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Vases communicants

Vase communicant : Candice Nguyen (The One Shot Mi)

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Gare de Brest, photographie de Pierre Ménard




tout l’univers, de Microfilm, extrait de Stéréodrama

Lumière fléchit. Un homme à quelques mètres fait dos au jour. La voix du narrateur comme sortie de la nuit, observe l’homme à travers le reflet d’une baie vitrée. On entend la buée se former sur la vitre au contact de ses mots avant que tout ne disparaisse dans un rayon de lumière.
À qui il parle, on ne sait pas.

Je suis revenu. Tu m’avais dit que je reviendrai et je suis revenu.
J’ai couru cent ans mille ans à perdre haleine, j’ai marché les tumultes de la ville, traversé la fureur des siècles et dans la faim du carnage, j’ai parcouru le monde comme assoiffé d’aventure et de sang. Comme tu l’avais dit, je suis revenu.
Tu m’avais dit : tout est pareil, la nuit semblable au jour, pourquoi t’en aller ? La Terre est mer, le ciel acère, le noir est bleu, le bleu dans l’air, le bleu bleu bleu, le bleu partout. Tu ne comprends pas encore mais un jour tu comprendras et tu reviendras. Un jour par surprise, rompu à la fatigue de ta quête stupide, les mots te quitteront que tu ne sauras même plus si c’est le jour ou la nuit : ce sera peut-être les deux en même temps. Et ce sera les deux en même temps.
Et alors dans ce moment-là tu te souviendras de moi et tu reviendras. Tu comprendras alors que tout est semblable et que le bleu que tu cherchais là-bas est le même que celui que tu vois ici et encore le même que celui qui coule en toi. Je n’avais rien compris à tes paroles de vieux fou et je suis parti.
Tu m’avais dit : un jour par surprise, les bagnoles, les fils, les barbelés, les immeubles, les grillages, tu ne les comprendras plus. Tu verras les cages que tu te seras érigées, tu verras les miroirs tout autour de toi, tu saisiras la fatuité de tous ces masques qu’un jour tu découperas. Et de ces éclats-là, tu recomposeras.
Du bruit tu ne garderas que le vent, tu oublieras l’oubliable, tu raconteras ce qui est racontable et alors tout sera racontable. Tu ne seras fait que de cela, du racontable. Tu seras mots, tu seras vent. Tu seras le vent qui transporte tout en lui, la traverse, la fugue, le mouvement, le rivage. L’eau de la mer et l’eau des fleuves sera ton propre sang. Tu réuniras le temps. La chair offerte, le sang égal, nu et dépiauté de tout le superflu comme au premier jour, comme au premier souffle, tu laisseras les charognes volontiers venir bouffer ton sang jusque dans ton ventre et tu laisseras les fourmis te grimper dessus. Tu n’auras plus à lever les yeux pour prier qu’il te suffira de te baisser pour contempler les ombres. De la misère, de tes morts et de tes carnages tous emportés par le vent que tu es, il n’y aura plus que le soleil brillant et les yeux bordés de lumière et de larmes, tu seras le pouls et la mer toujours recommencée. Et alors, la marge sera partout, le silence recouvert, et alors les intervalles à combler n’existeront plus. Arraché aux tourments de la nuit qui espère, tu cesseras de te heurter à tes propres reflets et tu reviendras.
Je suis bien revenu.

Photographie : Pierre Ménard.

À lire sur le site de Candice Nguyen, The One Shot Mi, mon texte : Face aux reflets, nouvel extrait des Lignes de désir, projet d’édition en cours d’élaboration


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