Je cherchais une Amérique, voilà qu’elle est ici devant moi et quand je marche, l’Amérique, elle est ce tapis et ciel et, au lointain, ce hérissement rare des villes, J’appelle Amérique ces ponts et ces fleuves, l’indifférence de ces avions et ce hurlement inutile des sirènes, j’appelle Amérique la distance d’un être à l’autre qui suppose qu’il y ait pour les joindre mouvement, et que ce mouvement déborde l’espace même qui les lie. J’appelle Amérique ce temps agrandi d’un point à l’autre, j’appelle Amérique de marcher sur un sol neuf et non usé, où le sang qu’on trouve à terre on l’a sur les mains quand on les tend vers le soleil, j’appelle Amérique la grande concaténation des noms et que l’histoire qu’ils portent on n’en fait pas question. J’appelle Amérique la quête nomade qui nous prit d’ouest, et leur pauvreté en ces rives est mienne : j’appelle Amérique les grands nomades qui les précédèrent et savaient de tant de siècles les passes et les routes, avaient nommé les arbres, les lacs, les fleuves et les chutes. Je cherche l’Amérique dans ses autobus lancés dans le nuit, et le profil indifférent derrière la vitre des longs camions qu’on double. J’appelle Amérique les formes carrées des murs, la forme plate des toits, la récurrence des enseignes, les parkings trop grands et les viaducs par dessus les villes. J’appelle Amérique que les fleuves sont sans source et les visages sans autre origine que là, maintenant. J’appelle Amérique le froissement des corps dans le métro et qu’ils disent : cette terre est mienne. J’appelle Amérique la fin de nos utopies vieilles : l’Amérique est vidée et lavée, l’Amérique est pauvre et grogne, l’Amérique a oublié l’angoisse alors ce qui frotte éclate. L’Amérique est une peur, elle s’étale sur la terre aux nomades prise, mais parque ceux d’aujourd’hui mieux encore, il suffit d’enseignes et de galeries et de ces réserves à pas cher où sont la nourriture et les marchandises quand le rêve est marée basse. L’Amérique est un flot lent de voitures et camions mais le rêve de les fabriquer l’a quittée, l’Amérique est le rêve d’horizons où eux ne vont plus, ou bien sont allés une fois et puis plus, l’Amérique est la fin des exils : on erre mieux dans nos villes à trous et replis, ici les cliniques gratuites ont leurs salles d’attente en vitrine mais les silhouettes qui s’y effondrent n’ont plus ressort même de partir. L’Amérique est une fin, ce qu’on traverse s’y arrête, l’Amérique se traverse mais non plus eux, là, qui s’y risquent : ils attendent dans l’empilement vertical des villes, dans le hérissement figé du monde qui les enclôt. Je cherche une Amérique assis devant l’eau, debout au carrefour, étranger parmi tous étrangers j’attends le visage qui se retournerait et ils ne se retournent pas, ne vous tiennent pas les portes à courant d’air d’entre le métro et la ville – les tatouages sont de dessins misérables, les vêtements pendent et la boîte à lunch marque que ce chemin on le fait tous les jours, en Amérique. L‘Amérique des errants, l’Amérique des publicités dans leur télévision vide, l’Amérique trop sûre parce que rien en ses bords ne bascule, parce que la crasse des trottoirs ils ne la voient pas, l’Amérique qui ne se ment même pas, si simplement elle ne voit pas : et les errants migraient lentement de tout le pays vers le centre absent des villes, vers les places que surplombait le béton massivement, et les cases jaunes en désordre des éclairages réglés, et soudain subversion, soudain colère : il fallait en venir là ? L’Amérique a son âge, grand âge et ses crimes, grands crimes – l’Amérique les ignore.
Texte écrit par François Bon qui invite chez lui mon texte : d’une forme d’attente sans fin dans le cadre du projet de vases communicant : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens
autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.