La Figue de Francis Ponge, comme la fugue incessante du poème fuyant le sens à la recherche du son comme seule idée et matière première. Poème en boucle qui se décline sous toutes ses coutures. Poème en train de s’écrire. Série de photographies d’un même motif qui attire le regard, la figue et ses feuilles, le jour, la nuit. Poème qui se défait, une à une, de toutes ses peaux. Photographie de même. Cent fois le même poème. Le principe du livre de Francis Ponge Comment une figue de paroles et pourquoi est de publier tous les brouillons et manuscrits d’un seul poème, sans choix ni restriction d’aucune sorte. La naissance de la figue-poème ou comment représenter le poème sous la forme d’une figue. La photographie de cette forme sous tous les angles pour voir naître une forme sans l’achever, mais en la poursuivant toujours. C’est aussi la forme de la fugue, toujours la même phrase qui, par contrepoints, autrement, s’élabore.
Diaporama sur la figue, photographies prises à Coaraze :
Sur Francis Ponge, par Jean-Marie Gleize :
Intervention pour le séminaire "Lyrisme et Littéralité"
« L’art de la figue avance donc, contre Rimbaud :
1) je ne travaille pas à me rendre voyant,
2) je ne suis pas un autre.
Et, pour Michaux (relayant ici Rimbaud et l’histoire de « ses folies », Breton, les surréalistes et leur éloge de la folie), Michaux qui avait écrit : « Qui cache son fou meurt sans joie », la réponse : Qui ne baillonne son fou vit en pître .
Je ne développe pas ici les attendus de ce procès, mais il est bien évident qu’on ne saurait comprendre « La figue (sèche) », la figue comme réponse décalée à la question « Qu’est-ce que la poésie ? » (qu’est-ce pour vous la poésie, Francis Ponge, vous qui ne cessez de vous déclarer un non-poète, ou un poète par défaut, etc.) si l’on ne voit pas que ce poème n’est pas la simple et personnelle « consolation matérialiste » d’un amateur de figues, mais précisément la tentative de fondation (ou refondation) d’une poétique « matérialiste » (dans sa lettre Rimbaud disait d’ailleurs, quelques lignes après la définition de la langue nouvelle qu’il se donnait pour tâche de « trouver », et que Ponge met en épigraphe de son travail du jour : « cet avenir sera matéraliste »), poétique « matérialiste » qui va devenir d’ailleurs, comme on sait, un des projets mythiques de l’avant-garde des années 60 /70 (de Philippe Sollers à Pierre Guyotat), et qui ne peut affirmer ses principaux attendus : travail lucide (conscient, méthodique, systématique) sur la langue considérée comme matériau modifiable, modelable, concret, « pâte épaisse à franchir », donnant accès « au fond obscur des choses », qu’à la condition première de rejeter sans ambages les voies adverses, inverses, et d’autant plus nettement qu’elles sont plus séduisantes et plus objectivement puissantes (peu contestées). »