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Puits vers l’Enfer et autres inventions

La semaine dernière, un pilote d’hélicoptère a découvert un trou profond de quelques 70 mètres sur la péninsule de Yamal en Sibérie. [1]

Un trou profond découvert sur la péninsule de Yamal en Sibérie

Après la découverte à la mi-juillet 2014 d’un second trou géant repéré à 50 kilomètres du premier, le mystère s’éclaircit mais ce qu’il annonce est inquiétant. Ce nouveau trou est légèrement plus petit que le précédent.



« Que déduire de la présence de cette deuxième cavité, se demande Nicolas Revoy, dans le Journal de la Science. Tout d’abord, elle renforcerait l’hypothèse d’une origine environnementale, au détriment de l’hypothèse météoritique. Le scénario du pingo prendrait notamment de la consistance. Les pingos ? Ces formations géologiques sont constituées d’une masse de glace enfermée sous la terre, qui crée peu à peu un dôme sous l’effet de l’augmentation de volume causée par le gel de l’eau. Parfois, ce dôme est attaqué par l’érosion, qui va peu à peu créer des coulées de solifluxion, formant comme un rempart autour du monticule. Puis, lorsque cette masse de glace se met à fondre, le monticule s’effondre, créant un creux appelé cicatrice par les géologues (pour en savoir plus lire l’article Pingos, palses et lithalses). Autour, les remparts de terre subsistent, comme ce qui a été observé autour du premier trou. »

Un trou géant au Guatemala

Ces récentes découvertes soulèvent deux problèmes. Ces trous géants sont des indicateurs visibles du réchauffement climatique, car ces trous se trouvent au niveau du pergélisol (une zone constamment recouverte de glace et de neige) qui perd aujourd’hui du terrain. Et le gaz qui est libéré dans l’atmosphère lors de la formation de ces trous est du méthane, qui, au même titre que le dioxyde de carbone, est un gaz à effet de serre. « On entre alors dans un cercle vicieux, écrit Julien Jégo dans son article Pourquoi il faut s’inquiéter de voir des trous se former en Sibérie ? paru dans Slate : de plus en plus de méthane est dégagé dans l’atmosphère ce qui augmente les températures, donc le pergélisol se réduit et de nouvelles poches de méthane éclatent, ainsi de suite. »

Comment pourrait-on penser une minute que ces trous découverts récemment en Sibérie ont une origine naturelle (sans parler de certains journaux qui s’amusent à évoquer les extra-terrestres) lorsqu’on découvre, dans la même région, les mines à ciel ouvert ?

Prenons par exemple la mine Mir, première et plus grande mine de diamant de l’Union soviétique. Le trou a été creusé pour satisfaire les exigences des industriels diamantaires. L’endroit a finalement été abandonné quand il s’est avéré trop difficile de creuser davantage le trou devenu gigantesque. La partie à ciel ouvert de la mine, désormais désaffectée, forme un immense trou de 525 mètres de profondeur et de 1 200 mètres de diamètre.

« Les diamants de Mirny, donc, il fallut creuser pour aller les chercher, casser le permafrost à coups de dynamite, forer un trou dantesque, large comme la ville elle-même – on y aurait plongé tête en bas les tours d’habitation de cinquante étages qui y poussèrent bientôt tout autour –, et, muni d’une torche frontale, descendre au fond de l’orifice, piocher les parois, excaver la terre, ramifier des galeries en une arborescence souterraine latéralisée au plus loin, au plus dur, au plus noir, étayer les couloirs et y poser des rails, électrifier la boue, alors fouir la glèbe, gratter la caillasse et tamiser les boyaux, guetter l’éclat splendide. Trois ans. »

Naissance d’un pont, Maylis de Kerangal.

La partie à ciel ouvert de la mine de Mir, actuellement désaffectée

Les gens se déplacent d’un lieu à un autre et certains endroits finissent par être complètement abandonnés. La plupart du temps, il y a toujours une bonne raison qui explique pourquoi les gens ont quitté ces lieux.

Mais ces trous en Sibérie évoquent surtout les fameux Puits vers l’Enfer, un prétendu forage sibérien qui aurait été creusé si profondément qu’il aurait percé l’Enfer. Cette légende urbaine circule sur Internet depuis au moins 1997 :

« Nous avons descendu au fond du tubage un micro destiné à enregistrer le bruit de plaque lithosphérique en mouvement. Mais au lieu de cela, nous avons entendu une voix humaine qui hurlait de douleur de façon perçante. Tout d’abord nous avons cru à une défectuosité de notre matériel. Nous l’avons remonté, vérifié, redescendu et nos pires soupçons furent confirmés : ce n’étaient pas les hurlements d’une seule personne, c’étaient les cris perçants de douleur de millions de personnes. Fort heureusement, nous avions mis en route l’enregistreur et nous possédons ces hurlements de cauchemar enregistrés sur cassette. À ce stade, nous avons arrêté le forage et cimenté le trou. Il est certain que nous avions découvert quelque chose qui était au-dessus de notre compréhension. »

Mais tout ceci ne vaut pas la lecture de Voyage au centre de la Terre de Jules Verne.

« Nous descendions une sorte de vis tournante. » Gravure d’Édouard Riou pour l’édition originale de 1864.

« Le véritable voyage commençait. Jusqu’alors les fatigues l’avaient emporté sur les difficultés ; maintenant celles-ci allaient véritablement naître sous nos pas.

Je n’avais point encore plongé mon regard dans ce puits insondable où j’allais m’engouffrer. Le moment était venu. Je pouvais encore ou prendre mon parti de l’entreprise ou refuser de la tenter. Mais j’eus honte de reculer devant le chasseur. Hans acceptait si tranquillement l’aventure, avec une telle indifférence, une si parfaite insouciance de tout danger, que je rougis à l’idée d’être moins brave que lui. Seul, j’aurais entamé la série des grands arguments ; mais en présence du guide je me tus ; un de mes souvenirs s’envola vers ma jolie Virlandaise, et je m’approchai de la cheminée centrale.

J’ai dit qu’elle mesurait cent pieds de diamètre, ou trois cents pieds de tour. Je me penchai au-dessus d’un roc qui surplombait, et je regardai. Mes cheveux se hérissèrent. Le sentiment du vide s’empara de mon être. Je sentis le centre de gravité se déplacer en moi et le vertige monter à ma tête comme une ivresse. Rien de plus capiteux que cette attraction de l’abîme. J’allais tomber. Une main me retint. Celle de Hans. Décidément, je n’avais pas pris assez de « leçons de gouffre » à la Frelsers-Kirk de Copenhague.

Cependant, si peu que j’eusse hasardé mes regards dans ce puits, je m’étais rendu compte de sa conformation. Ses parois, presque à pic, présentaient cependant de nombreuses saillies qui devaient faciliter la descente. Mais si l’escalier ne manquait pas, la rampe faisait défaut. Une corde attachée à l’orifice aurait suffi pour nous soutenir, mais comment la détacher, lorsqu’on serait parvenu à son extrémité inférieure ?

Mon oncle employa un moyen fort simple pour obvier à cette difficulté. Il déroula une corde de la grosseur du pouce et longue de quatre cents pieds ; il en laissa filer d’abord la moitié, puis il l’enroula autour d’un bloc de lave qui faisait saillie et rejeta l’autre moitié dans la cheminée. Chacun de nous pouvait alors descendre en réunissant dans sa main les deux moitiés de la corde qui ne pouvait se défiler ; une fois descendus de deux cents pieds, rien ne nous serait plus aisé que de la ramener en lâchant un bout et en halant sur l’autre. Puis, on recommencerait cet exercice ad infinitum. »

[1Yamal signifie Le Bout du Monde.


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