Un des exercices de l’atelier d’écriture numérique proposé aux élèves de Sciences Po autour de Google Street View : inventer la ville, a été cette année encore, l’occasion d’un beau travail des élèves sur la ville dont voici l’enregistrement sonore :
Vous êtes ici. Un autre temps. Vous êtes ici. Puis les portes s’ouvrent. Vous êtes ici. Le je devient nous, l’ego laisse place à l’égal. Vous êtes ici. Une illumination, un bout d’humanité dans cet endroit oublié. Sans un regard. Chacun son but. Les destins ne devaient pas se croiser. Tout allait très vite. Vous êtes ici. Difficile de se frayer un chemin en commun. Vous êtes ici : circulation intense, Absence totale de feux ou de quelconque signalisation. Vous êtes ici : sous un ciel orangé, les gens se parlent entourés de panneaux publicitaires. Vous êtes ici : chantier de reconstruction, mêmes fenêtres double vitrage. Le soleil, entretemps, disparaît. Vous êtes ici : un homme se déplace sur le boulevard, vide ; odeur de poussière Vous êtes ici : la piste cyclable, la descente, le parisien n’ayant pas le courage de monter à vélo. Vous êtes ici : d’immenses remparts. Beaucoup de constructions transparentes. Vous êtes ici : aucune émotion, costume noir, ne se fait pas remarquer. Vous êtes ici : immense gymnase, foule bruyante. Vous êtes ici : tout allait très vite.
Vous êtes ici : des policiers défilent au rythme des bruits incessants des klaxons, Vous êtes ici : Les rues sont sales, des éclats de cristal recouvrent à moitié le sol Vous êtes ici, sous le ciel gris, un bloc de briques rouges et des toits en ardoise deux ou trois joueurs se renvoient un ballon. Le gris du zinc se confond avec le ciel. Une mosquée, coincée entre deux supermarchés Vous êtes ici, derrière les façades blanches des immeubles, septembre à Paris Vous êtes ici, les talons claquent sur les pavés parisiens, assis au bord de la Seine, lieu de vagabondage, Vous êtes ici, coucher de soleil sur la fontaine, des taxis Peugeot, des Eurostars jaunes. À la chemise bleue avec un foulard blanc, un homme implore le ciel. Côte à côte. Sans se croiser. Saint-Germain-des-Prés.
Vous êtes ici, au balcon, foule de cris et de bousculades, fourmilière. Contraste. Vous êtes ici, devant la boulangerie à la façade décrépie, musicien ignoré près du kiosque fermé. Vous êtes ici, vol de pigeons disgracieux, arc-en-ciel des embouteillages, des amoureux dissimulés dans une gerbe de neige, des fleurs en abondance, délices. Une simple lanterne à l’ancienne, plantée sur un muret. Vous êtes ici, à côté d’un clochard couché au sol seul au pied de la statue de Jeanne d’Arc. Un camion tagué d’une caricature de policier obèse et moustachu passe sur un passage piéton sous la haute vigilance d’un politicien au visage flouté. Vous êtes ici, matin hivernal près de la statue du Vert-Galant, deux poussettes se croisent au coin d’un boulevard à une heure de pointe, masse floutée sous un abribus. Vous êtes ici, les lions gardent l’entrée des assises, derrière les grilles monumentales, la foule s’agglutine devant le palais, des couleurs irréelles, langue de terre au milieu de la scène, la liberté au bout du chemin. Vous êtes ici : coincé entre deux murs oranges, où le soleil disparaît. Vous êtes ici : fini les hauts gratte-ciel, ici la terre battue, une autre musique, un autre temps. Vous êtes ici : dans le fond du wagon, espace robotisé, folle mécanique et impression de tournis, puis les portes s’ouvrent. Vous êtes ici : dans la nuit du tunnel, à l’extrémité, des fenêtres alignées réfléchissent le jour.
Vous êtes ici : où le temps s’est arrêté, entre régularités cyniques et masses figées, l’irrésistible chute. Vous êtes ici : des balcons apparaissent, des moulures se dessinent, les images défilent, on oublie. Vous êtes ici : ville immortelle, entre grandeur passée et décrépitude présente. Vous êtes ici, sur le pont des Arts, mais pas de scène insolite en vue. Vous êtes ici, la partie des quais découverte est colonisée par les fumeurs. Vous êtes ici, une statue d’un homme surement connu, un vieux barbu comme souvent sur les statues, siège au milieu d’un parc public. Vous êtes ici, Gare du Nord, plus grande gare d’Europe, entre Eurostars et trains de banlieue grinçants. Vous êtes ici, vision rapide de la tour Eiffel, tout au fond, qui disparaît aussitôt. Non, ce n’est pas possible, ce n’est pas la tour Eiffel. Vous êtes ici, les bourrasques de vent font voltiger les flocons, le froid fait frissonner les parisiens aux combinaisons de skis survivantes des années 70, vous glissez en vous croyant invincible. Mais bientôt, vous êtes en bas. Vous êtes ici, sur le boulevard, vide. Vous êtes ici, le soleil, entretemps, disparaît. Vous êtes ici, aucune émotion, costume noir, ne pas se faire remarquer Vous êtes ici, toutes les habitations sont taillées dans la même pierre volcanique de couleur noire. Vous êtes ici, sans un regard. Chacun son but. Vous êtes ici, une heure sur un banc. Vous êtes ici, un train, impression de tournis. Vous êtes ici, les couleurs artificielles. Vous êtes ici, les pavés sont sombres. Vous êtes ici, à peine perçus, aussitôt disparus.
Vous êtes ici : un labyrinthe creusé sans se croiser, personne ne ressortira de terre. Vous êtes ici : un vaste terrain recouvert de hautes herbes jaunes et d’arbres morts. Vous êtes ici : la place principale, les klaxons des véhicules amassés au feu rouge et les odeurs des fumées d’essence. Vous êtes ici : ces quartiers en friche, comme des restes de la dernière guerre que l’on aurait oublié de reconstruire. Vous êtes ici : entre un géant très maigre et le routard avec son sac de camping, impossible de respirer. Vous êtes ici : la triste allure des murs décrépis jouxtant les voies, colonisés par les panneaux annonçant le train du Nord. Vous êtes ici : dans cet enfer de glace et de métal, véritable spectacle de désolation. Vous êtes ici : dans le boyau, étroite et immonde rue du quartier sud, où le clapotis des vagues se trouve noyé par l’odeur des égouts. Vous êtes ici : dans un silence qui glacerait les oreilles d’un sourd, ronde infinie sans musique qui s’offre à vos yeux dans son immonde beauté. Vous êtes ici : rien que les rues grises entre les maisons grises, après avoir vendu son âme au diable. Vous êtes ici : fontaine au centre d’une place entourée d’un gazon verdoyant, le jet d’eau s’envole, toujours plus haut. Vous êtes ici : rues aux trottoirs étroits, vides. Vous êtes ici : terrasse d’un café, vue magnifique. Vous êtes ici : long tunnel, sombre. Vous êtes ici : les immeubles sont partout, patchwork invraisemblable de résidences. Vous êtes ici : un parmi des milliers, de toutes les couleurs et toutes les langues du monde.
Vous êtes ici : trois commerces vendent les qualités de différents endroits du monde. Vous êtes ici : des graffitis décorent la façade de l’école municipale. Vous êtes ici : chantier de reconstruction, fourmilière des ruines, travaux dont on se demande s’ils ne seront jamais finis. Vous êtes ici : parois jaunâtres, sol sombre, vieux sièges rouges et bleus, décor étonnamment familier. Vous êtes ici : de hauts grattes ciels, accolés à des bicoques au bord de la ruine. Vous êtes ici : des tours entre le présent et le futur. Vous êtes ici : entre le pressing — à gauche – et la laverie – à droite. Sensation de déjà vu, de passé oublié, de souvenirs refoulés. Vous êtes ici : les lampadaires éclairent assez faiblement le trottoir. Quelque chose ne va pas. Vous êtes ici : fête populaire des habitants, avec une énergie communicative. Ambiance enivrante, odeur entêtante. Vous êtes ici : ruelle étroite et arborée, lot de verdure, touches fleuries. Allergies saisonnières : s’abstenir. Vous êtes ici, perdu au beau milieu d’un carrefour dépourvu de signalisation. Vous êtes ici, dans un bus filant à travers la ville et brouillant votre vision. Vous êtes ici, croisant sur le trottoir un groupe de jeunes écoliers. Vous êtes ici, surplombant l’environnement urbain et profitant de la vue d’un ciel orangé. Vous êtes ici, vos extrémités engourdies par le froid de l’hiver si redouté. Vous êtes ici, graffitis, publicité pour jeux-vidéo, murs décrépis. Vous êtes ici, une banque, un salon de coiffure, deux, trois, un magasin d’esthétique, un restaurant africain. Vous êtes ici, chaos, circulation intense, couleurs voyantes, terre battue d’un noir profond. Vous êtes ici, flot ininterrompu. Vous êtes ici, grille autour d’un jardin, étrange fontaine, façade blanche ombragée. Vous êtes ici, les pieds toujours trempés. Vous êtes ici, froid sombre, décembre. Vous êtes ici, une place, un accordéon, La vie en rose, Bienvenue. Vous êtes ici, vacarme doux de carnaval chinois. Vous êtes ici, odeur de maïs grillé. Vous êtes ici, près d’une boulangerie, une petite fille donne son croissant à un sans-abri.
Vous êtes ici, Police, ne bougez plus. Vous êtes ici, sur le trottoir étroit et vide. Vous êtes ici, dans la lumière de Paris au crépuscule. Vous êtes ici, dans la circulation intense et désorganisée. Vous êtes ici, à côté d’un homme seul lisant le journal sur un banc. Vous êtes ici, la rue est étroite, légèrement en pente, un peu sinueuse aussi. Vous êtes ici, enveloppé de l’atmosphère magique des monuments illuminés. Vous êtes ici, à croiser des pigeons, parmi les gens qui courent pour éviter la pluie. Vous êtes ici, la ville semble se réveiller d’un hiver trop long et l’envol affolé des pigeons fait sourire les passants qui semblent plus légers que d’habitude. Vous êtes ici : personne passe-partout, souvenir fuyant. Vous êtes ici : murmure des conversations dans le petit café, enfants collés à la vitrine du pâtissier. Vous êtes ici : toulousain qui exulte quand son équipe marque l’essai de la victoire à la dernière seconde. Vous êtes ici : deux petits vieux qui discutent, de la pluie, du beau temps, vélos à la main. Vous êtes ici : touristes sur les trottoirs, insouciants, curieux, mille langues incompréhensibles ; chauffeur blasé. Vous êtes ici : camionnette, un homme devant la portière arrière ouverte, sa main derrière son dos. Vous êtes ici : deux femmes devant le Café de la Poste, devant un couple. Vous êtes ici : un homme debout au milieu d’une foule joue et discute avec les passants. Vous êtes ici : immigré bulgare, tricorne, élevage de rats et essais d’accordéon nocturnes. Vous êtes ici : absolument seul.
En écho, la lecture d’un texte que j’ai écrit l’année dernière : Vous êtes ici, blues du béton, comme l’a décrit Lucien Suel sur Twitter (Stuck inside The City with the Concrete Blues again), composé à partir de fragments de textes des élèves de l’atelier d’écriture.