et contraignantes qui expliquent et justifient cette forme d’indécision, ce tracas passager, malaise inexplicable, mais c’est surtout notre nature casanière la cause principale, ce peu d’inclinaison au voyage. La nécessité de planifier, d’organiser, de tout prévoir, sans compter les sollicitations imprévues. Au moment où l’on ne voudrait ne plus penser à ce que l’on va faire, ne rien oublier avant le départ, dans l’embarras de boucler ses valises, de préparer ses affaires et d’anticiper en quelque sorte les jours à venir alors qu’on préfèrerait se laisser porter que se faire transporter. Il faut se faire violence pour changer ses habitudes, sortir du train train quotidien bien rassurant des routines domestiques. Y compris de celui des vacances.

Au bord du bord

Dans mes souvenirs de vacances, deux lieux sont reliés par une route et des souvenirs familiaux, entre Tournon Saint-Martin dans l’Indre et Pamiers dans l’Ariège, deux lieux où vivaient mes grands-parents que je voyais principalement l’été, à l’occasion des vacances que je passais chez eux avec ma sœur. J’ai évoqué ces lieux et les liens qui m’y rattachent dans Laisse venir co-écrit avec Anne Savelli. Je suis retourné quelques fois avec Caroline et les filles sur ces endroits de mon enfance dans l’Indre, mais je n’y ai plus jamais séjourné, alors qu’avec Caroline, nous retournons régulièrement sur les lieux de son enfance, à Marseille, aussi bien qu’à Bastia en Corse (où nous nous trouvons en ce moment), ou bien encore à Édenville en Normandie, où nous sommes revenus très régulièrement pendant de nombreuses années. Je me suis approprié ces endroits. J’y ai façonné mes propres souvenirs se confondant en mode palimpseste avec ceux de Caroline.

Marseille, Église Saint-Ferréol, 15 novembre 2014

La vie d’une étoile en accéléré

Le temps se ralentit, les corps s’alourdissent. Les ombres se resserrent pour mieux disparaître au sol. L’air se raréfie. Tout devient plus dense. La respiration plus lente. La peau moite, luisante de sueur. Les tissus collent à la peau, la blessent à rebours. La chaleur est une étreinte qui s’éternise. Elle nous étouffe dans ses bras enlaçant. On ne sait pas quoi faire, comment réagir, quelle position prendre, l’attitude empruntée à la recherche d’un coin de fraîcheur pour lutter contre cette chaleur insupportable. On devient mesuré, raisonnable. On marche à l’ombre. L’eau devient l’unique boisson. Le plus difficile c’est la certitude que cela va durer. Pièce sans issue de secours. L’ombre se réchauffe. Les moteurs des voitures et des climatiseurs ronflent de concert. Il y a dans l’air chaud qu’ils rejettent quelque chose d’indécent. Dans un café les aiguilles de l’horloge tournent encore, indiquant l’heure mais la date qui s’affiche est arrêtée au jeudi 29 octobre. Au mur, un panneau annonce : Il n’est jamais trop tard pour ne rien faire. Dans la salle vide, un poste de télévision retransmet la finale olympique de Volley-Ball masculin. Les drapeaux aux fenêtres sont en berne. Les pneus des voitures crissent dans les virages. On dirait des appels au secours. La ville est aveuglée par ses propres couleurs.


LIMINAIRE le 05/02/2025 : un site composé, rédigé et publié par Pierre Ménard avec SPIP depuis 2004. Dépôt légal BNF : ISSN 2267-1153
Flux RSS Liminaire - Pierre Ménard sur Publie.net - Administration - contact / @ / liminaire.fr - Facebook - Twitter - Instagram - Youtube