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Là où s’enlacent l’oubli et la mémoire

Le vide offre un bel espace de résonance.

Je ne connais plus personne là-bas, et personne ne me connaît.

La beauté de l’heure, entre chien et loup. Un épuisant jeu de cache-cache et de rendez-vous ratés s’est mis en place. Il ne semble même plus s’apercevoir de ma présence. Il y a des gens que la moindre singularité indispose. Il semble bien distrait. Tout chiffonné comme flou. Flou comme une photo ratée.

Paris, Texas, de Wim Wenders

Je garde de lui un souvenir assez confus, car lointain. Les éléments d’un puzzle encore très incomplet. Juste de quoi ranimer de vieilles impressions. Dans la foulée remontent d’autres souvenirs, par bribes, pêle-mêle. Juste une sensation de vide, de froid, de vide dans mon ventre et de froid dans mes membres. Quelque chose, peut-être, comme un chagrin d’enfant. Je suis dans l’égarement du décalage horaire. Pas de distraction, aucune échappée possible, le regard est happé, assigné à fascination, il est comme aveuglé. Le regard est affranchi de toute illusion, de toute idéalisation. La fascination et la liberté sont difficilement compatibles. Le jeu des ressemblances pourraient se décliner indéfiniment.

Soudain je m’arrête, la main en suspens. Je ferme les yeux, c’est en moi que je ranime l’image et peu à peu celle-ci se transforme. J’ai l’impression que ma voix se détache de mon corps et qu’elle rebondit au lointain.

La clarté du jour est étrange, elle poudroie, soyeuse et cendrée. C’est une clarté d’antre du monde, ou de sa faim, à moins que je ne sois entré par effraction, par enchantement, dans un autre monde. Là où s’enlacent l’oubli et la mémoire pour produire un souvenir flottant qui hante en sourdine les sens, le cœur, les rêveries, le souvenir-fantôme surgit sans crier gare.

Qu’a-t-il voulu dire en s’avouant en perte de vitesse, et que tout lui échappe ? L’expression de quelqu’un qui ne comprend rien à ce qu’on lui raconte.

Les sentiments peuvent-ils basculer si subitement, radicalement, sans raison apparente ?

Des frissons glacés me parcourent le dos, et les tempes me brûlent. La lumière, les images, le visible, ces yeux-là les avalent en bloc.

Paris, Texas, de Wim Wenders

Je ne sais pas ce que j’attends, je me contente d’être là, je fais bouger mes épaules, pivoter ma tête sur mon cou. Du silence et un étonnement inquiet, comme si je me demandais, du fond de l’ailleurs où je me suis naufragée. Où suis-je ? Où es-tu ?

Mes mains diaphanes, et longues et fines. Mes mains ont la fragilité et la mobilité d’un visage, sa beauté insaisissable. Mon regard recru de fatigue est aussi traversant que la lumière du jour. Autant présente qu’absente, aussi proche que lointaine. Je ne sais pas ce que je suis venu chercher là, ce que j’attends.

Une mince fente en forme de lunule luit entre mes cils.

Le sourd chuintement de son souffle, est-il l’écho assourdi du brouhaha de la ville, du bourdonnement du temps ?

Tout se brouille en moi, physiquement et mentalement, vacillant, entre vie et absence. En suspens. J’ai l’impression de m’effacer à vos yeux.


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