Jeudi 25 septembre 2025
Rien que les heures
Un livre publié par les éditions JOU

Rien que les heures est un livre à paraître aux éditions JOU en mai 2026.

Pour soutenir certains livres de littérature (de recherche, expérimentale, complexe) qui ne peuvent que s’insérer timidement en librairie (en cause la domination exclusive du roman) les éditions JOU vous proposent de les aider à produire ce livre en choisissant une des propositions de pré-achat.

Rien que les heures paraîtra le 15 mai 2026 en librairie, vous le recevrez dans votre boîte aux lettres mi-avril 2026.

Format 11 x 17 cm, 270 pages
isbn : 978-2-492628-13-9
18 €

Une traversée de Paris du nord au sud en une journée. À chacune des 60 étapes du parcours, le temps s’arrête, en alerte. Une heure, une adresse pour seul jalon. Au même instant, des scènes se déroulent, dans différents endroits du monde : 146 pays et 396 villes. La succession des histoires qui surgissent, au fil des heures, des situations qui apparaissent dans le désordre comme autant d’épiphanies, forme une constellation d’instants suspendus, d’arrêts sur image.
La juxtaposition de ces multiples strates du récit permet d’explorer simultanément différents points de vue dans une expérience polyphonique.
Un lent cheminement qui révèle, de la veille au lendemain, le trait d’union reliant l’espace dans le temps, l’épreuve d’une présence au monde. Un monde où trouver sa place, où il y a lieu d’être.
Ce récit n’est pas une invitation au voyage, mais une traversée immobile qui nous relie aux autres et à nous-même.


De janvier 2021 à février 2022, j’ai publié toutes les semaines sur ce site un texte du projet L’espace d’un instant, en diffusant un nouvel épisode de sa lecture en mode podcast.

Dans son texte sur L’Espace d’un instant, Corentin Lahouste écrivait : « Se présentant comme une « constellation d’instants suspendus, d’arrêts sur images », s’y révèle, à travers les 420 denses fragments qui le composent, une logique d’accumulation d’épiphanies qui a pour dessein d’« esquisse[r] un portrait en creux, une sorte d’autobiographie à visée universelle ». Ce projet, assimilable à une longue stase temporelle au tracé sinueux, ondoyant, cherche d’une certaine façon à répondre à l’hyper-fragmentation de l’espace et du temps qui est le propre de notre époque, au flot des informations en temps réel qui affluent à tous moments, qui mettent parfois à mal nos repères et notre discernement. Il ne s’agit toutefois pas pour Ménard de chercher à contrer le flux, mais plutôt, en s’y immergeant, en l’appréhendant suivant une modalité de musement, de l’approfondir, d’octroyer à des instants sinon envolés un surcroit de présence, une épaisseur, et de les fixer comme repères – aussi fragiles soient-ils : « Une manière de courber la linéarité du temps afin de la transformer en mouvement qui nous porte ». Dans la reconfiguration du rapport au temps qu’il propose, le projet, via une approche par le fragment, la parcelle, donne à appréhender un long cheminement d’images, où il est question de se mouvoir d’image-instant en image-instant, en un tour du monde multidirectionnel, où tous les continents sont représentés, et où près de 140 pays différents sont convoqués. »

Rien que les heures est la reprise du texte du projet L’espace d’un instant entièrement remanié.

Extraits :

Jar, Norvège : 00:24
Playa El Valle, République dominicaine : 15:24
Keskin, Turquie : 02:24
Arganil, Portugal : 23:24
Vienne, Autriche : 00:24
Santa Ana, Salvador : 20:24
Safune, Samoa : 13:24

La profondeur se cache à la surface. Le point de vue se brouille au rythme des vagues. Elle cesse un instant de voir le monde en morceaux disjoints et cherche à relier l’insaisissable. Le ronronnement du moteur du bateau, les clapotis de l’eau sur la coque, les cris stridents des oiseaux marins s’entrelacent en un chant hésitant. Elle perd souvent son sens de l’orientation au large. Dans cette incertitude étrange, une sérénité furtive s’installe, teintée d’une appréhension qui ne trouve pas de résolution.

Ils ont dormi à même le champ. L’un contre l’autre. Elle, étendue sur le ventre, un bras replié sous sa tête, l’autre posé sur le torse de son compagnon. Lui, allongé sur le dos, jambes écartées, son visage endormi, paisible. La forme de leur corps, la trace qu’ils laissent dans le champ de blé, un écho fragile de leur étreinte. Dans le ciel passe un avion dont le grondement lointain accompagne la chaleur montante. Assez de deux corps pour retenir le vent. Et la chaleur lentement qui monte.

Sur un tapis de feuilles sèches, une lourde pierre repose. Sa forme arrondie, polie par le temps, évoque un ballon. Dans ses interstices, la moisissure s’accroche, témoin des âges passés. Il se baisse, ses mains s’en saisissent sans mesurer son poids. Mentalement, il répète le geste, un rituel presque instinctif. La pierre, trompeusement lisse et compacte, cache une densité redoutable. Lorsqu’il la soulève enfin, il se rend compte qu’elle pèse plus lourd que sa forme ne le laissait croire.

Le quai de la rame de métro est désert. Sous les néons qui clignotent, le lieu prend une teinte inquiétante. Elle avance d’un pas nonchalant pour tromper sa peur. Son pas résonne dans l’espace vide. À l’extrémité du quai, elle monte dans un wagon aux portières entrouvertes. Elle s’assoit discrètement, cherche à se fondre dans l’ombre. Le train va partir. La sonnerie stridente retentit tel un couperet.

Cet enfant aime s’allonger sur le sable, courir, danser, chanter. Il se parle à lui-même, s’invente des mondes. Ses cailloux ricochent sur l’eau, sa bicyclette devient un cheval fougueux. Les dialogues naissent dans sa tête, des voix en écho : les étoiles, c’est des morceaux de soleil. Et la lune ? lui demande une autre. C’est quand il fait noir, lui répond-il. Puis les mots s’emballent, les phrases se chevauchent, et il s’émerveille. Mais qu’est-ce que c’est ? C’est une boule. Elle est grande ? Oui, comme le soleil.

La mère interdit à sa fille de ronger ses ongles. Elle connaît bien cette habitude, son lien au stress ou à l’ennui. Elle essaie tout : le vernis amer, ce goût qui rebute, ne suffit pas. C’est finalement une solution simple, suggérée par une voisine, qui fonctionne le mieux. Chaque ongle rongé est recouvert d’un ruban adhésif. Cette contrainte inattendue fait obstacle à son impulsion et, peu à peu, la manie se dissipe.

Le silence s’étire, épais. Ils ne se parlent plus. Leurs doigts nerveux esquissent des gestes maladroits, cherchant malgré tout une forme d’échange. Chaque mouvement est un membre fantôme, une tentative avortée de briser l’isolement. Le vide de la pièce pèse sur eux, témoin muet de leur solitude. À leur insu, leurs souffles s’accordent, cherchent à combler l’absence. Entre fuite et abandon, ils oscillent : se perdre ou se retrouver. C’est à prendre ou à laisser.

Iakoutsk, Russie : 01:12
Likasi, République démocratique du Congo : 18:12
Detroit, Michigan, États-Unis d’Amérique : 12:12
Londres, Angleterre, Royaume-Uni : 17:12
Winnipeg, Canada : 11:12
Tougouzagué, Burkina Faso : 16:12
Trentham, Australie : 02:12

Sur les hauteurs de la ville, les lumières scintillent. Elle parle à son mari, la ville, elle, murmure à son oreille. Un dialogue s’instaure entre eux, dans l’intimité de leur langue partagée. La ville se déploie comme un paysage. Ils s’ouvrent à ses images, à la lumière qu’elle offre. Ce vertige léger, cette rumeur constante qui s’intensifie à chaque instant. Tout ce qui vient est toujours une répétition de ce qui est déjà arrivé.


L’hôtel s’est vidé pendant le conflit. La peur a chassé les habitants. La piscine abandonnée est marquée par les ondulations de sa structure dans l’eau croupie. Les insectes y infestent les marbrures sombres de l’eau. Elles rappellent les couvertures jaunies de livres anciens. L’hôtel, construit dans un lieu déserté avant l’apparition des habitations, porte les traces de ce passé révolu.


Il traverse la rue déserte en courant à toute vitesse. Qui craint-il de croiser ? Que fuit-il ? Le quartier, tout comme les maisons, est en ruines. La rue s’étire devant lui, puis ralentit son élan. Il revient sur ses pas, retrouve les traces laissées dans la poussière. Le monde se dérobe sous ses pieds. Les souvenirs surgissent, apportant leur confusion. Qu’est-ce qui reste quand tout se transforme ?


C’est un jeu risqué, une excitation interdite. Le souffle ralenti. Se tenir à la limite. Dans l’étreinte, elle serre autour de son cou sans y penser. Le danger, dans l’instant, les pousse à aller plus loin. Mais au moment où elle hésite, il la voit se noyer, il veut la sauver. Chaque expérience l’attire davantage, mais elle craint ce qui pourrait arriver. Ce qu’il cherchait dépassait ce qu’il ressentait. Elle se sent trahie.

Allongée, son ventre contre le tapis, elle est absorbée par son dessin. Ses mains, sans se soucier de l’inconfort, dessinent avec une énergie douce. Plus rien n’existe autour d’elle. Chaque mouvement du crayon est une révélation, chaque geste un désir. Les formes naissent de ses mains, des idées, des rêves. Son corps tout entier est une danse de l’esprit, projeté dans un univers de lignes et de couleurs.


La fenêtre ouverte sur le fleuve laisse passer le vent, agitant le rideau comme un salut. De l’autre côté, la cabane se tient droite, opposée à la rive. La lumière de l’eau joue sur les remous, reflétant des éclats argentés. Le vent secoue l’air. De l’autre côté, les chiens aboient sans relâche. À travers les branches des arbres, l’ombre se dessine, tremblante, dans la lumière qui s’affaiblit. Une fin qui se fait en silence.


Dans la nuit, il n’y a que la nuit. L’air passe en souffles discrets, effleurant l’oreille. Il écoute chaque bruit, chaque mouvement, en quête de signification. Le réel se dérobe, fracturé par des effractions inattendues. Il pousse plus loin, défiant les frontières du possible, de l’imaginaire. La réalité s’estompe dans ce masque sans fin, ce jeu de miroirs où tout s’inverse, tout se confond.

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