C’est pour Pompei que j’ai eu l’idée la première fois de ce voyage à Naples. Je voulais voir cet endroit avec une envie irrésistible. J’avais oublié ou ne voulais pas y penser, qu’il s’agissait d’une destination si touristique, en arrivant nous avons été cueillie par la file d’attente d’une centaine de mètres, mais nous nous sommes vite rendus compte que nous n’aurions pas à attendre aussi longtemps que nous le craignions.
Alors que nous achetons les billets pour nous rendre à Pompei en empruntant la Circumvesuviana, Alice parle de l’explosion du volcan. Sa sœur, Nina, la reprend en lui disant qu’on parle d’éruption effusive dans le cas de Pompei, puisqu’il s’agit d’une éruption volcanique caractérisée par l’émission de laves fluides dont la majorité se répand à la surface du volcan, à l’opposé des éruptions explosives qui émettent principalement des laves fragmentées dans l’atmosphère.
Le soir, à la maison, nous entendons, de loin en loin, le bruit étourdissant d’un train qui passe à proximité de notre immeuble, qui fait trembler les murs des immeubles voisins. Nous n’en entendons que le rugissement lointain qui nous fait inévitablement penser au bruit d’un volcan qui entre en éruption. Un lieu où le temps s’est arrêté.
Sur la place du forum à Pompei, le temple réservé au culte de Jupiter. Et derrière, en arrière-plan, le Vésuve.
Je tente de prendre des photographies en essayant de ne jamais cadrer les touristes qui emplissent notre champs de vision. J’essaie de les effacer ainsi. Les oublier. Me sentir seul dans ce lieu soudain désert, abandonné à son passé.
Les rues sont construites avec de lourds blocs de basalte, des pierres volcaniques. Elles sont en pente, avec des passages formés avec les plus grosses pierres, spécialement conçus pour faciliter la traversée des piétons. Parfois de l’eau, de la boue et des détritus descendaient vers le bas de la ville.
Difficile de se repérer dans le dédale uniforme des ruelles, au milieu de ses murs de pierre dont il ne reste que la partie basse dessinant un paysage de vagues se superposant les unes aux autres, répétées à l’infini.
L’enveloppe de cendre volcanique qui avait emprisonné les corps de ces hommes et femmes de Pompei, gardant leur empreinte en durcissant avec le temps pour devenir de la terre et de la pierre. Les corps sont retournés à l’état de poussière, laissant un vide et une enveloppe de pierre durcie autour. Le corps de ses hommes et femmes pétrifié visible sur le site sont des moulages.
Et si je ferme les yeux, j’entends les premières notes d’Echoes des Pink Floyd jouées en direct dans l’amphithéâtre de Pompei dont l’acoustique est remarquable. Le cadre antique du site donne une dimension extraordinaire à la musique du groupe.
Et si je ferme les yeux sur les nombreux touristes visitant le site archéologique, je parviens à retrouver les descriptions de Théophile Gautier dans son récit Arria Marcela :
« Le chemin de fer par lequel on va à Pompéi longe presque toujours la mer, dont les longues volutes d’écume viennent se dérouler sur un sable noirâtre qui ressemble à du charbon tamisé. Ce rivage, en effet, est formé de coulées de lave et de cendres volcaniques, et produit, par son ton foncé, un contraste avec le bleu du ciel et le bleu de l’eau ; parmi tout cet éclat, la terre seule semble retenir l’ombre.
Les villages que l’on traverse ou que l’on côtoie, Portici, rendu célèbre par l’opéra de M. Auber, Resina, Torre del Greco, Torre dell’ Annunziata, dont on aperçoit en passant les maisons à arcades et les toits en terrasses, ont, malgré l’intensité du soleil et le lait de chaux méridional, quelque chose de plutonien et de ferrugineux comme Manchester et Birmingham ; la poussière y est noire, une suie impalpable s’y accroche à tout ; on sent que la grande forge du Vésuve halète et fume à deux pas de là.
Les trois amis descendirent à la station de Pompéi, en riant entre eux du mélange d’antique et de moderne que présentent naturellement à l’esprit ces mots : Station de Pompéi. Une ville gréco-romaine et un débarcadère de railway !
Ils traversèrent le champ planté de cotonniers, sur lequel voltigeaient quelques bourres blanches, qui sépare le chemin de fer de l’emplacement de la ville déterrée, et prirent un guide à l’osteria bâtie en dehors des anciens remparts, ou, pour parler plus correctement, un guide les prit. Calamité qu’il est difficile de conjurer en Italie.
Il faisait une de ces heureuses journées si communes à Naples, où par l’éclat du soleil et la transparence de l’air les objets prennent des couleurs qui semblent fabuleuses dans le Nord, et paraissent appartenir plutôt au monde du rêve qu’à celui de la réalité. Quiconque a vu une fois cette lumière d’or et d’azur en emporte au fond de sa brume une incurable nostalgie.
La ville ressuscitée, ayant secoué un coin de son linceul de cendre, ressortait avec ses mille détails sous un jour aveuglant. Le Vésuve découpait dans le fond son cône sillonné de stries de laves bleues, roses, violettes, mordorées par le soleil. Un léger brouillard, presque imperceptible dans la lumière, encapuchonnait la crête écimée de la montagne ; au premier abord, on eût pu le prendre pour un de ces nuages qui, même par les temps les plus sereins, estompent le front des pics élevés. En y regardant de plus près, on voyait de minces filets de vapeur blanche sortir du haut du mont comme des trous d’une cassolette, et se réunir ensuite en vapeur légère. Le volcan, d’humeur débonnaire ce jour-là, fumait tout tranquillement sa pipe, et sans l’exemple de Pompéi ensevelie à ses pieds, on ne l’aurait pas cru d’un caractère plus féroce que Montmartre ; de l’autre côté, de belles collines, aux lignes ondulées et voluptueuses comme des hanches de femme, arrêtaient l’horizon ; et plus loin la mer, qui autrefois apportait les birèmes et les trirèmes sous les remparts de la ville, tirait sa placide barre d’azur.
L’aspect de Pompéi est des plus surprenants ; ce brusque saut de dix-neuf siècles en arrière étonne même les natures les plus prosaïques et les moins compréhensives : deux pas vous mènent de la vie antique à la vie moderne, et du christianisme au paganisme ; aussi, lorsque les trois amis virent ces rues où les formes d’une existence évanouie sont conservées intactes, éprouvèrent-ils, quelque préparés qu’ils y fussent par les livres et les dessins, une impression aussi étrange que profonde. Octavien surtout semblait frappé de stupeur et suivait machinalement le guide d’un pas de somnambule, sans écouter la nomenclature monotone et apprise par cœur que ce faquin débitait comme une leçon.
Il regardait d’un œil effaré ces ornières de char creusées dans le pavage cyclopéen des rues et qui paraissent dater d’hier tant l’empreinte en est fraîche ; ces inscriptions tracées en lettres rouges, d’un pinceau cursif, sur les parois des murailles : affiches de spectacle, demandes de location, formules votives, enseignes, annonces de toutes sortes, curieuses comme le serait dans deux mille ans, pour les peuples inconnus de l’avenir, un pan de mur de Paris retrouvé avec ses affiches et ses placards ; ces maisons aux toits effondrés laissant pénétrer d’un coup d’œil tous ces mystères d’intérieur, tous ces détails domestiques que négligent les historiens et dont les civilisations emportent le secret avec elles ; ces fontaines à peine taries, ce forum surpris au milieu d’une réparation par la catastrophe, et dont les colonnes, les architraves toutes taillées, toutes sculptées, attendent dans leur pureté d’arête qu’on les mette en place ; ces temples voués à des dieux passés à l’état mythologique et qui alors n’avaient pas un athée ; ces boutiques où ne manque que le marchand ; ces cabarets où se voit encore sur le marbre la tache circulaire laissée par la tasse des buveurs ; cette caserne aux colonnes peintes d’ocre et de minium que les soldats ont égratignée de caricatures de combattants, et ces doubles théâtres de drame et de chant juxtaposés, qui pourraient reprendre leurs représentations, si la troupe qui les desservait, réduite à l’état d’argile, n’était pas occupée, peut-être, à luter le bondon d’un tonneau de bière ou à boucher une fente de mur, comme la poussière d’Alexandre et de César, selon la mélancolique réflexion d’Hamlet. »