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Dans ma maison vous viendrez...

« Dans ma maison vous viendrez D’ailleurs ce n’est pas ma maison Je ne sais pas à qui elle est Je suis entré comme ça un jour Il n’y avait personne Seulement des piments rouges accrochés au mur blanc Je suis resté longtemps dans cette maison Personne n’est venu Mais tous les jours et tous les jours Je vous ai attendue... »

Jacques Prévert

Tout à commencé il y a quelques semaines, un mois à peine, Christine Jeanney envoyait à quelques auteurs la proposition suivante, dont je ne cite que les premières lignes, préfigurant le projet de maison[s]témoin :

« Ce message pour vous parler d’une idée que j’ai eu l’autre jour et que j’aimerais vous soumettre ce serait une idée-point-de-départ pour un projet d’écriture "participative" pourrait-on dire, où nous pourrions tous apporter une ou plusieurs petites pierres, ensemble Voilà : ça s’appellerait Maisons témoin (juste un titre possible), j’ai une vague idée des contours, mais très vague ça partirait concrètement d’un plan de maison témoin, quelque chose de banal, un plan simple l’idée serait que chacun s’empare à sa manière d’une pièce /d’un élément / d’un aménagement de ce plan et l’explore de toutes les manières possibles avec en visuel ce que ça donne aménagé il me semble qu’au départ c’est un lieu vacant, symbolique d’une époque peut-être, d’un design à la fois élégant et assez réunificateur pour que chaque visiteur puisse s’imaginer y vivre ou l’investir, un lieu impersonnel c’est meublé, meublé de creux impersonnel, mais pas creux de sens il y a une forme de pression, de norme apparente à interroger peut-être, à quoi ressemble ces vies qu’on voudrait atteindre, séduire, et qu’est-ce que ça génère comme décalage de ne pas se retrouver dans les tables basses, les cheminées ouvertes, les couvertures fausses de faux livres en carton
ça, en forme de point de départ, d’état des lieux lorsqu’on emménage, puis il faudrait habiter le lieu... »

Life without sheets of paper to be scribbled on is masterpiece, de Moyra Davey

Voici les premiers textes que j’ai mis en ligne sur le site :

L’entrée :

Il est entré, la porte était ouverte, disons pour être tout à fait précis qu’elle n’était pas fermée à clé, cela lui suffit pour entrer, même s’il n’a pas vu tout de suite la lumière dans le salon, l’entrée n’était pas allumée, tout en cherchant de sa main hésitante qui glissait sur le papier dont il peinait à distinguer le motif dans la pénombre, il a mis du temps à se rendre compte que la maison était habitée. Il aurait dû s’en aller sur le champs, honteux, intrus, se dépêcher de sortir en fermant la porte derrière lui sans faire de bruit, de peur d’être démasqué, mais il commençait à trouver ça amusant de ne pas être visible, que les habitants de cette maison, qu’il avait d’abord imaginée vide, comme toute maison-témoin, ne le remarquaient pas, alors qu’il était là à quelques mètres d’eux, derrière cette porte vitrée. Il se demandait si leur présence n’était pas une illusion, un jeu de son esprit un peu troublé par l’excitation de l’intrusion, bref s’il n’imaginait pas tout ça. Étaient-ils vraiment là dans le salon en train de regarder un feuilleton à la télévision ? Leurs visages inertes, ils ressemblaient à des mannequins dans la vitrine d’un magasin, seule la réflexion des images de l’écran bleuté faisait bouger sensiblement leurs traits immobiles. Il s’immobilisa à son tour et tendit l’oreille. Il reconnut la voix de l’inspecteur Colombo, et ne put s’empêcher de sourire en découvrant qu’il s’agissait du premier épisode de la série qu’il affectionnait tant : Le Livre témoin (Murder by the Book, dans la version originale), tourné par Steven Spielberg. L’histoire d’un talentueux duo d’écrivains américains, mais dont l’un des deux n’a aucun talent, tous les romans étant écrits par l’autre. Lorsqu’il lui annonce son intention de faire cavalier seul, son acolyte n’entrevoit qu’une seule solution : le tuer. Il entraine son partenaire dans sa maison de campagne et le contraint à appeler son épouse pour lui dire qu’il est retenu au bureau. Lorsqu’il comprend les intentions de son ami il est trop tard, celui-ci lui tire froidement dans le dos. Grâce à cet appel téléphonique, tout laisse à penser que l’écrivain a été abattu dans son bureau. Cependant, son parfait alibi vacille lorsqu’il apprend qu’un témoin inattendu, une commerçante qui tient une boutique près du lac où le meurtre a été commis décide de le faire chanter et de le forcer à se rapprocher d’elle.

Personne ne peut vraiment vivre dans une maison-témoin, on ne fait que la visiter, imaginer ce que sera notre existence dans un espace similaire à celui dans lequel on se promène, si on venait à l’acheter, on inspecte les moindres pièces, leurs circulations, les espaces, leur luminosité, on se projette dans cet espace conçu sur plan censé accueillir nos plans de vie, comme en lisant un livre ou en regardant un film au cinéma, on retient certains éléments qui font écho à notre existence et le scénario qu’on en produit au fil des jours, entrent en résonance avec nos pensées ou nos actes, nous les rendant intelligibles ou tout simplement envisageables.

Il est sorti de la maison comme il y était entré, sans effraction mais par mégarde, sans faire de bruits, en gardant avec lui un précieux souvenir de cette fugitive intrusion, un larcin lui prouvant surtout qu’il n’était pas entré dans n’importe quel domicile anonyme, et lui rappelant ce qu’il y avait vu, les témoins involontaires d’un vol qu’ils ne virent qu’à retardement, sans vraiment le vivre, ou seulement avec effet retard, rétrospectivement, comme après plusieurs années passés dans une maison l’habitant se souvient du jour de sa première visite, dans l’état de sa découverte, de ses impressions évasives, mais si tu verras ce sera très bien, c’est calme, ce qu’il en préserve avec les années, les souvenirs qui s’effilochent avec le temps, dans cette maison avec son propriétaire dont il a gardé le porte-feuille, il ne l’a pas volé, qui contenait bien plus que de l’argent, ses papiers d’identité.

Le Garage :

C’est une pièce qui n’existe dans ses proportions que pleine de sa fonction première, accueillir dans son volume réduit mais adapté, les dimensions d’un véhicule, de préférence une voiture. Les moins grands laissent à peine la place aux chauffeurs et à leurs passagers pour descendre du véhicule, une fois à l’intérieur, la voiture garée, et l’habitude est alors vite prise, de faire descendre l’ensemble des passagers, dans l’allée du garage, ceux-ci abandonnant le chauffeur pour entrer à la maison par l’entrée, le chauffeur garant le véhicule en longeant le plus possible le mur de droite, afin de libérer le maximum de place pour pouvoir sortir de son côté. Le garage est un endroit à taille réduite, la place pour quelques étagères où les plus bricoleurs rangeront leurs outils, et s’il reste un peu de place à l’avant de la voiture, on essayera d’y caler une machine à laver, un lave-linge, ces instruments domestiques volumineux et bruyants qu’on préfère éloigner de nos intérieurs et qu’on associe à la machine garée là, parce qu’ils roulent des mécaniques.

C’est aussi le lieu pour faire dormir un chien car dehors dans le jardin cette pauvre bête prendrait froid, mais impensable vue sa taille de le faire dormir dans la maison. Quand la voiture est garée, au moment de sortir du garage pour rejoindre la cuisine (on entre rarement directement du garage dans le séjour), la porte n’est pas encore fermée, on entend l’air du ventilateur du moteur qui se met à rugir, sans attendre qu’on ait le dos tourné, la voiture est chez elle, on se sent presque de trop, l’air chaud empli l’espace réduit de sa touffeur suffocante.

Il faudra couvrir le mur d’affiches, reproductions de tableaux de peinture classique, d’affiches de films, ou de paysages, ceux-là mêmes qu’on aura traversés avec le véhicule qu’on vient de garer. Et se souvenir que dans notre enfance, les parents de nos amis qui possédaient un garage si grand, ou si long, qu’on aurait pu y garer plusieurs voitures, accueillaient des anniversaires et ce qu’on appelait encore des boums. Et rêver à ceux qui pouvaient s’enfermer là pour y jouer des heures entières leurs morceaux débutants à la guitare, basse, batterie, en échafaudant, dans la touffeur d’après-midis de bruit et de fureur adolescentes, de musiques improvisées, de reprises approximatives. Et s’évader avec eux, dans le garage de notre mémoire.

La Cuisine :

Il existe des catalogues de cuisines équipées, dont on choisit l’ensemble des éléments sur mesure. Découvrez un catalogue unique de vraies cuisines tendances : cuisine brillante, cuisine matte, cuisine esprit bois. Ce catalogue interactif met à votre disposition une sélection de cuisines contemporaine, design, moderne Dans la maison-témoin, la cuisine est équipée pour correspondre parfaitement à l’image qu’on veut donner aux clients potentiels, sur mesure. Confiez vos rêves à l’un de nos 200 concepteurs de cuisine en magasin. Avec nos 100 modèles et 10 000 combinaisons différentes, vous êtes certains de pouvoir composer avec lui la cuisine idéale, celle que tout le monde va vous envier !

Couleur d’ambiance : neutre, chaud ou froid ? Je choisis neutre. Pour l’aménagement de la pièce, ma préférence va vers un design moderne, original avec une forme de L. et un îlot central. Pour les matières et les coloris, je retiens clair et mat. Avec une surface et coin repas pour 4 personnes. Une cuisine aux tons neutres qui jouent avec les matières (façades acryliques brillantes, plan granit aspect cuir, bois, inox...). Conception et réalisation de niches décoratives sur mesure pour donner un peu de vie à l’ensemble. Et l’implantation d’un îlot central pour la convivialité et l’espace repas.

Dans ce décor aseptisé, si des aliments devaient être exposés dans les placards (boites de conserve, bouteilles de toutes tailles, pots de confiture, de condiments) ou sur les étagères (fruits, légumes, herbes aromatiques) pour donner à l’ensemble un cachet supplémentaire, un supplément d’âme, voire ajouter de la vraisemblance, ils seraient similaires à ceux des vitrines des restaurants japonais, une pâle imitation de la réalité, en plastique coloré. J’imagine parfois qu’un vendeur aura un jour eu l’irrépressible envie de manger son sandwich entre deux visites de clients, et n’aura pas pris le temps de sortir de la maison pour le faire, laissant sans s’en rendre compte quelques miettes sur la table de travail, miettes qu’un visiteur en les voyant trouvera sales, indécentes et déplacées, dans cet univers aseptisé, où tout est rangé, calme et propreté.

La Salle d’eau :

Imagine une vie où chaque réveil serait un peu plus serein. Le plus vite possible : c’est le seul moyen pour s’en sortir. Où il serait un peu plus facile de penser, de se relaxer, de se préparer. Il faut éviter cette uniformisation du style à laquelle nous assistons. C’est ce qui arrive quand tu passes une excellente nuit. Garder la bonne note, ce n’est pas le plus compliqué, mais garder la bonne mélodie, c’est une autre histoire. Chaque nuit. Mais on ne joue pas de rôle, on se joue soi-même. Et une belle façon de commencer la journée. Ils m’ont tout pris, je suis debout, mais je n’ai plus rien. Nous n’avons aucun contact, mon téléphone, tout ! ils ont tout pris. Regarde, tu peux me voir, je suis debout, devant toi. Tous les jours. Je pardonne mais je n’oublie pas. C’est pour cela que dans le catalogue de cette année, nous nous concentrons sur la chambre et la salle de bain, avec des idées et de l’inspiration pour rendre la routine matinale plus tranquille et les nuits de sommeil plus douces.

Ta salle de bains en voit souvent de toutes les couleurs – elle doit donc être pratique et robuste, pour continuer de te plaire durant de nombreuses années.

Ils achètent un bout de l’histoire. Un lien avec un projet, un artiste, une entrée dans une communauté.

où le quotidien commence et finit...

 [1]

Combles et autres greniers :

Un inconnu dans la maison est une page qui propose à l’internaute d’inscrire son nom, son numéro de téléphone et son courriel afin d’inviter l’artiste numérique Nicolas Frespech à venir photographier sa maison pendant son absence. Il doit également y inscrire la raison pour laquelle le projet l’intéresse et comment il a connu le site. Si l’internaute a rempli le questionnaire correctement, il sera redirigé à une page de remerciements qui comporte un lien Retour, qui lui mène à la page d’accueil du site de l’artiste Frespech. S’il manque le courriel, l’internaute sera invité à modifier le questionnaire.

J’ai le souvenir d’une émission de radio de mon enfance dont j’ai oublié le nom, dont le principe prenait la forme d’une devinette, élaborée à partir d’indices, de la description sonore d’objets, de bibelots, de meubles, d’éléments décoratifs, de documents provenant d’une maison ou d’un appartement, dont les auditeurs devaient identifier l’origine, celui qui reconnaissait son domicile gagnait le jeu (dont le je ne me souviens pas le montant du gain, mais sans doute rien à voir avec les sommes gagnées aujourd’hui). À la même époque je crois, le souvenir d’une autre émission me revient en mémoire, à la thématique approchante, dont une des séquences consistait à faire déterminer aux auditeurs le nombre précis de pâtes ou de lentilles, dans un paquet qu’on faisait glisser dans une passoire, simplement en écoutant leur bruit sec entrechoquant le métal du récipient.

Dans la maison-témoin, je ne suis pas encore tout à fait chez moi, je m’y transporte, je m’y profile, m’y confronte comme si quelqu’un d’autre que moi me le décrivait de l’intérieur, je me tiens à distance alors que c’est moi qui suis en train de le visiter, de m’y projeter dans le futur proche d’un plan à suivre.

[1Les parties en italiques sont extraites du journal Le Monde du dimanche 30 mai / Lundi 1er juin 2015


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