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Vases communicants

Vases communicants : Sabine Normand (texte et photographie).

J’ai rencontré Sabine à l’occasion des ateliers de création que j’ai menés à la médiathèque de Mauguio : Lire la ville. J’ai eu plaisir à suivre ensuite son blog au très beau titre : Tu as voulu voir la mer, avec pour sous-titre : Sur la terre comme au ciel. Très heureux de l’accueuillir sur Liminaire pour ces Vases communicants. N’hésitez pas à continuer l’échange avec elle. C’est aussi l’intérêt de ce premier vendredi du mois : découvrir de nouveaux blogs.

En savoir plus sur les Vases communicants et sur mes textes écrits à cette occasion depuis le début de l’opération.

Où es-tu en ce moment ? Entre les sommets et la ville, le brouhaha de la ville dont tu te plains. Cherches-tu le silence, est-ce là que tu l’as trouvé ? Entre les pics des montagnes et les marchés en bas, au milieu de la foule ?

Ici, tu peux te reposer. Faire une halte. Des essais, des cadrages. Ces plantes t’attirent. Leur silence, leur ombre surtout. A contre-jour elles respirent, elles te parlent. T’enlacent. Ne disent pas tout, tout de suite. Tu les approches, tu les renifles. Attends un peu, accroupie. Tu attends que les vents les soulèvent. Leur bruissement. On dirait une pluie. Une petite pluie fine qui descendrait des montagnes et viendrait reposer le front du voyageur, le délasser de ces soucis.

Les branches te caressent et s’envolent. Se laissent capturer encore au soleil couchant. Derrière, la montagne s’éloigne. Les derniers feux, les dernières habitations. Il faut rentrer déjà. Poser les pieds près du feu et revenir demain. Surtout, revenir. Elles te parlent. Tu les écoutes. Tu ne sais pas encore. Il faut revenir. Au petit jour.

La pluie reviendra aussi. Peut-être.

Le lendemain, la lumière est éblouissante. Elle est partout. Elle éclabousse les feuilles, les troncs, les visages. Les feuilles en transparence jouent avec les ombres, les contre-jours. Que fais-tu là, te demandes-tu. Est-ce vrai, tout cela. Est-ce bien moi qui suis ici, parmi ces entrelacs .Je voudrais partir, je ne le peux pas.

Elles m’enserrent, ces branches, me séduisent pour que je reste à les admirer tout le jour et j’ai à faire. Cette lumière, qui descend, d’où vient-elle ? Je ne peux plus partir.

Qui s’est caché ici ? Des hommes, des femmes, d’un autre temps, j’en suis sûre, te dis – tu. Tu voudrais les connaitre. Savoir ce qu’ils ont fait. Tu ne sauras rien. Peut-être demain si tu reviens.

Mais que faire d’autre. Le temps est long. Tu es là. Tu viens, tu esquisses, tu joues. Tu attends. Les ombres viennent et repartent. La lumière choisit son moment.

Devant toi, une énorme fougère aux yeux de chat. Elle te scrute et tu la dévisages. C’est un jeu. Ce matin il a plu et tu ne voulais pas venir.

Elle t’attendait au détour du chemin. Et depuis, tu es restée, immobile, à la regarder. Il y en a d’autres à côté, mais tu ne vois qu’elle.

Chaque feuille est un chemin, des drapeaux qui flottent. Sauf qu’ici rien ne bouge. Tout tremble. Chaque goutte est un déferlement, glisse le long de ses flancs. La pluie vient et tu voudrais attendre. Quoi ?

La pluie s’infiltre partout. Dans tes vêtements, sur ton visage. Un déluge. Le vert s’accélère. Tu ne le vois pas. Tu vois la douche de fougère se soulever, respirer. Marcher sur ce chemin, encore. T’y enfoncer. Te laver, là, à l’abri. Gant végétal, caressant ta peau. Milliers de gouttelettes, dans tes yeux, tes oreilles. Végétal aspirine. Lumière verte.

Un matin blême, la forêt de bambous est venue à toi. Les petites feuilles blanches sous la lumière, les hautes tiges vers le ciel. Qui te soulèvent, légères. Elles sont dans l’air et se balancent. Se balancent comme des songes. Les feuilles frémissent. Ton œil aboie. Le mystère passe. Attendre. Il n’y a rien d’autre à faire. Regarde. Le ciel s’éclaircit. Le chemin, veux-tu le retrouver ? Non. Tu es bien, là, à l’abri. Tu pourrais dormir, te coucher dans les hautes herbes. Personne ne te voit. Tu voudrais partir et tu ne le fais pas.

Qui vient ? Quelque paradis.

Le paradis est trop fréquenté.

Aller au dépouillement. Faire quelques photos sans rien d’autre que le vide, le néant. Le rien. Les sourires. Les feuilles qui volent au vent et dans ce rien, tout dire. Un instant, la vie qui passe, qui s’étire, au sommet. Marcher et reprendre un peu de pain. Sur le toit du monde, penser au vent qui vient, au temps qui nous laisse roide. Penser à redescendre.

Cette tige, là, dans le cadre, ce bambou qui descend, le prendre, le montrer. Derrière, la montagne qui aspire tout. Les hommes, les forces, les âmes. Et le ciel qui observe. Ce matin les nuages jouent à cache-cache. Ne pas les regarder. Regarder cette branche basse, la faire tienne, la scruter, la dévorer. Imaginer si tu étais chat ou ogre ce que tu ferais.

Imaginer ce que font les hommes plus bas, si tu arrives à sortir de ta tanière. Mais tu peux sortir. C’est un éblouissement passager.

Ces branches, ces arbres, ces bambous. Tu ne te lasses pas de les photographier, le soir, le matin. Ils t’aspirent. Des chinoiseries, dis-tu. Prétexte. Tu cherches à savoir. Et la lumière ne dit rien. Tu reviens toujours aux mêmes endroits, scrutes toujours les mêmes formes.

Et cette branche tordue en travers des montagnes. Derrière, une lumière, la forêt au loin. Est-ce là ta vie ? Veux-tu rester, veux-tu partir ? Tout est flou. La pluie s’échappe, le temps. Ne te retourne pas. Retrouve le chemin qui t’a mené jusqu’ici. Dans la forêt, tu es si bien, au crépuscule. A l’abri de tout. Mais c’est un leurre.

Les Hommes. Repars vers les Hommes.

« Embroussaillement passager » a été composé et rédigé par Sabine Normand (texte et photographies) en échange du texte « L’énumération comme arme » de Pierre Ménard sur le site Sabine Normand dans le cadre des « vases communicants » de septembre 2012 (3ème année)


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