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Vases communicants

Vases communicants : François Bon. En savoir plus sur les Vases communicants et sur mes textes écrits à cette occasion depuis le début de l’opération.

Deuxième fois que François et moi échangeons pour les Vases communicants. La première fois, c’était en décembre 2009, je diffusais sur Liminaire son texte L’Amérique, tandis qu’il publiait mon texte d’une forme d’attente sans fin, sur Tiers-livre. Toujours le même plaisir d’être surpris, emporté, captivé, ému par la proposition de François qui souhaitait que nous utilisions, cette fois-ci, Google Earth (qu’il a notamment utilsé pour Une traversée de Buffalo) et Google Street View à partir duquel je travaille souvent. Le texte que je diffuse chez lui est un extrait de mon texte Laisse venir, trajet Paris-Marseille, une approche de la ville tout en détours et cheminements, un texte écrit avec Anne Savelli à La Marelle (Villa des auteurs) de Marseille à l’invitation de Pascal Jourdana.

Capture de Saint-Michel en l’Herm, par François Bon sur Google Street View

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mon village île est une coquille sur la vieille empreinte de mer la marqueterie rase des « prises » l’ovale marqué de 3 rues, la rue principale, la rue d’en haut et la rue d’en bas rien besoin de plus pour notre géographie urbaine tout se jouait dans les labyrinthes intérieurs ceux du village, les nôtres

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pour remonter vers le passé il faut d’abord nettoyer ce sont les verrues lotissements neufs et le dessin sans contrainte ni arbitraire qu’on étale sur la terre pour les maisons pareilles nous on pouvait gommer : la vieille roche du village tombait à pic dans les champs nus alors je gomme

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enlever le moche champ pour mobil homes tourisme de masse pêcheurs ou bronzeurs de plage la vie resserrés et l’apéritif en jaune on rentabilise mieux la terre avec la misère des autres qu’avec la sienne propre

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au centre l’église fait carrefour, notre garage en face et derrière l’ancienne abbaye et ses arbres quand nous avions 6 ou 8 ans l’été nous nous parlions par dessus le mur
avec dominique sorrente sinon c’était une enclave étrangère sauf qu’elle justifiait la roche posée de si longtemps sur la mer

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et pour se retrouver soi, l’obligation d’agrandir au flou la maison est là, et la cour où on jouait et la venelle en arrière et la buanderie si minuscule : elle figure donc elle aussi sur la vue générale de la terre ? le chemin en patte d’oie menait à la ferme et plus loin à la boulangerie la maison d’à côté celle des Boisseau l’arbre où je montais pour voir la mer a disparu en face c’était les Vallot et le chemin pour l’école

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les trois rues se rejoignent toujours en parfait éventail à la pointe de l’ancienne île c’est moins flagrant à l’autre extrémité qu’à celle-ci, qui regarde la mer les rues ont été élargies, des maisons construites il y avait vers cet endroit l’ancienne fontaine et son eau transparente la salamandre qu’une fois j’y avais capturée puis relâchée elle n’est pas sur l’image

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la laiterie des Richardeau était déjà l’unique ou principale activité économique
on leur avait vendu des camions des Citroën 23 à cuve inox pour le ramassage le jour de la livraison mis en rang tous trois sur la place de l’église la liberté que j’ai eue d’écrire peut tenir (même partiellement) à trois camions et l’enclave qui reste aujourd’hui celle du travail les voitures du personnel à côté des camions de maintenant

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parfaitement logique qu’une communauté prélève sur la terre ce qu’il faut pour ses déchets et ordures et le dissimule en partie à l’époque c’était Louis Osmond et son cheval Ysansel et où il emportait ça je ne sais pas : peut-être déjà ici-même probablement bien moins : tant on gardait tout (les épluchures au « fumier »)

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les formes géométriques ou abstraites que font les cultures sur la terre alluviale et salée je n’avais pas conscience d’appartenir à telle beauté

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ce qui reste de la butte aux huîtres monument naturel fossile sans jamais une explication convaincante quant à sa formation c’était exploité pour moudre le calcaire ça faisait du bien aux poules disait-on les poules désormais mangent autre chose il aurait pu être bon de garder la butte aux huîtres et non pas juste ce petit résidu

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nous n’avions pas, d’où nous étions, de vision d’ensemble, ni de l’île, ni des champs, ni de la mer à son battement de la digue, ou savoir que le Lay courait parallèle à la mer et que la Sèvre s’y jetait par un estuaire envasé on savait juste le ciel et le vent on savait notre isolement

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même aujourd’hui je connais le cimetière par cœur et le nom de tous les morts et l’emplacement de la tombe des miens et le portail côté bourg comme le portail côté rue d’en bas on se doute pas qu’un cimetière occupe tant de place dans un village pourtant c’est bien pour cela qu’on y vient quand ils ont fait cette « réduction des restes » il y a deux ans, ils ont cassé puis rafistolé le monument ce n’est plus pareil je n’y reviens plus je ne suis pas prêt

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la dernière fois que venu là, c’était justement revenant du cimetière
où on l’avait portée elle j’étais venu au portail bleu j’avais posé les deux mains sur la tôle tiède et regardé par le trou de serrure à gauche, la petite porte qui donnait sur la cuisine : murée les fenêtres d’en haut, nos galopades et nos jeux, que portent-elles de nos rêves
à regarder depuis si longtemps la rue vide

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c’était ce qu’on disait « le passage » à gauche, le mur de la petite cour carrée où on jouait, la porte grise qu’on n’utilisait jamais (pour cela, qu’elle revient dans les rêves ?), et au fond à gauche le garage, à droite le local du camion de pompier, l’odeur du cuir et les tuyaux à pendre il y avait aussi le distributeur à mazout, pour les tracteurs agricoles et les camions à quoi ça peut servir, de garder comme ça intact le « passage » – juste en raison de nos propres souvenirs ?

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en face, les Ardouin aussi avaient une vitrine quincaillerie, électroménager Alain, le fils, a juste un peu plus que mon âge il travaillera avec son père, commencera l’équipement du village en téléviseurs il y a deux ans, il m’a écrit (une vraie lettre, même si depuis on correspond par mail) : il venait de murer le magasin sur Google Earth, on voit la trace des parpaings qui remplacent la vitrine il aura passé sa vie ici, comme son père avant lui : peut-être j’aurais pu moi-même vivre sans quitter le seuil, et le portail métallique vert je serais resté à Saint-Michel-en-l’Herm

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la pharmacie est restée sans doute qu’elle ne s’appelle plus Ferchaud-Rivoalland (Ferchaud c’était notre docteur, sa femme tenait la pharmacie) je n’aime pas ces trottoirs vaguement carrelés : c’est ce qu’on démolit pour ne pas reconstruire de même, au fond, la forge des Jubien, le maréchal-ferrant pourquoi une pharmacie, même au bout d’un demi-siècle, aurait eu besoin de se déplacer ou de s’agrandir ?

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le lieu me met mal à l’aise et la photographie aussi banc mièvre réverbère mièvre bureau de poste installé dans l’ancienne école, les deux classes qui suffisaient pour les cinq divisions de l’école de garçons, Boisseau pour les petits, Gallipeau pour les grands la cour était fermée d’un mur très haut empêcher les gamins de sortir, mais protection aussi : le village n’entre pas dans votre préau, on règle ses affaire soi-même je ne leur en veux pas d’avoir pris l’école je leur en veux d’avoir cassé le mur qui protégeait nos jeux, nos combats, nos secrets et que l’arbre indifférent savait je m’y vois ramasser des billes

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en remontant de l’école, après le garage des grands-parents, on filait tout droit pour la maison à droite cela menait à la Boucarde, chez les Ferchaud, à l’ancienne poste, et aussi la maison du percepteur la maison d’angle est restée lépreuse, mais intacte : lourde de quels fantômes ? la voiture Google, sa caméra sur le toit, a dédaigné d’aller vers notre maison – ils ont pris à gauche, et laissé la rue d’en face à gauche le Crédit agricole, en face le CIC : on ne s’encombrait pas comme ça des banques, autrefois

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si on prend cette route à gauche nous aussi, devant la mairie, on retrouve le haut mur de l’ancienne abbaye, et l’élévation opaque de l’école des sœurs, au bout tout droit c’est la mer

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alors lentement tu tournes l’image sur l’écran sur la droite tu ne t’étais jamais souvenu de la venelle est-ce qu’une des rues ne s’appelait pas rue des hauts murs on la prenait en frissonnant longue, neutre, mystérieuse elle aussi, souvent dans les rêves effrayante, et au bout la bascule des mondes je crois qu’une fois adulte, je m’étais arrêté et avais voulu la reprendre rien qu’un passage banal entre les murs d’un village (où comptent les murs, pour couper le vent) ce qui fait qu’un lieu sourd dans les rêves dépend-il d’une spécificité du lieu ?

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on laisse l’empreinte jaune du logiciel Google Street View : il n’est pas plus malin que nous, au bout de la route il y a la digue et puis la mer la balise noire était là déjà, et le hangar de la Vallée du Lay on s’arrêtait aussi au grillage j’ai des photos de mon père réparant leurs pelleteuses les flaques étaient les mêmes

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la beauté de mon pays aux ciels d’Amérique le pays où je ne retourne pas et que de chez vous il est possible de faire resurgir sans jamais savoir quoi exactement provoque le plus exactement le trouble

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« Saint-Michel en l’Herm » a été composé et rédigé par François Bon sur des captures écran de Google Earth et Google Street View pour une mise en ligne le vendredi 6 juillet sur le site liminaire.fr en échange du texte « Blois » de Pierre Ménard sur le site tierslivre.net dans le cadre des « vases communicants » de juillet 2012 (3ème année)


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