21 % seulement des Français jugent plutôt positif le bilan de Nicolas Sarkozy. Un record de désillusion.
L’article de Gérard Courtois paru dans Le Monde du 13 avril, dresse un bilan pertinent de la présidence actuelle. Anne-Marie Garat, écrivain, avait adressé à l’époque de l’élection de Nicolas Sarkozy un article que Gérard Courtois n’avait pas alors jugé bon de publier dans le journal Le Monde. Il était un peu tôt, sans doute, cela paraissait bien outrancier à l’époque, quand la presse unanime saluait le providentiel président que la France venait d’élire.
L’Illusion comique finit en tragédie
Le démagogue excite les passions de la multitude, il la flatte, ivre du pouvoir qu’il mendie d’elle, par ce marché ignoble du « tout est possible », quel slogan ! Dans les clameurs, la foule en liesse le porte en triomphe puisqu’il lui promet tout ; et comme la foule tyrannique a l’avidité des canidés, sa bestialité exige son os sans délai, son lubrique accouplement avec la première vulve venue, et sa peau sanglante pour trophée. Repue, au moins d’illusions, elle sombre dans le sommeil des ivrognesses, avant d’en réclamer davantage, insatiable.
Car l’histoire est courte : le démagogue ayant échoué périt de mort violente, étripé par la même foule déçue, forcément déçue : il a beau multiplier les prodiges et dispenser la licence, jamais il n’assouvit les faims qu’il a suscitées, jamais n’est à la hauteur, ou à la bassesse, de son succès. L’attente de la multitude excède toujours ses promesses.
Plaie purulente de la démocratie, la démagogie gangrène le rêve. Elle avilit et dégrade l’esprit en grimace hideuse : tout est possible ? Tout est impossible. Tout est d’un tel absolu qu’il enferme en soi son contraire et s’anéantit. Dans cette pensée totalisatrice, et totalitaire, il ne reste aucune place pour enfoncer le coin de la spéculation théorique, du doute critique, ni celui de la pratique empirique. Tout absolutise le réel pour mieux le révoquer, convoque la totalité pour mieux l’absenter. Que la réalité soit partielle, contingente, accidentelle et lacunaire, qu’elle advienne en des formes interrogatives soumises sans cesse à l’exception et à la révision, cette formule terrible l’exclut, dans un déni redoutable.
Quelle foule sommes-nous pour avoir donné quitus à Nicolas Sarkozy ?
C’est que le téléspectateur ne s’idiotise pas impunément, scotché 3 heures quotidiennes à son poste, consentant, béat, au principe de décérébration de masse de M. le Lay. Abruti par tous les trucages au câble du sport dopé vendu, de la Star Ac et des goujateries pipoles, shootés à la rigolade grasse d’une télé du mieux disant culturel (qui promettait ça, déjà ?), désinformés du JT et du journal gratuit (oublie-t-on que ce qui est gratuit a un coût et des investisseurs ?), il ne peut qu’accueillir, appeler de ses vœux le grand thaumaturge qui s’annonce ! L’homme providentiel fêté par les médias et les financiers, qui le tiennent par la barbichette autant qu’il les tient, parrains de son fils et de ses affaires. Son grand barnum à la hussarde, son bagout à la mitraillette, à la baraque de foire cognant sur toutes les têtes de pipe, jeu de massacre folâtre, il plaît. Jusque dans son grand écart clownesque, un pied sur la tête de Jean Jaures, l’autre sur celle d’Alexis Carrel, le doigt sur celle de Martin Luther King et hop ! suspendu par son toupet au ressort de la banque, des armes et des groupes industriels, qui l’agite de soubresauts mécaniques et de tics rigolos, un tel bouffon médiatique en chef d’Etat, la France le mérite, bonsoir de grand soir ! Elle a des gènes berlusconiens.
Elle aura bien du plaisir dans les semaines, les mois qui viennent.
Car le démagogue antique l’inspire, qui cultive l’inculture pour y planter ses choux gras, c’est d’un bon rapport. Mais le talon d’Achille Zavata de cet homme, ce sont ses gènes éruptifs, une vraie grenade dégoupillée. Il saute d’un discours hystérique, surréaliste, à sa voiture à vitres fumées, deux bimbos à ses côtés - soient-elles filles de Cécilia, que font là ces deux-là ? On est dans un feuilleton de gangster américain, ou quoi ? Et peut pas s’empêcher, c’est plus fort que lui, doigt pointé : saluez bien M. Pujadas de ma part. A bon entendeur : ce n’est pas la première fois. Ni la dernière qu’il insulte, éructe, tic et toc, couic et couac, sans beaucoup émouvoir la gent journalistique. Ni la dernière fois qu’il ment, falsifie, corrompt, appelle aux violences civiles, à quand les violences armées ? Cet individu prêt à tout et n’importe quoi, en son naturel éjaculateur précoce de la profération kärcherisée, est un danger public ambulant : pas besoin d’en rajouter une touche, caricaturistes.
Les Français identifient-ils la fonction présidentielle à cet individu, et les hommes de la droite républicaine, des Barnier, Juppé s’y reconnaissent-ils ? Vraiment ? Il a tout promis, au jeu du menteur : de raser gratis petits vieux, femmes battues et caissières, jeunes, smicards ; de saquer voyous, pédophiles, sans papiers, journalistes non alignés, gènes anormaux, suicidaires, rmistes, chômeurs, immigrés ; de faire se lever tôt la France feignasse, de récompenser ses amis du grand mérite de l’être, d’être l’ami et l’ennemi de quiconque et son contraire, mêmement pendu au croc de boucher, de mettre au pas la culture et de rentabiliser l’éducation. Tant électrisé, qu’un plomb va forcément sauter quelque part. Surexcité pour attraper sa queue de Mickey, dès qu’il l’aura, il ne saura qu’en faire, son grand soir sera de désarroi. Sa pulsion folle - proprement folle – une fois désemparée de son objet, le livrera au vertige de son vide existentiel, sidéral. Dire que le Dictateur nous faisait rire… Au secours, Chaplin ! Chef d’Etat, un inculte pareil, xénophobe, sécuritaire, sectaire, haineux sous ses ricanements, va expérimenter tous les joujoux de sa fonction, et s’il le faut ceux de la loi martiale, du couvre-feu, du tir à vue sur tout ce qui bouge. Dictature ? Ce gros mot amuse la galerie des dubitatifs. Peut-être l’Europe, tant honnie des nonistes, sera-t-elle alors le seul rempart à ses dérives anti-démocratiques…
D’ici là, restez bien devant vos postes de télé, bénissez M. Le Lay, et ne regardez pas ce qui se passe dans la rue. Dans les semaines, les mois qui viennent, fermez les yeux, dormez bien. Alors peut-être rêverez-vous, dans l’enfance du sommeil, d’une présidence intelligente et digne, belle et grave, inspirée par de hauts désirs et porteuse d’avenir, vous apprendrez que les rêves nobles sont les vraies ambitions de la réalité. Rêvez, parce que, demain, il risque y avoir du sang et des larmes. L’Illusion comique se finit en tragédie.
Anne-Marie Garat Ecrivain