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Libération Remix
Manifestation artistique, Paris, 10ème

À quoi s’affairent les hommes que l’on distingue au centre de cette image ?

Un mouvement à surprises. Insaisissable mouvement. Nous sommes toujours au fond du trou, et même des trous (assurance maladie, caisses de retraite...). On ne voit pas le bout du tunnel. Il n’y a plus d’essence dans certaine stations. La contestation semble désormais se déplacer sur le terrain des injustices et des inégalités. Il y a de l’électricité dans l’air. Le mouvement risque ainsi de se diviser et donc de s’affaiblir. Le premier qui arrête sans l’autre est mort. Le risque est non seulement réel mais, en l’état, il est élevé. Jouer la stratégie de la tension. Une démonstration de force tranquille. On avance à l’aveugle dans ce conflit. Une série d’incidents inquiétants au moment où un mouvement se dessine. Les gens sont là où on ne les attend pas, motivés pour se battre, mais pas prêts à sacrifier une journée de salaire. À court terme, pas d’inquiétude, donc.

D’où sort cette photo ? Qui l’a prise ?

Il y a une dynamique de mobilisation. De l’électricité dans l’air. Des injustices et des inégalités. Le premier qui arrête à perdu. Quoi ? Pas alarmant, tout ça ? C’est notre avenir, on est concerné. La retraite ? Mais c’est loin ! Aller au diable. Une situation préoccupante, mais pas alarmante. Vous jetez de l’eau bénite sur la personne. Elle se contorsionne. Vous lui jetez de l’eau du robinet et les spasmes l’abandonnent. Le premier qui arrête sans l’autre est mort. Cela veut dire qu’elle est possédée par le diable. Ils se sont mis à courir et se sont fait courser. On aurait dû rester avec eux, les encadrer. Un mouvement à surprises. Sinon ça dérape plus vite. La police a de plus en plus de mal à faire face à ces situations qu’elle qualifie d’attroupement, de nébuleuse violente. Limiter l’usage de la force au strict nécessaire. Frapper un homme à terre, c’est se frapper soi-même. Le mouvement risque ainsi de se diviser et donc de s’affaiblir. Insaisissable mouvement.

Les photos ont été prises au moyen d’un téléphone portable. Leur alignement permet de dérouler ce qu’on appelle le film des événements.

Les jeunes, au début, n’étaient pas tous présents, on sent que c’est quelque chose qu’on cherche à faire monter. Il n’y a plus d’essence dans certaine stations. De l’électricité dans l’air. Ces mesures repoussent le spectre de la pénurie. Mais au rythme où défilent les clients, les cuves seront très vite vides. Les avantages innés, c’est à moi. Avec l’accord de ma hiérarchie et l’approbation des avocats. Les avantages acquis, c’est à qui ? Pour imaginer son avenir, une nation doit s’inventer un passé. C’est vrai, j’ai l’impression que ça fait une semaine que le journalistes aimeraient bien que les jeunes rentrent dans les manifestations. Il y a une dynamique de la jeunesse. Insaisissable mouvement. On les fait marcher. Il faut des héros, des songes et des contes. Mais les gens sont là où on ne les attend pas. Maintenant chacun dit ce qu’il pense. Le mouvement risque ainsi de se diviser.

Tout devient fiction et les personnages deviennent des personnages. Cette photo, à sa façon, fait partie du spectacle.

Quand nous évoquons le futur, nous ne voyons aucun progrès possible dans notre pays, juste davantage de problèmes. Nous capturons et reconstruisons ce qui est caché dans l’air. Tout est donc vrai et tout est donc faux dans l’histoire de France : c’est un roman. Nous sommes des prismes, révélant les peurs du réseau citoyen, ses doutes, ses désillusions, ses désirs et ses mensonges. Un sentiment émerge : les médias sont suspectés de co-construire chaque événement. Quoi ? Pas alarmant, tout ça ? Derrière la colère des manifestants, c’est celle des spectateurs du film de l’actualité qui monte. On me l’a dit, j’attends les preuves. On ne pourra résoudre la crise sans jamais toucher au verrou fondamental que constitue le processus de sélection orientation, qui bloque tout le système. Nous ne vivons pas dans un monde où nous pouvons faire semblant que tout va bien, écrit-il. Tout en savourant, il s’inquiète. Comment une histoire aussi dérisoire peut-elle trouver un tel écho ?

On distingue un groupe de passants. Sont-ils interdits ou intrigués ? Qui nous dit qu’ils n’ont pas cru pendant quelques instants assister à un tournage ? Et que se trouvant ainsi dans le champ d’une possible caméra, ils espèrent jouer un rôle dans le film, même second, même petit ?

Je participe, tu participes, il participe, nous participons, vous participez, ils profitent.

Ce texte a été écrit entièrement à partir de phrases extraites du journal Libération du samedi 16 et dimanche 17 octobre 2010.


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