Ça s’en va et ça revient
Chaque jour se lève avec des airs de recommencement, et pourtant il porte en lui l’étrange familiarité d’un déjà-vu. Les gestes se répètent, les mots suivent des chemins battus, les pas retombent là où ils sont déjà passés. On avance comme à tâtons, mais les contours sont connus, le décor à peine changé. Ce qui semblait nouveau (...)
Ni des origines ni des jaillissements
La paysage disparait sous la brume. Au-delà du toit des premiers immeubles parisiens, le reste de la ville sombre sous un voile blanc renforçant l’impression d’isolement. L’espace réduit à ce qui nous entoure. Perdu sur une île au milieu de l’océan. On distingue certains bâtiments remarquables, on met du temps à (...)
Des lumières et des ombres
Dans l’obscurité vacillante d’une salle de projection oubliée, l’écran s’illumine soudain, mais ce n’est pas un film qui commence. C’est une mémoire fluide, un flux d’images qui s’écoulent comme des rivières de lumière, se déformant à chaque instant, glissant entre les doigts. Les premières scènes montrent une forêt qui respire, (...)
Quand je ne dis rien je pense encore
Chaque phrase hésite à se poser, chaque ligne vacille comme si elle allait s’effacer avant même de s’inscrire. Dans l’étirement de l’instant, cet intervalle qui amplifie la tension, qui en retient l’élan, le mot tarde à venir, presque à contretemps. Il faut attendre, parfois longtemps, que le bon mot se forme, qu’il (...)
Rien ne distingue les souvenirs des autres moments
J’ai parlé. Je l’ai fait. Les mots sont sortis, fluides, portés par le souffle. Une trajectoire assurée. Chaque syllabe, chaque nuance. Et maintenant, là, le silence. Rien. Un rien épais, vaste, saisissant. Je tends l’oreille, j’attends. Rien. J’écoute l’enregistrement, aucun son, une ligne plate. Où (...)
La présence au bout des doigts qui se dérobent malgré tout
Au milieu du repas d’anniversaire des soixante ans de mariage de mes parents qui nous avaient invité chez eux pour l’occasion, les conversations comme souvent passent d’un sujet à l’autre sans rester longtemps sur le même, on l’effleure comme une caresse, des souvenirs, des nouvelles des uns des (...)
Marcher à côté de ses lacets dans un frigidaire vide
Les installations de Chantal Akerman forment un contrepoint spatialisé à son œuvre cinématographique. Elles nous invitent à inventer notre propre chemin, à éprouver et à traverser le film ou l’installation chacun à sa manière. Elles construisent un espace qui nous met en mouvement et éveille notre (...)
Au lieu de créer une distance
J’avais entendu une de mes collègues en parler à la bibliothèque. Je n’ai pas réalisé tout de suite qu’il s’agissait de l’exposition dont nous avions vu des reproductions avec Nina sur le quai d’une station de la ligne 1, la semaine précédente. J’ai proposé à Caroline qu’on s’y rende. Un but de promenade. Partir sans (...)
L’esprit d’escalier
À l’intérieur du métro, à la correspondance de la station Bastille, montant les marches de l’escalier pour rejoindre la ligne 1 depuis la 5, derrière l’homme qui vient de chanter en jouant de la guitare dans notre rame, nous assistons à une scène insolite. L’homme se retourne vers un homme noir, descendant l’escalier, boitillant, une (...)
Une absence de point final
Les valises tournent lentement sur le tapis roulant de l’aéroport. On regarde son manège monotone, l’air hagard, les yeux fatigués, baillant, le visage terne, les vêtements froissés. Certaines valises passent plusieurs fois devant nous, personne autour de nous ne les prend. Dans le même état d’attente et d’effroi, épuisés (...)