« La peinture n’est pas faite pour décorer les appartements, c’est un instrument de guerre offensif et défensif contre l’ennemi. » Pablo Picasso
Les murs de la capitale attestent depuis quelques jours du passage de l’artiste de rue Bansky. Les formes se détachent du mur qui leur sert de support, elles nous arrêtent, nous arrachent à ce temps et à ce lieu. L’une d’entre-elles est située Avenue de Flandres, dans le 19ème arrondissement.
L’artiste anglais s’approprie le tableau de Jacques-Louis David : Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard. Il y montre un cavalier drapé dans un tissu qui lui voile le visage.
Cette toile de Jacques-Louis David, représentant Napoléon Bonaparte, encore Premier Consul, traversant les Alpes sur son fougueux destrier. Le tableau peint par l’artiste néo-classique rassemblait toutes les qualités pour entrer dans l’Histoire de l’art. Composition saisissante, couleurs vives, posture altière.
Archétypes du portrait de propagande, les cinq versions du tableau ont été reproduites de nombreuses fois en gravures, sur des vases ou des assiettes, sous forme de puzzle ou de timbre, témoignages de son importante postérité.
Ce tableau a ainsi été pastiché de très nombreuses fois depuis l’accession au pouvoir d’Emmanuel Macron. Il faisait par exemple la couverture du journal Valeurs actuelles il y a un an exactement.
Le détournement proposé par Bansky est compris de différentes manières :
« Ici la cape de l’empereur recouvre totalement le personnage montant le cheval, et donne l’impression qu’une femme voilée remplace Napoléon. » Dixit Le Parisien.
Mais comment ne pas voir une critique de l’opération « Defend Europe » par des militants d’extrême droite qui avaient occupé le col de l’Échelle dans les Alpes, point de passage frontalier fréquemment emprunté par des migrants, majoritairement franchissent la frontière à pied pour rejoindre la France.
Cette image s’inscrit en effet dans une série spécialement conçue par Bansky pour Paris. L’une d’elles représente une fillette noire, juchée sur une cagette en bois, qui peint à la bombe un motif de fleurs rose répété comme un papier-peint essayant de recouvrir une immense croix gammée peinte sur le mur. Au sol on distingue son ours en peluche, sur un amas de couverture laissant penser que la rue est son quotidien. Pour qui connaît un peu le travail de Bansky, le motif de la tapisserie rose fait référence au Go Flock Yourself que l’artiste avait graffé en 2008.
En 2009, Bansky avait réalisé un pochoir représentant Zorro qui enduisait le mur de deux tours sur le toit d’un immeuble de Londres, écrivant en grandes lettres peintes en rose, le message suivant : Prenez cela comme un signe.
Ce Zorro de pacotille, un foulard lui couvrant la moitié du visage, soulève son rouleau vers le haut pour répandre la peinture en signe de victoire. Ce personnage absurde s’enfuit après avoir laissé son mystérieux et menaçant message non sans être immortalisé dans une pose digne de l’Empereur Napoléon.
Le street art est un art de l’éphémère, du temporaire, une manière de valoriser l’instant, de nous inviter à nous concentrer sur le présent lui-même, riche d’un passé à revivifier et d’un avenir à construire.
Ce qui me trouble avec cette récente apparition d’œuvres de Bansky à Paris, c’est que personne ne semble vraiment les regarder, la plupart des gens s’empressent de les dénombrer, les collectionner comme autant de trophées, les trouver, les dénicher. Les journaux évoquent d’ailleurs une chasse aux trésors, mais la plupart du temps la description de l’œuvre est approximative et l’analyse sommaire ou inexacte. La valeur des œuvres n’est abordée que dans sa dimension financière, l’identité mystérieuse de l’artiste attire toute l’attention.
Les interventions de Bansky sont politiques, morales ou sociales, elles ont toujours à voir avec l’éthique, avec l’urgence de réagir face au monde contemporain, sans se réfugier dans cet univers de « merveilleuses images » que décrit Rimbaud dans les Illuminations.
Ce dont parlait justement Jacques Munier hier dans son émission sur France Culture : Une image qui « troue le réel. »
« Tweet et retweet, post et like, désormais « la force illocutoire du faire voir par l’image ne suffit plus, elle doit être relayée par une caution médiatrice du consommateur qu’on pourrait appeler interlocutoire ». Le régime performatif du selfie institue quant à lui une communication en boucle « où l’individu devient son propre modèle ». Face à la circulation pléthorique des images partagées et au final insignifiantes, la stratégie de « départage » adoptée par les agences de presse consiste à trier, sélectionner, éditorialiser, et archiver les photos, de manière notamment à leur assurer une postérité. En particulier celle-là qui parmi elles, selon la formule de Walter Benjamin, est parvenue à ouvrir « ce lieu qui troue le réel avec sa petite étincelle ». Faire en sorte que soit assurée et pérennisée sa triple constitution, repérée par Roland Barthes au point de convergence des intentions de l’opérateur, du spectateur et du sujet, souvent oublié dans le débat médiatique, celui ou celle qui est visé par le photographe et que la photo va transformer en spectre, hantant l’image longtemps après sa propre disparition. »
Sur la série de pochoirs de Bansky à Paris, regardez la belle série photographique de Cyril Zannettacci pour Libération, et lisez l’article très complet d’Emmanuelle Jardonnet paru dans le journal Le Monde : Banksy prend Paris pour cible et comme terrain de jeu.