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À Louvre ouvert : 1er atelier d’écriture numérique

Dans le cadre de l’atelier annuel d’écriture numérique (À Louvre ouvert - le musée mis à nu par ses visiteurs, même), qui se déroule cette année encore au Louvre voici les premiers textes des participants à la première des quatre séance d’écriture sur laquelle je leur ai proposé de travailler :

1ère séance de l’atelier d’écriture au Louvre

Choisir une peinture que l’on décrit en utilisant un poste d’observation des regards, un point de vue mobile, télescopique, infiniment souple. Dans ce travail, en effet, c’est de votre œil – position, acuité, densité – que dépend sa capacité à changer son intimité en profondeur. Penser l’écriture dans une boucle complète, se voyant voir, s’écoutant écouter, mais par laquelle la technique finit par se jouer d’elle-même dans son vertige. Au bout d’un long temps d’exposition, l’intensité du regard qu’on porte sur l’œuvre choisie change en intimité sa profondeur. Le texte s’articule essentiellement autour d’un travail sur la phrase (rythme, syntaxe).




Mon Laurent , Sébastien Smirou, Éditions P.O.L., 2003.

Le nez, île grotesque, centre et pivot du tableau, centre
et pivot de ce visage ancien, presque antique, pitoyable
Homme riche, velours de soie, homme assis, ses yeux baissés, lampes éteintes
Boire l’enfance, douceur de tes yeux, mon petit, douceur de ta main

Douceur de ta main comme armée de noir, le rouge de ton sang neuf, tranquille
Ta main écoute mon corps respirer et interroge mes veines
Ta main console, timide, le temps qui nous sépare déjà plus loin, déjà
Un seuil que tu ignores où ta main est présage d’un ailleurs

Dans la chaleur des bras s’oublie le voile du regard
Plume blonde des cheveux, soif de paroles, pourquoi le silence ?
Souvenirs de berceuse, légendes des soirs frileux, des jours malades
Si vieux, comprends-tu mon regard, mon attente, mon inquiétude ?

Le chemin longe le fleuve, nos pas hésitent, quelle destination ?
Colline douce et florentine, art topiaire, cyprès policés
Ou le rocher abrupt, aride et sec d’un voyageur chinois
L’eau emporte, loin du cadre du tableau, les reflets des visages

Marie Pelluet

Petite main aux doigts allongés, confiante, abandonnée sur
Petite main frêle, mais déterminée, appuyée sur
L’étoffe rouge imposante, le plastron du vieux, comme si
Candeur des âges nubiles accordant sans arrière-pensée

Dans l’arrière-pays bleuté se dresse un aride piton
Un méandre serpente entre les monticules herbeux, hirsutes
Poussent herbes folles, bosquets savamment plantés de buis persistants
L’aride volcan assoupi veille les pousses prometteuses

Cascade de boucles blondes savamment enroulées sur elles
Coulée du bonnet rouge Médicis rehaut du chérubin
Touffe de vair, liseré témoin d’une vigueur ancienne
Cheveux d’argent ras, clairsemés, tu coiffes les têtes chenues

Petite joue rebondie, rosie et regards de connivence
Sourire entendu bienveillance plastron bonnet étreinte
Rouge l’enlacement, rouge ce face à face embrasement

Verrues, verrue des tempes, verrues du nez bourgeonnement, truffe
L’enfant ne voit rien de cette difformité, laideur aveugle
Le cœur palpite au chaud, rassuré, confiant, oiseau déjà vole

Domenico Ghirlandaio, Portrait d’un vieillard et de son petit-fils : Musée du Louvre

Un murmure sort de tes lèvres entrouvertes, un souffle s’enfuit. Ton regard bleu mélancolique de petite fille sage Se perd dans le lointain. Qu’attends-tu, que regardes-tu ainsi ? Un cavalier sur son cheval blanc part au loin sur le chemin Sa chemise est rouge et rouge ta bouche et rouge le tissu Richement brodé des manches de ta robe pourtant si sage Fermée par un lacet qui épouse les formes de ton corps. Ton ventre est rond comme le fruit rouge-fraise ou orange sanguine Dont les feuilles et la tige forment des volutes sur ton coude. La blancheur de lait du flacon- tes doigts le maintiennent fermé Le Christ Rédempteur entre la Vierge et Saint-Jean l’Évangéliste Forment le panneau central du triptyque, et tu es à côté.

Nathalie Pierrée

Rogier van der Weyden : Triptyque de la famille Braque : Musée du Louvre

Sa mine défaite et son teint gris me désolent et me font douter. Comme il est derrière moi, il ne voit pas que j’hésite. Mais j’y suis ! Mon teint rose en contraste, la pâleur de l’artiste, des Pas résonnent. Les gardiens d’un pas sûr font des allers retours de 30 à 20 Et sous leurs pas sonne le parquet. Un voyageur quitte l’hôtellerie.

Le regard aux aguets je vois votre ignorance, votre désaccord. Un pull rouge, un homme en bandoulière, un audio guide le rassure. Le bœuf des pâtres me regarde : « Tu n’as pas froid l’épaule à l’air ? » Table basse, banquette, s’asseoir, coussins, rectangles 35/40. Je ne sais pas si j’ai bien fait de venir chez ce tatoueur !

Dany Libert

Pieter Fransz, Jeunes gens soufflant des bulles de savon

Tu attends et tes yeux dans le vague fixent l’offrande, houppette Fantaisie solennelle de la pause, œil de poisson vers toi En deçà des promesses, fixité de l’attente, tu la toises Reçois et donnes, front pommette et cou de marbre, continents Bouche suave, bouche parfaite, oiselets d’amour mais Le carcan de la chemise n’y fait rien, drapé montgolfière Plaquée, l’étole au liséré rouge, virgule ailée d’épaule Ton plastron, barboteuse à poumons, corsètera les caresses Boursouflé, délicat soliloque entravé de trois fils rouges Le coude aussi façon poitrail empesé s’enfle de goussets Espoir d’enveloppes-velours la clavicule ponts des soupirs Flottent mains d’harmonie crispée, mains savantes, figées du désir De plaire et d’offrir, mains belettes, mains agiles, mains araignées Assoupies sur ces chardons ou peut-être pissenlits fantômes

Evelyne Berson

Albrecht Dürer, Autoportrait aux chardons.

Penseur de la Grande Galerie, rêveur sombre de l’ennui Gardien de scènes mythiques et bibliques, enfant innocent Tu sembles contempler un défilé de visiteurs venus Admirer ton propre portrait mais plus fasciner par la fuite d’un parapluie Appuyé sur une main désinvolte, tu te demandes pourquoi Pourquoi il a gardé sa chapka, pourquoi elle ne s’arrête pas « Happé par le prestigieux Raphaël, il ne m’aura pas vu » Sous tes cheveux d’or, tu écoutes les remarques des spectateurs Qui te permettent de t’éloigner quelques temps de la pression En un instant tu as été figé pour l’éternité, Immortalisé par un flash dans la torpeur de ta jeunesse Et ce regard inquisiteur que tu dresses sur moi Tu pourrais me remercier : pour une fois c’est toi qu’on regarde Au lieu de cela tu me défies et engages le jeu

Sophie Herold

Francesco Mazzola, dit Parmigianino, Portrait du jeune homme

Le verrou

Ai-je assez de doigts pour compter le temps que durent seize vers ? Combien de souffle court, de Japonais ébahis et de ruines A traverser pour trouver ce tableau qui me met en colère ? Il est toujours trop loin et entouré d’œuvres qui me dépriment. Il est aisé de se perdre dans le Louvre, je prends ta main Et je t’entraîne malgré ton refus. Le groupe s’éloigne. Par une porte dérobée, nous voici dans l’alcôve. Viens. Tu me repousses et te débats mais tu gémis… Je t’empoigne. Est-ce un oui, est-ce un non ? Peu me chaut. Par tous les sens emporté Je laisse mes mains qui bruissent dans tes voiles chercher un chemin. Cherchant à fuir mes assauts tu te fermes à mon désir furieux Mais mes mains cherchent en ce mur d’étoffes et trouvent le verrou. Je ferme alors celui qui donnait encore accès aux curieux.

Sophie Godino

Jean-Honoré Fragonard, Le verrou

Qui sommes-nous, pouvons-nous nous reconnaître ? ils s’arrêtent devant là. Toi, tu es beau homme. Femme joufflue trop en chair dans tes mains. Tu cherches le jeune homme de tes songes rêveur-frôleur Qui interroges-tu ? La femme vieillissante posée Qui te regarde dans ta superbe jeunesse triomphante Ou le jeune homme face à toi de l’autre côté là De la galerie longue-salut de jeunes japonaises- Je pourrais être ta mère et je serais aussi ton amante Un dernier corps si jeune, lisse, sans cette dégradation Quotidienne insidieuse-long visage émacié, lèvres Ourlées rouge pourpoint noir ajusté, duvet sombre léger. Tu es mon regard intérieur.Être en vieillissement dans Le regard de l’autre mais si jeunes encore dans notre vision Intime. Éternellement jeunes dans nos esprits mordants.

Danièle Le Bour

Le visage d’un autre

Regard dans les yeux me fixe se fige veut dire quelque chose Jamais ce que je crois j’aimais ce que je vois plus rien pareil La bouche cette moue rose froissée au petit matin doré Sur la pommette poudrée un pli qu’on ne voit pas tout de suite

Au réveil cette marque laisse d’habitude une trace Qui s’efface avec le temps mais elle est toujours là et ne peut ne veut pas partir le regard noir bouche fermée taiseux Quels reproches tus yeux embués larmes qu’on ne voit plus séché ?

Ce que je veux voir ce que j’imagine invention de ma part Tu plisses les lèvres c’est un baiser qu’on voudrait y poser Mais le reproche s’impose dans la tension du regard là Où tu es sans vouloir y être devant moi rien qu’à moi merci

Celle que tu tiens dans tes mains semble si légère que ta Main gauche repose dessus négligemment rubis sur l’ongle Petit doigt saute aux yeux couleurs de la plume pourquoi pour moi À ce doigt là bague d’une autre femme en gage engagée là ?

Ta main gauche soutient la statuette de bronze sous fesses L’autre vient couvrir ce sein que tu ne saurais voir sous la pose Inconfortable dans ce plastron noir qui te corsète tout le corps Maintient rigide immobile offert sans que tu capitules

Tu ne tiens pas cette statue, tes mains s’y posent s’y entrecroisent Dans cette position inédite et serpentine regard offert et montrant et cachant mais surtout prisonnier À son corps défendant, défendu d’y voir, tu me regardes et je me vois

Pierre Ménard

Agnolo Bronzino : Portrait d’homme tenant une statuette

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