L’appel du 15 juin, lancé par Actualitte.com, auquel il participe avec des éditeurs numériques tels que Publie.net, Numériklivres ou La souris qui raconte, veut rendre hommage à Sébastien Bottin, homme d’annuaire pour mettre en avant la mutation numérique et déplorer qu’une poignée de puissants éditeurs - dont Gallimard, bien sûr - fassent l’autruche.
Le blog exhorte les internautes à « livrer sur leur blog, sur Facebook, Twitter ou n’importe où sur la toile, un hommage, fictif ou réel, à l’inventeur de l’annuaire. » Un appel que l’on peut suivre d’ailleurs sur Twitter par l’intermédiaire du hashtag (mot-clé) suivant : #ruebottin.
Je comprends bien sûr l’humour décalé de cet appel lancé par Nicolas Gary, rédacteur en chef d’Actualitte.com mais l’action se veut aussi symbolique : profiter de l’évènement pour montrer que les éditeurs doivent désormais s’emparer de la question du numérique.
« L’édition est en pleine mutation numérique, pendant ce temps-là une poignée de puissants éditeurs font l’autruche, bloquent de manière ridicule les prix des livres numériques dans la fourchette la plus haute (autour de 20 euros), et poussent au piratage. Voire renommée la rue Sébastien Bottin au profit d’une maison qui incarne une vision archaïque de l’édition est un symbole dont il faut s’emparer. »
Et l’écho de cet appel dans Les Inrocks, Le Nouvel Obs, L’Express, montre bien que le buzz fonctionne, mais comme toujours, ce qui caractérise le buzz c’est l’éclair. Demain, tout cela sera oublié. Mais Gallimard continuera, avec le reste de l’édition française, a foncer droit dans le mur en pratiquant, une politique tarifaire de ses ouvrages numériques d’un autre temps.
Je reste persuadé ceci dit qu’il y a beaucoup d’autres manières pour défendre nos positions en temps de mutation numérique de l’édition, que les blagues de potaches et l’action à court terme. Mais ceci n’engage que moi. Et surtout si l’on pouvait continuer à parler littérature, création, invention, en numérique, sur nos blogs, nos sites, et nos réseaux sociaux, je crois que je me sentirais plus dans mon élément.
Car j’entends dire que « donner un nom d’entreprise à une rue, ça ne se fait pas, » mais je rappelle quand même que la rue Sébastien-Bottin a justement été baptisée parce qu’elle abritait les locaux de Didot-Bottin, qui éditait un ensemble d’annuaires de commerce, ainsi que le Bottin mondain.
Pour être franc, je ne comprends vraiment rien à cet appel. Pour moi c’est juste un bandeau rouge posé sur un livre, disposé en pile sur une table de librairie pour la Rentrée littéraire. Une forme de communication publicitaire qui dénature notre vrai force de frappe, qui est la création. Et c’est surtout un aveu d’impuissance. Quand on n’arrive plus à être entendu avec ses propres moyens, à parler des textes qu’on aime, des textes qu’on édite, des textes qu’on écrit qu’on voudrait faire lire et diffuser, on se met à utiliser les armes de ceux que l’on critique, et oui, surprise, on parle de nous. Oui, on est enfin dans les journaux, peut-être même qu’on passera-t-on au JT sur une chaîne de la TNT ce soir ? La gloire, quoi ! Mais est-ce bien ce que l’on cherche ?
Nicolas Ancion s’étonne que la ville de Paris compte rebaptiser la rue Sébastien-Bottin, où les Éditions Gallimard ont leur siège, en rue Gaston Gallimard, et trouver le projet hallucinant parce que le nom de l’inventeur du bottin (de l’annuaire, donc, des pages blanches, des pages jaunes, des pages d’or...) soit détrôné par celui d’une marque commerciale (et de citer des rues pour accentuer son propos L’Oréal), mais le Bottin est encore dans toutes les mémoires, et c’est une marque aussi.
« Oui, renchérit François Bon sur le Tiers-Livre, il est temps que notre géographie s’adapte aux vraies valeurs de fond de notre société marchande. »
Comme j’aurais préféré lire l’autobiographie des objets de François Bon autour du Bottin. Nous rappeler l’usage qu’on en avait, qu’on en trouvait dans les cabines téléphoniques, pendus, tête en bas. Dans certains commissariats on s’en servait également pour obtenir les aveux que les suspects tardaient à lâcher, sans laisser de traces. Que des artistes s’en sont servis pour mieux le détourner. Christian Boltanski avec son œuvre Les abonnés du téléphone. L’obsession du nombre est ici au service d’une réflexion sur l’individu et la masse : comment l’unique résiste au nombre ? Et les étonnants portraits à clous sur fond de Bottin par Andrew Myers. J’en connais aussi qui, s’ils avaient gardés des exemplaires chez eux, en auraient volontiers lus les pages 48. Et nous rappeler aussi que pour Umberto Eco, le Bottin est le liste parfaite : « Le Bottin est le livre que j’aimerais emporter sur une île déserte parce qu’avec tous les noms qu’il contient on peut imaginer quantité d’histoires. » Mais surtout préciser que Sébastien Bottin a connu une gloire à laquelle Gaston Gallimard ne pourra jamais prétendre, celle de l’antonomase. De son nom, on a tiré le mot bottin.
L’ironie de toute cette affaire, c’est que le Bottin et son édition imprimée, sont devenus désuets aujourd’hui, à l’ère du numérique (on utilise désormais les pages blanches ou les pages jaunes) et Gallimard, au nom de la littérature (et que de grands écrivains publiés dans cette maison d’édition) ne fait plus que remplacer (à quelques rares exceptions près) cet ancêtre de l’annuaire, en continuant à publier à la chaîne... du livre comme on publiait naguère... le Bottin.