Ce livre est une épopée en cinq chants, une encyclopédie débridée et libre qui propose une lecture sensible du monde « et des signaux qui nous entourent. » Laura Vazquez cite Monique Wittig en exergue de son livre : « Il nous faut, à l’époque où les héros sont passés de mode, devenir héroïques dans la réalité, épiques dans les livres. » Avec le désir de comprendre le monde de l’intérieur, la narratrice trace sa voie en ligne droite. Elle ausculte l’univers jusqu’à faire corps avec les choses elles-mêmes. « J’aide les éléments par la pensée afin de les comprendre / par la manigance de mon esprit / et la manigance de ma présence / je parle à l’intérieur. » Une invitation à se laisser traverser par les pensées les plus folles. Une poésie pleine d’élan, toute en vivacité et frénésie.
Le livre du large et du long, Laura Vazquez, Éditions du sous-sol, 2023.
Extrait du texte à écouter sur Spotify
« Je voulais mesurer les distances.
Mes gros, mes grosses, mes sœurs et compagnie, j’ai posé mes doigts sur des objets ou sur ma propre tête.
Ma tête était super pauvre. Je voulais mesurer l’esprit de la personne humaine.
Mais je mesure seulement mon doigt avec mon doigt, sa mère ses morts, voilà le fond de ma pensée.
Quelle est la taille de cette chose, comment mesure la mesure, telles sont les questions des fous et des folles, des enfants, des sorcières et des cerveaux très seuls.
Quand on y réfléchit car j’y réfléchissais, les centimètres ne sont pas prouvés par la science, et même par le regard, les centimètres ne sont rien.
La distance d’une chose à l’autre, de mon cœur à un cœur, d’une personne à l’autre, ou de n’importe quoi vis-à-vis de n’importe qui et la totalité, pire encore, car la totalité, pire encore.
Comment mesurer une tête comment savoir ce qu’est le doigt. Une graine dans le cerveau m’empêcherait de voir. Elle m’empêche de voir.
Je procédais à une opération de la pensée, j’entourais les scènes d’un cadre. Si je voyais un arbre, je mettais le cadre sur les bords de son corps, un cadre autour de chaque atome, une petite opération.
Bonjour petite graine noire.
Je marchais dans un couloir sur une ligne en silence.
J’ai senti l’odeur d’un fantôme et j’ai compris que c’était ma personne et je marchais dans le bois avec l’odeur d’un fantôme, j’ai toujours vécu près de moi.
Toutes ces scènes existent, sa mère ses morts, je vous le jure.
L’odeur et la peur d’un fantôme. Tu sais, ce n’est pas un fantôme, c’est simplement une personne dans un hôpital, elle s’exprime avec sa figure car elle n’a plus la force de parler. Elle produit une expression. Il faut que tu captes. Au milieu du vide j’avais une idée.
J’avais un geste.
Sa mère, ça je le jure, j’avais des gestes entourés de silence. Des gestes entourés de noir.
Un geste est une épaisseur qu’on ne peut pas toucher.
Le coup, la menace des yeux, les caresses entourées de silence, entourées dans l’obscurité, n’importe, tant que mes yeux découvrent l’air la lumière descend.
C’est une vieille femme quelque part sur terre. Elle garde un portrait d’elle-même jeune dans un petit cadre noir. Elle dit je lui parle et elle parle. Elle dit je n’ai pas la sensation de ma personne vieille. Je n’ai pas la sensation de ma personne jeune.
Je n’ai pas la sensation, je n’ai pas la texture, je n’ai pas la personne.
Elle mange de vieux biscuits pour mourir. Elle parle et voici ses paroles : on dirait que la nuit traverse toutes les nuits. On dirait que la nuit ne sait pas qu’elle est la nuit. On dirait que chaque nuit a traversé chaque nuit. On dirait que la nuit connaît toutes les nuits. On dirait que la nuit se traverse elle-même. À chaque heure de la nuit, la nuit traverse la nuit. Ou bien la nuit est effrayée par la nuit. La pire chose pour la nuit est peut-être la nuit. La nuit ne sait pas qu’elle est la nuit. Elle ne peut pas savoir. La nuit se traverse elle-même. Chaque jour travaille pour la journée. Chaque journée nettoie la journée. Tout dit son propre nom. Je regarde ma main. Pourquoi la main dit main. La réalité se superpose. Elle se superpose, sa mère ses morts.
Je crois. J’ai vu.
ABCDEFG ont besoin de mourir.
D’une nuit. D’une main. D’un verre.
Je serai précise dans l’alignement des choses qui n’ont pas de nom.
Et je conduis mes gros, mes grosses et tout, je vais partir. Je transperce la réalité avec ma voiture. À bord de ce véhicule je transperce les drames, j’avance les dimensions.
On accélère notre esprit.
Notre esprit baigne dans l’ignorance et c’est notre nature.
Vous savez, j’étais une enfant. Je croyais que les décapotables étaient des voitures brisées, j’avais tant de pitié. Je croyais ce que je voyais. Je voyais les paroles. J’étais une enfant, je vivais dans le monde.
J’avais une voisine avec un œil de verre. Son œil naturel bougeait, mais l’œil de verre ne suivait pas. Elle passait son temps dans le jardin, elle coupait l’extrémité des herbes avec de petits ciseaux. Son œil brillait sous le soleil et je pensais : il est plein de vers. Des vers marron, noués de terre. Ma mère disait : la voisine à l’œil de verre. Et je croyais : la voisine à l’œil de vers. C’est comme ça que je vivais, et c’est comme ça que nous vivons dans les croyances. Mes gros, mes grosses. Quel est votre problème ? Votre problème ressemble au mien.
Ma voisine à l’œil de verre n’avait pas de famille. Et je l’imaginais les soirs de fête. Je l’imaginais en train de pleurer d’un œil des vers devant sa télé.
Les vers coulaient.
Je pensais qu’en avalant un chewing-gum, mes organes se colleraient. Un jour, j’ai avalé beaucoup de chewing-gums pour me tuer.
Quand ma voisine est morte, des gens ont installé une petite table noire devant sa maison. Ma mère m’a demandé de signer. J’ai écrit mon prénom et j’ai dessiné un œil et des vers.
Des œufs des poissons.
Des globes.
Un grand soulagement.
On recherche le bien.
Beaucoup de choses s’enfoncent.
Le son de la mer.
Le son de la mer n’était pas celui de la mer.
C’était le son de l’eau contre le sable ou contre les rochers, contre le bateau, c’était le vent.
On ne peut pas entendre l’aboiement d’un chien.
La vibration de l’air allant de la bouche du chien jusqu’à nos tympans.
J’en ai assez.
Des fjords.
Des icebergs.
Un adolescent endormi contre un mur.
Le visage d’un bébé trisomique.
Des images de verre fondu.
Du verre soufflé.
Des morceaux de verre sur de la terre.
Du verre dans du feu.
Un sentiment par sentiment.
Ouvrir une veine. Présenter l’intérieur d’une veine comme on présente un ami.
Voici l’intérieur du bras.
Voici la couleur du liquide transporté par cet organisme.
Des messages vides.
Caresser ses propres veines jusqu’à ce qu’elles explosent.
Soudain le vent se tut.
On s’étonne à tel point que nos sourcils s’écroulent.
La normalité n’a qu’une forme.
Le vase la main le chevreuil.
La vache un rocher l’huile la bouteille les tiges d’or.
La nuit je suis à genoux et je demande je ne sais pas.
Si les pupilles sortaient des yeux où iraient-elles ?
Quand mes pupilles sortiront des yeux, elles iront dans ta maison tu sais parce que je te kiffe. Sous ta maison parce que je t’aime. Dans les murs de ta maison sous forme de coulures transversales. Chaque pupille sera comme une armée une patrouille comme des saints qui marchent avec leurs grands bâtons.
Pupilles pupilles sortez des yeux.
Tout le monde sait que les yeux n’existent pas.
Ce n’est pas possible.
On s’étonne et n’importe quelle image est proche d’une grille d’un voile d’une croix.
Cet oiseau vole sans visage.
Ce n’est qu’une carcasse qui traverse le ciel.
On s’étonne de ce que cet oiseau en feu brûle dans le ciel.
Et calmement. Le soir.
L’intérieur du soir est une douleur tu ne crois pas ?
Je te regarde et tes yeux prouvent quelque chose.
Ferme ma gueule.
Une vapeur recouvre le monde.
Tout le malheur dans un seul vêtement.
Cette chemise est triste.
Du tourment dans les pièces.
Une scie me coupe par le milieu depuis le premier jour.
Je vois je vis je brûle je m’assois.
La tête ouverte c’est bien parce que le ciel tourne en vous.
Graine noire.
Je suis médecine, je pose mes paumes sur votre front, je soigne.
La nuit le vent venait.
Plus jeune je posais les mains sur les paupières des hamsters, les paupières des humains, parfois je découpais la paupière d’un mort, je la tenais dans ma main, j’essayais de souffrir.
Je comptais jusqu’à 10. J’essayais de souffrir de la seconde 3 à 4.
Un fantôme répète la phrase je suis jeune je sors j’arrive je me jette j’éclate je suis mort.
Un fantôme répète la phrase on m’essuie je suis noir je coule je suis bleu on me lave on m’enferme je pleure on me transperce on m’habille.
Je caresse une lamelle dans un laboratoire. J’observe ce qu’il y a de plus petit pour comprendre qu’il n’y a rien de plus petit ou rien de plus grand puisqu’il y a tout de plus petit tout de plus grand, je ris de cette blague et tombe et meurs.
Je suis jeune je sors j’arrive je me jette j’éclate.
J’ai dispersé mes glaires et je lève la main puis je la baisse sans raison.
Soudain j’apparais dans un cercle je sais je suis chelou.
Je sais je plonge tapis punaise tasse et d’autres mots.
Un fantôme répète la phrase j’utilise ma douleur à bon escient.
Un fantôme prend la parole lors d’une réunion de fantômes, il dit certaines marches invisibles vous feront tomber et mourir à nouveau.
A – Z.
Voie.
Je cours parce que je suis un cercle.
Je pue la vie.
J’achète un puits je plonge.
Au fond du puits je bois et j’ai vu le futur.
J’ai bu si fort, j’ai avalé ma gorge.
Une fois j’ai bu si fort, j’ai avalé ma tête.
J’ai cru si fort.
Mes gros, mes grosses, mes compagnes, je m’assois sur une chaise lourde en bois et je regarde la fin de vie.
Je mens. Je veux troubler.
Je coupe un œuf par le milieu.
Je l’analyse, rien de spécial car tout est trop spécial. »
Le livre du large et du long, Laura Vazquez, Éditions du sous-sol, 2023.
Lecture du texte par Laura Vazquez à la Maison de la poésie :
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