
Un terrain d’exploration sans fin
Dans les dernières salles de l’exposition Le Paris d’Agnès Varda, de-ci, de-là, au Musée Carnavalet des extraits de films de la cinéaste sont diffusés en boucle à côté d’un plan de Paris interactif sur lequel apparaît pour chaque scène le lieu du tournage. J’imagine ce dispositif associé à l’ensemble des films de mon Journal du regard.
La vitesse de la lumière
Je marche dans la rue, contournant le chantier de la place du Colonel Fabien. Alors que je longe une zone où plusieurs ouvriers sont en train de concasser le bitume du trottoir, tout près de l’endroit où la ligne 2 du métro sort de la station Colonel Fabien pour rejoindre la station Stalingrad, quelque chose d’inattendu vient brièvement me troubler. Une soudaine baisse de lumière. Pas celle habituelle d’un nuage au printemps qui, balayé par un vent violent, se déplace à grande vitesse dans le ciel, au point de venir occulter la lumière qui baigne le paysage. Non, c’est plus rapide, versatile. J’en viens à douter de ce qui s’est passé, saisi par l’inédite rapidité avec laquelle le phénomène lumineux s’est produit, venant même à douter de l’impression qu’il m’a laissée ; si je n’ai pas tout simplement rêvé le phénomène et ce qu’il a produit en moi. Un court décrochage de lumière. Une baisse d’intensité lumineuse. Comme si le paysage autour de moi avait cessé soudain d’être éclairé. Comme si je me trouvais dans un immense studio, pour le tournage d’un film ou d’une série à grand budget. Ma surprise exagérée attire l’attention des autres passants dans la rue. Les gens se figent à mes côtés, ils m’observent avec stupeur. Cela ne dure qu’un instant, mais leur réaction disproportionnée m’inquiète. Puis ils retrouvent leur marche, leur mouvement, leur activité, cherchant ne rien laisser paraître de leur surprise. Je n’arrive pas à comprendre ce qui s’est passé. J’ai pensé au film The Truman Show de Peter Weir. Tout s’est déroulé si vite. Une brève éclipse de soleil, un éclat lumineux venant m’aveugler sans que je saisisse la provenance de cette lumière. Impossible de savoir.
Ailleurs toujours
Un rêve de fin de nuit. Avec Caroline, nous louons l’ancien appartement de mes grands-parents paternels, qui a été réaménagé en Airbnb, à Pamiers dans l’Ariège. L’appartement est immense désormais. Il a été agrandi en réunissant deux appartement mitoyens. En rentrant de promenade, nous avons la surprise de découvrir que quelqu’un dort dans un des lits. On ne le voit pas, il dort sous la couverture, mais on entend son ronflement régulier et sonore. Deux autres hommes entrent dans la pièce peu après. Ils nous expliquent que l’appartement est loué par d’autres personnes que nous, et que nous devons le partager. Plus nous argumentons que cela ne va pas être possible de rester là dans ces conditions, plus de nouveaux locataires entrent et s’installent tranquillement dans l’appartement, nous ignorant pour la plupart d’entre-eux, au point de nous forcer à partir. Ce qui précipite mon réveil.
Ce murmure de conversation
Je m’aperçois que j’ai commencé ce journal il y a un an et demi, sans en expliquer la forme spécifique des contacts successifs. Deux photos choisies de manière arbitraire selon leur numéro identique. L’une dans la semaine écoulée et l’autre dans un temps plus ancien. La photographie ne travaille pas dans le présent, mais dans le futur antérieur, permettant de découvrir plus tard ce qui a été vu, une fois lʼimage révélée. Vivre le présent de son expérience comme le passé dʼun futur. Ce que l’on retient, dans la juxtaposition de ces images, raconte les coïncidences et les rencontres, notre cheminement dans l’image. Une pratique des contacts successifs découverte à travers le travail photographique de Denis Roche qui associait régulièrement deux photographies prises successivement sur la même pellicule, contacts successifs dont il définissait ainsi les rapprochements et les résonances sans fin : « J’appelle Photolalie cet écho muet, ce murmure de conversation tue qui surgit entre deux photographies, très au-delà du simple vis-à-vis thématique ou graphique. » Dans cette occasion si particulière où le photographe convoque ses images au « parloir ». Chaque photographie, comme dans une spirale, porte en elle le souvenir de celles qui la précèdent. Dans ce journal, les quatre textes qui accompagnent les deux photographies entrent également en écho, s’entrechoquant parfois, cherchant dans leur différence et leur ressemblance, leurs formes variées, ce qui les réunit dans l’éparpillement du quotidien.