Créer à partir de textes des images conçues par le biais de l’artefact génératif DALL-E, écrire un texte en regard de ces images.
Anima Sola #26
Je confonds un mélange de faux souvenirs, d’erreurs. Je suis comme tout le monde. Je ferme les yeux. J’imagine que les visages vont naître de l’instant. Je rêve d’un homme qui habite sur une petite île. Je découvre les limites de son monde. Linguiste il est obligé d’abandonner sa femme pour son travail. Il part vivre à l’autre bout du monde pour sauver une langue qui risque de disparaître. Il partage la vie du dernier locuteur, un vieil homme fatigué. Il en profite pour noter toutes ses paroles, ses expressions, il échange avec lui pour apprendre sa langue, tout en élaborant parallèlement un dictionnaire et une méthode d’apprentissage. Cet homme vit au milieu de sa famille, de ses proches, de ses voisins, dont aucun ne parle langue. Seul cet étranger parlent dans sa langue avec lui. Ils deviennent amis. Sans lui, cette langue va disparaître. Il reste de longs mois sans voir sa femme. Ils discutent au téléphone. Un jour il apprend qu’elle attend un enfant. Quand elle accouche, il revient dans son pays pour l’assister. Le soir en berçant son bébé il lui parle dans cette langue étrangère qu’il veut sauver. Il sait qu’il va devoir repartir. Il n’a pas terminé son travail. Il espère qu’à son retour les plus jeunes enfants parleront enfin la langue. Ce sont eux qui doivent prendre le relais. Il pensait travailler pendant son séjour au pays, mais il n’ a pas eu le temps. Il commence à vieillir, il apprend moins vite qu’avant, il oublie des mots, il a peur de faire des erreur en transmettant l’enseignement de cette langue qu’il a voulu sauver. Je retiens une cadence heureuse où peuvent enfin entrer les mots, des lambeaux d’images. Je présume un moment de réalité. Je n’en suis jamais certaine. Je joue un rôle moi aussi dans cette comédie. Je rêve d’une femme qui vit à la montagne, dans un environnement très isolé, rude, elle y élève des abeilles pour récolter leur miel. Elle vit au rythme de la nature, seule avec sa vieille mère aveugle qui ne peut plus bouger de son lit. Elle la nourrit, prend soin d’elle, discute et plaisante avec elle. Elle lui parle de son travail avec les abeilles. Sa mère est à moitié sourde, elle doit sans arrêt hausser la voix pour lui parler. Un jour, une famille pauvre de la ville vient s’installer dans les ruines de l’ancien village dans lequel vit depuis toujours la femme aux abeilles. L’homme de la famille s’improvise agriculteur. Il commence à planter des légumes, puis des céréales dans les champs avoisinants, pour faire vivre sa famille nombreuse qui vit dans une grande caravane. La femme est tout d’abord ravie d’avoir de la compagnie. Elle s’occupe des enfants désœuvrés, jouent avec eux. Elle n’a jamais pu en avoir. Elle le regrette. Voyant que le miel que la femme cultive lui rapporte beaucoup d’argent, vénal l’homme décide de l’imiter, mais il ne respecte pas ses recommandations et dispose ses nouvelles ruches trop près des siennes, et les abeilles s’épuisent et finissent par ne plus produire de miel. Les abeilles de la femme disparaissent peu à peu. Sa mère meurt. Et l’homme et sa famille finit par abandonner cet endroit désolé en la laissant toute seule. J’évite ce miroir aveugle d’une tension insupportable. J’attaque le brise-lames du temps. Je rêve d’un homme parti à la recherche de son grand-père assassiné dans un pays lointain. Il l’imagine truand, mort à la suite d’un réglement de comptes. Quelles autres motivations pourraient expliquer son départ, si ce n’est la volonté de s’enrichir et de s’élever socialement ? Sa mère ne parle jamais de son père. Elle n’accepte pas son départ, son abandon. Pour elle, il n’existe plus. Son fils s’appuie sur les témoignages des autres membres de sa famille qui veulent bien lui en parler, les archives familiales offrent parfois une précieuse source d’information pour mener une enquête, mais les images de sa famille sont lacunaires. Son grand-père en est absent. Certaines photographies ont même été déchirées, symbole visuel de séparation, d’éclatement de la famille. Son grand-père a vécu longtemps entre deux pays et deux familles qui ne se connaissaient pas. En retrouvant presque par hasard la femme qui partageait la vie de son grand-père qui s’est adonné avec passion à la photographie dans le cadre de sa seconde vie, le petit-fils découvre des images qui lui ont survécu, qui lui permettent de raconter à son retour ce qui s’est réellement passé, la raison de son abandon. Comme si ce père, abandonné en bas-âge par sa famille par manque d’argent, avait voulu laisser à la postérité une preuve de sa capacité au bonheur et interrompre ainsi le malheur des enfances orphelines. J’aperçois le geste incrédule et contrarié de sa mère. J’abandonne le thème central de mon rêve. Je contourne la méticuleuse réalisation de mes désirs. Je pense à une image transparente contre l’ombre bleutée des fenêtres. J’ouvre les yeux.
« L’intelligence artificielle soulève des questions éthiques, artistiques et sociales qui ne sont qu’une accélération des mêmes questions qui ont suivi les inventions de l’imprimerie, de la photographie, de l’ordinateur ou de l’internet. L’automatisation croissante ne fait que rendre plus difficile d’échapper à notre système actuel et le "méta" est devenu un refuge. Cette constante autoréférence, réflexivité, circularité de notre art, de nos technologies, de notre culture devient un piège où les fantômes du passé hantent encore notre pensée actuelle. »
The Machine Seems To Need A Ghost (but the ghost cannot quite make itself at home in the machine), par David Fathi.