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On se tourne vers le monde, on se tourne vers soi

« On se tourne vers le monde, on se tourne vers soi. » Quelque chose noir, Jacques Roubaud

Basculer du jour à son reflet de l’autre côté de la nuit. Dans le noir. D’un bleu très noir. Dans le noir d’une nuit interminable. L’époque est frontale, sans concession. L’affrontement, inévitable. Un rien peut déclencher l’étincelle fatale. Mais c’est à petit feu qu’on avance dans la vie. Tout devient uniforme, consensuel à l’excès. Il faudra bientôt que plus rien ne dépasse. Pas un mot plus haut que l’autre, au garde à vous. Il faudra qu’on assiste à tout, tout le temps, qu’on commente tout, tout le temps, impuissant croyant maîtriser ce qui arrive alors que tout nous échappe, nous file entre les doigts, incompréhensible, sur le qui vive, dans l’émotion et l’impatience, qu’on ait un avis sur tout, surtout avec les mots et les images des autres, relayés d’une simple pression du doigt sur la souris de son ordinateur. Nous sommes entrés, comme pris au piège, dans l’impressionnante chambre d’écho des réseaux sociaux, leur miroir grossissant. Doute de tout. La nouvelle se propage comme feu d’herbes folles, incendiaire, ce qui compte n’est pas ce qui est propagée, juste la propagation. Le point de départ. L’élan premier. Primitif. Des monstres, et de l’absence. Et tout s’obscurcit. Le signe de la douleur. Quelque chose noir.

L’union fait la force, répète-t-on à l’envi, le rassemblement est notre force, mais avec cette union forcée le risque est l’uniformité. Je ne défile jamais mais ce n’est pas pour me défiler, vous fausser compagnie, toujours seul au monde, à régler cette distance et ce rapport aux autres. Un défi. L’uniforme est notre menace. Plus rien ne dépassera. À la lumière des événements.

« L’émotion : qu’en ferons-nous ? demande Claro sur son blog Qui nous l’empruntera pour s’en servir ? Qui en fera à son tour une arme ? Qui lui donnera d’autre nom que celui d’émotion ? La peur. Qui en fera un étendard, un levier ? une autre peur ? une peur autre ? Le choc. Qui utilisera ses ondes pour déplacer certaines masses ? L’horreur ? Qui profitera de la cécité qu’elle peut engendrer ? L’indignation et l’inquiétude n’ont jamais créé de cohésion sociale. »

Deux ou trois choses que je sais d’elle, Jean-Luc Godard

Souvenirs de constellations cosmiques au fond d’une tasse de café.

Café. Bruits de tasses en faïence qui s’entrechoquent. Beaucoup de monde dans le café ce matin. Là mais où, comment ? Tous les bruits du café, derrière la vitre comme à l’intérieur, s’invitent en vous et vous envahissent.

On regarde rarement par terre, préférant lever les yeux au ciel, admirer le paysage, avancer en sifflotant, en rêvant, en réfléchissant. Dans tous souvenirs se perdent les couleurs. Mais quand on s’arrête enfin, qu’on prête attention à ce qu’on voit sous ses pieds, la tête nous tourne. Léger vertige, passage à vide. Les yeux se brouillent un instant. Ce qu’on voit n’est plus ce qu’on a sous les yeux. La réalité se trouble. Changement radical de dimension. La lumière se révèle en revanche incapable de faire obstacle à la mort. L’impression passagère d’avoir été transporté dans un rêve qui revient vous hanter.

Photographie de Céline Renoux

Dans le décor d’un lendemain de deuil, le sol humide, bleu sur fond noir, parmi les confettis des graviers du trottoir et la flaque d’eau en miroir. Le ciel et le sol dialoguent en silence. Toute frontière abolie. Les bruits de la foule s’éloignent. La bêtise humaine n’a pas de limite. Elle confine parfois à la folie.
Hier, ma femme à qui on demandait pourquoi faire des enfants aujourd’hui, a eu cette réponse admirable : pour changer le monde.

Rira bien qui sait rire encore.


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