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Vases communicants vidéo n°1 avec Anh Mat

Tous les mois, faire échange de vidéo. S’emparer des images et de la bande son, entrer en dialogue avec, sans nécessairement modifier le montage de la vidéo mais en ajoutant selon ses préférences (voix off, texte lu, improvisé, écrit sur l’image, ajout de sons, de musique), puis envoyer sa propre vidéo à son correspondant pour qu’il s’en empare à son tour.
Le premier vendredi du mois, chacun diffuse le mixage/montage qu’il a réalisé sur la vidéo de l’autre et découvre à son tour son montage mixé sur la chaîne YouTube de son invité.

Le chemin de nos regards (avec Pierre Ménard)
image : Anh Mat / texte et voix : Pierre Ménard

Ce que tu vois, et ce que je regarde. Et si notre échange c’était justement d’essayer de nous rencontrer à cet endroit précis, ce point de rencontre, à la croisée de nos villes : le chemin de nos regards.
J’entends une voix qui vient des rêves. Elle court sur le chemin ombragé devant toi.
Les rues ne sont pas si différentes à Saïgon ou à Paris, c’est le chemin qu’on emprunte qui fait toute la différence. Je passe dans le temps simultané.
Il suffit d’un souffle d’air pour que je me sente ailleurs. Je caresse l’ombre épaisse des grands arbres de la place. Je veux flotter dans l’air, et saisir le sens inédit de ces dessins du hasard qu’entrelacent au sol les branches et les feuilles.
Les visages de l’enfance sont ouverts comme des paysages. Je marche, je sens que c’est ça le monde. On ne sait pas à l’avance ce qui peut arriver. Et c’est précisément ce qui nous attire. Ce qui nous arrive. Elle me regarde, mais je sais que c’est son père qu’elle voit.
Dans la voiture, je me laisse porter dans le paysage qui défile. Je ne sais plus à quoi me raccrocher. J’aime ces pertes de repères. À chaque fois que je ferme les yeux, et que je rêve, je rencontre ce genre de fantômes. Ce sont les vestiges de mes inquiétudes, ou de mes désirs. Hauts dans le ciel les nuages aux bords dentelés nous donnent le vertige.
Dans les reflets de cet immeuble du quartier historique qu’on peut apercevoir depuis de très nombreux endroits de la ville, la tour multiplie les points de vue qu’elle offre sur elle : mirage et miracle.
Quand tu filmes, tu essayes toujours de transformer tes images avec ton regard intérieur, tes visions. On dirait que les personnes croisées, silhouettes ou connaissances, plongent aussitôt dans une atmosphère proche du sommeil, les lumières que tu perçois en toi, tu essaies de les saisir au fil de tes vidéos.
Se promener à tes côtés c’est voir la ville avec tes yeux, marcher à ton rythme, mon pas dans le tien.
Le regard que tu poses sur ton environnement est différent du mien, quelque chose de plus mobile, de plus mouvant, et toujours cette circulation dans l’image, le corps déambule dans tous les recoins de la ville, mais à l’intérieur de l’image, ça bouge également, ça respire, je sens ton pouls battre, le sang dans ton corps, ta respiration qui, à distance, fait bouger ma poitrine.
Pénétrer dans les arrière-cours de la ville, c’est lever le secret des coulisses d’un théâtre dont nous sommes parfois les seuls spectateurs, ces endroits délaissés du regard, caisse de résonance et chambre d’écho, c’est toujours plus beau derrière la façade, dans le désordre des niveaux et des inclinaisons, l’amoncellement des volumes variés, des couleurs usées par la lumière et le temps, les intempéries et les saisons, les matières variées, la taille des fenêtres disparates, la croisée des fils électriques, contrastes des architectures et jeux de construction à l’air libre.
Je m’accroche aux bruits de la ville, aux visages inconnus. À l’arrière de la moto, je me sers contre toi. Je sens vibrer le moteur. Je me laisse porter malgré le bruit et le danger. J’ai toujours rêvé de ce moment là. Sentir le souffle du vent sur mon visage, l’exaltation de la vitesse. Le sentiment ambigu d’une envie de rouler sur une route sans fin. Je surprends les clameurs de la ville, ses immenses va-et-vient sonores.
Dès que la musique s’invite dans la rue, le paysage devient cinématographique.
À la nuit tombée, suspendu entre l’intérieur et l’extérieur. Entre le jour et la nuit. Tu m’invites chez toi comme j’aimerais t’accueillir chez moi lorsque tu viendras à Paris.
Je reviens dans la chaleur de la nuit, le silence des rues. Le temps nous traverse par le murmure d’une façon dont nous nous souvenons le parfum et le mouvement.
Dans l’arrière-salle du café, Marilyn is everywhere, même ici à Saïgon. Les garçons qui jouent au billard ne semblent cependant pas la voir.
Dans la nuit, la ville se rétrécit à la dimension de cette ruelle étroite. Les heures finissent par se superposer, par être toujours les mêmes dans notre souvenir. Celui d’un vis-à-vis qu’on aperçoit depuis chez soi, dans la banalité et la lenteur des gestes du quotidien, au moment d’aller se coucher. Dernière lumière dans la nuit qui veille bien après nous.

Dans la ville de l’autre (avec Anh Mat)
image : Pierre Ménard / texte et voix : Ahn Mat


LIMINAIRE le 22/12/2024 : un site composé, rédigé et publié par Pierre Ménard avec SPIP depuis 2004. Dépôt légal BNF : ISSN 2267-1153
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