« Les plats se lisent, les livres se mangent ».
Marcel Proust
Ne lisez plus. Dévorez.
Cette injonction figure dans la dernière publicité de la liseuse d’Amazon, le Kindle Paperwhite.
Avec Kindle Paperwhite, découvrez une nouvelle façon de savourer vos livres. Au menu : des millions de livres, du classique au dernier best-seller. Avec son écran haute résolution et sans reflet, il se lit comme une véritable page papier, pour un parfait confort de lecture de jour comme de nuit. Avec Kindle Paperwhite, lisez plus.
Ne lisez plus. Lisez plus. Difficile de percevoir la différence entre ces deux propositions et d’en saisir le message.
Cette image, au sens de métaphorique du terme, n’est pas nouvelle. L’image de Gérard Philippe faisant mine de dévorer des livres, est assez célèbre.
L’acteur n’a accepté de faire de la publicité dans sa carrière que pour les livres des éditions Gallimard. La campagne, pour laquelle il pose devant l’objectif de Lucien Lorelle, pour le publicitaire Henri Sjöberg, est lancée en en 1950. Cette affiche avec le slogan « Dévorez les livres » est signée Gérard Philipe. Elle sera affichée sur tous les murs de France, pendant de nombreuses années.
Dévorez des livres. Mieux qu’un cadeau, un livre.
Bon appétit ! pic.twitter.com/ijdBocCuH4&mdash ; ActuaLitté (@ActuaLitte) 23 mars 2016
Le livre, dans notre société de consommation, est devenu un produit comme un autre. Un banal objet de consommation. Toutes ces images ne font que véhiculer cette notion, nous la font avaler, plus ou moins consciemment, jusqu’à l’excès. Jusqu’à l’indigestion ?
« C’est la loi du marché qu’on s’obstine, de toutes les manières, à vouloir appliquer à la littérature, écrit Blandine Rinkel (rien de nouveau sous les pixels, le contrôle de gestion via la publicité et les communicants en tous genres agissant déjà ainsi, à un niveau moindre, chez les éditeurs majeurs) quand celle-ci demeure, précisément, l’occasion de s’extraire temporairement du marché. Quand les livres sont cette chance pour un individu de suspendre son jugement. D’entendre autre chose que ce qu’il a envie d’écouter. De s’imposer, comme l’écrit Emmanuel Carrère, « le temps de la lecture comme une discipline mentale ».
Sur son blog, Lorenzo Soccavo, évoque le livre de Gérard Haddad Manger le livre : « Au-delà de l’essai de Gérard Haddad, la lecture que je propose est de prolonger la ligne des livres nourrissants, ceux en surabondance qui nous remplissent et nous creusent, ces livres de grande consommation qui nous donnent aisément une fausse impression de satiété - à tout point de vue le rapport de similitude entre chaîne du livre et industrie alimentaire crie sa pertinence, prolonger la ligne donc de ces livres nourrissants au Livre nourricier, quel qu’il soit pour soi, c’est-à-dire nourricier pour soi, nutritif, Livre unique pour soi, car nous savons qu’il apporte lui, à la construction de notre Être, les nutriments symboliques dont nous avons besoin ».