La proposition de loi dite « sécurité globale » veut renforcer l’impunité des policiers en empêchant, lors de la diffusion de vidéos, leur identification. Elle porte atteinte au droit fondamental d’informer librement.
Ne plus voir les images de heurts, d’échauffourées, de combats, d’agressions, les corps traînés au sol, par les bras, par les cheveux, les vêtements déchirés, lacérés, salis, les yeux sortis de leurs orbites, les mains coupées nettes, déchirées, en lambeaux, les corps mutilés, les bleus sur le corps, virant du vert au mauve, le sang qui coule, sur les yeux, sur le crâne, la tête parfois ouverte en deux, cuir chevelu arraché par l’impact d’un tir, d’un coup de matraque, de bouclier, arcades sourcilières explosées, meurtries, les visages ensanglantés, les coups de gourdins qui pleuvent, qui frappent les corps, dans le brouillard des lacrymogènes, la symphonie des sirènes assourdissantes, les coups répétés, coups de pied, genou appuyé contre le torse, la tête, trop lourd, trop longtemps, qui pèse et qui blesse, empêche de respirer, les tirs de flashball, et les gaz en plein visage, dans les yeux, gaz qui coupent la respiration, tiens prends ça tu l’as bien mérité, tu n’avais qu’à pas être là, à manifester, à t’exprimer, à t’opposer, à filmer, à photographier, à sortir de chez toi, à chercher les coups, à risquer ta peau, le visage contre le bitume, la gorge serrée, les corps comprimés, opprimés, les cris, les pleurs.
La peur de manifester. La peur de s’exprimer en dehors des limites imposées.
Comment accepter encore de voir ça... Ce spectacle insoutenable ?
Pour ne plus voir ces violences quotidiennes, rien de plus simple, il suffit de fermer les yeux.
Fermer les yeux sur les dérives, les exactions.
Fermer les yeux sur la violence gratuite, sur les abus de pouvoir, sur les gestes déplacés, les insultes et les invectives.
Sur les mots d’ordre et le désordre des mots.
Sur les incohérences gouvernementales.
Sur les informations mensongères.
Sur les injonctions contradictoires.
Fermez les yeux sur le sexisme, les abus sexuels.
Fermez les yeux pour que tout ce qui nous entoure et nous gêne
cesse aussitôt d’exister ? Comme par miracle.
Mais cela ne se passe pas comme cela. La magie n’opère pas.
Interdire de filmer le visage des policiers et des gendarmes dans l’exercice de leur travail ce serait les mettre en danger ?
Les violences policières ne vont pas disparaitre parce qu’on ne les montre plus. Les injustices disparaitre parce qu’on n’en parlera plus, qu’elles ne feront plus la une des journaux. En boucle à la télé et sur les média sociaux.
Interdire de filmer les interventions policières en prétextant protéger gendarmes et policiers c’est autoriser l’impunité de la police, empêcher de dénoncer d’éventuelles violences, dérives et accidents, c’est faire croire qu’il suffit de fermer les yeux pour tout résoudre, transformer la réalité pour lui faire dire ce qu’on veut dire, ce qu’on veut faire croire, passer le message. Fermer les yeux.
Pour ne plus les voir, pour qu’elles n’existent plus, qu’on ne puisse plus en douter. Mais voir c’est croire. Ce n’est pas une preuve, mais un élément de preuve. Un cadre protecteur.
Circulez, il n’y a plus rien à voir.
Ayez confiance ! Fermez les yeux !
Nous vous surveillons, circulez !
Au travail. Une fois terminé, rentrez bien calmement chez vous. Allumez votre télé, votre ordinateur. La réalité est celle qu’on diffuse, pas celle que vous vivez au quotidien.
« Vous n’avez rien à craindre si vous n’avez rien à cacher. »
« Si vous n’avez rien à cacher, vous n’avez rien à craindre. »
Si vous n’avez rien à vous reprocher, pourquoi ne pas accepter la surveillance généralisée ?
Pour sauvegarder notre liberté et nos modes de vie, il faudrait accepter la mise en place des dispositifs qui vont à l’encontre de notre liberté. Mais il existe une nuance entre veiller sur et surveiller.
Surveillés en tout lieu.
Avec la reconnaissance faciale en temps réel.
Avec des drones et des caméras de vidéosurveillance partout, tout le temps, tout le monde filmé.
C’est voir sans être vu.
L’interdiction de filmer policiers et gendarmes dans leurs interventions, en action, ne permettra pas d’éradiquer d’éventuelles violences, juste de les faire disparaître à notre vue, les passer sous silence, pas les empêcher, encore moins les interdire, nous n’aurons plus dès lors aucun moyen de faire pression lorsque, preuve à l’appui, policiers et gendarmes seraient en faute. La preuve aura disparu. Il ne restera que le doute. Et la force l’emportera. Et nous aurons perdu. Tout perdu.
Fermer les yeux, c’est accepter. C’est renoncer. C’est tout le contraire qu’il faut : Il faut ouvrir les yeux pour tenter de voir enfin la vérité en face.