Septième semaine de l’atelier d’écriture proposé par François Bon pendant 10 semaine dont vous trouverez sur tiers livre les propositions d’écriture développées, avec exemple basé sur un texte d’auteur. Pour cette semaine, c’est à partir du texte W. de Georges Perec et de L’amour de Marguerite Duras que nous abordons l’étape de retravail qui va permettre d’assembler nos fragments de textes précédents.
J’ai profité de cet été et de ces ateliers pour travailler sur mes Lignes de désir. Voici donc mon septième texte :
J’ai pris à la volée cette photographie d’un couple s’embrassant dans une voiture [1], je n’avais pas remarqué l’homme passant en arrière-plan sur le trottoir, plutôt si au moment de prendre la photo j’avais dû attendre qu’il s’éloigne et peut-être même avait-il remarqué mon manège, tentatives d’approches dérisoires autour du véhicule, et s’était-il retourné juste après ce cliché ? Aujourd’hui, j’ai l’impression de voir la silhouette de Denis Roche [2]. Les quatre photographies se suivent mais ne se ressemblent pas [3], elles représentent un moment précis d’une journée, d’une longue déambulation dans les rues de Paris [4], les quais de l’île Saint-Louis, les abords de cette île. Pour la première fois j’ai réussi à [5] ne prendre qu’une seule photo, non pour garder la trace de ces baisers, mais me souvenir de ce lent cheminement
[6]. Sur cette photographie d’ailleurs la trace est tangible, si l’on fait bien attention on peut découvrir mon ombre se profiler [7], discrète en bas du cliché, comme une humble signature.
Le plus amusant dans cette série de photographies, c’est le parcours qui sépare ces quatre clichés : quatre lieux éloignés les uns des autres, situés pourtant dans le même quartier, le même secteur, la première photographie a été prise devant la bibliothèque de l’Arsenal [8], Rive droite donc, la seconde sur l’île Saint-Louis, quai de Bourbon [9], au cœur de la capitale, la troisième, de l’autre côté de la Seine, rive gauche, Port Saint Bernard, dans le square Tino Rossi, plus connu pour son Musée de sculpture en plein air, enfin la dernière a été prise Port de la Tournelle, face à Notre-Dame [10], parcours formant un Z à l’envers sur la carte [11]. La déception de se trouver loin d’un couple que l’on voudrait photographier est souvent, comme ici, adoucie par la plénitude d’un ensemble : et l’on s’aperçoit qu’on cherchait avant toutes choses de la matière vivante, de l’expression, de la chair, du visage, et c’est un paysage que l’on découvre
[12], l’ombre des branches d’arbres qui sensuels, se font enlaçant.
[1] Lorsque je venais prendre des photos des voyeurs sur l’île Saint-Louis, je marchais beaucoup, je faisais le tour de l’île plusieurs fois de suite dans l’après-midi et je m’en éloignais très souvent, poussant d’un côté jusqu’au Square du Vert-Galant, et de l’autre côté jusqu’au Port Saint Bernard, dans le square Tino Rossi. À la fin je ne savais plus trop si je chassais les voyeurs ou si j’étais à l’affût de couples s’embrassant que j’observais à leur insu. De très nombreux photographes, parmi lesquels Izis, Brassaï, Doisneau, Boubat avaient photographié avant moi des couples s’embrassant et la plupart d’entre-eux sur l’île Saint-Louis, ce qui m’avait rendu curieux. Au début de mon projet je cherchais donc à saisir dans la même image, un couple sous le regard d’un voyeur, mise en abîme du travail de photographe. Hôte invisible qui a peur de se monter mais brigue l’omniscience, il assiste à ce qui n’est pas destiné à être montré. La photographie offre au voyeurisme une caution artistique.
Les pratiques voyeuristes peuvent prendre des formes variées, derrière une porte close ou à travers le trou des serrures. Il y a aussi la photographie indiscrète, celle pratiquée par les paparazzi pour la presse people, la presse à sensations ou bien encore celle du téléspectateur face aux images de la télé-réalité. Des moyens techniques plus ou moins sophistiqués sont parfois utilisés pour mener à bien leur vice : des jumelles, un miroir, une caméra. C’est James Stewart le voyeur parfait dans le film Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock : un photographe à la jambe cassée, immobilisé dans son son appartement devant le spectacle appartement banal et anodin de sa cour d’immeuble. Et c’est justement sa position privilégiée, au bon endroit, dilettante, à regarder ce qui se passe autour de lui, qui m’avait faire le lien avec la position des voyeurs de l’île qui, toujours en surplomb au-dessus de leurs proies, les tiennent à leur merci, sous le joug de leur regard, comme l’oiseau en plein vol.
Une des photos les plus emblématiques de Weegee est peut-être Their First Murder prise en 1941. Les témoins d’un meurtre dans la rue, abandonnés à leurs émotions, plus exposés par le coup de flash du photographe que par la victime pourtant présente dans le hors-champ. La multitude des angles, des lignes de fuite, des regards y renvoie à la pluralité des lectures possibles. Le cadavre importe peu, ce sont les spectateurs qui comptent. En écho aux réactions complexes, tantôt malsaines, tantôt compassionnelles, que suscite en nous le spectacle de la violence et de la mort, ils jouent avec et pour le photographe. Du tragique à la curiosité, de l’excitation au désespoir, même les enfants ne sont pas épargnés. Weegee ne porte aucun jugement, ne condamne personne. C’est la rue, la vie telle qu’elle se déroule, un lieu d’exposition des formes d’écriture. Il était là, il a regardé où il fallait. À nous de sonder ces regards pour y retrouver une fascination ambiguë que nous connaissons trop bien.
[2] Denis Roche est né à Paris en 1937. Écrivain, poète, photographe, il a publié une quinzaine de livres. Son œuvre poétique complète a été publiée sous le titre la Poésie est inadmissible en 1995. Les Dépôts de savoir & de technique, sont basés sur le principe inverse de la dissociation maximale des unités alignées (il s’agit invariablement de fragments de 61 caractères typographiques enchaînés sans souci de cohésion sémantique d’une ligne à l’autre). Ces prélèvements superposés-tassés sont une forme radicale et frontale, énigmatique d’une prose blanche, cumulative, apposante, juxtapositive, coupée-collée, qui produit, une manière de chant. Le chant général (des choses), et puis le cri des machines, et le discours de l’argent. Le chant social des signes. À la fois joyeux et mortifère. Denis Roche pose ici la question de la place de la poésie personnelle. Le lecteur a constamment l’impression que cette poésie est en train d’accoucher de quelque chose. Quelque chose qui ne ressemble à rien.
[3] Dans son livre L’image fantôme Hervé Guibert évoque assez bien le trouble du photographe à la découverte des planches-contacts : « Sans parler des grands désastres de réglage, de mauvaises distances ou de mauvaises expositions, le premier mouvement, le premier réflexe, c’est la déception : « ainsi je n’ai vu que ça, voilà où m’ont mené toute cette tension et toute cette gesticulation, à ces petits rectangles 24 x 36 qui souvent ne me disent plus rien. » Les photos que j’imaginais les meilleures sont ratées, et celles auxquelles j’imaginais le moins d’avenir sont parfois assez bonnes. L’appareil m’a eu, encore une fois il n’est pas à ma hauteur, trop haut ou trop bas par rapport à ce que j’attendais de lui. Ou je suis un mauvais technicien, ou il est le mauvais médiateur. » Lorsque je découvre mes photographies, je ne vois que les étapes du périple, avec le temps le parcours effectué dans la ville, les différents quartiers traversés, tout s’efface au profit d’un souvenir délimité, cadré.
[4] À l’époque de ce reportage photo, je chargeais toutes les photographies que j’avais prises en rentrant chez moi, et pendant qu’elles s’enregistraient sur mon disque dur, je notais dans un carnet le périple effectué, avec une très grande précision et un soin tout particulier. Je décrivais les lieux traversés, ce que j’y avais vu, dans quelles conditions. J’essayais de transcrire le moindre détail des circonstances de prises de vue, l’allure des couples, leurs vêtements, la nature de leur relation, ainsi que mes impressions de voyeur. Une frontière est toujours l’occasion de passer de l’autre côté. Je ne parviens pas à retrouver ces textes (j’avais pourtant rempli plusieurs carnets de mon écriture nerveuse), mais impossible aujourd’hui de remettre la main dessus. L’écriture n’était pas d’un style soutenu. Le temps de renouer avec les mots, l’envie de les renouer. C’est le voyage lié à l’écriture, sans même le savoir. Pouvoir écrire sur rien, c’est-à-dire sur tout, et que ça tienne debout.
[5] Le rêve que je fais le plus souvent ces derniers temps, qui se répète très régulièrement, bien que dans des circonstances toujours très différentes, m’entête, me trouble. Au moment de prendre une photographie, ce qui est toujours surprenant, inédit, j’attrape l’appareil, l’apporte à mes yeux et vise dans l’instant, en un regard, le temps d’un battement de paupière, mais au moment d’appuyer pour prendre la photographie, je sens le bouton se durcir il résiste et se coince, il ne s’enclenche pas, j’appuie de manière répété, un peu nerveux, pressé, insistant fortement, sans que cela ne produise rien, restant bloqué, impossible de le faire bouger, le bouton ne s’enfonce pas comme d’habitude sous l’impulsion délicate de mon doigt, sa pression digitale. Je répète vainement mon geste, impuissante récidive. J’évolue à l’endroit que je souhaitais photographier, tout bouge autour de moi, mais je suis incapable de l’enregistrer, de le fixer. L’écriture, est-il l’une des images possibles du manque ?
[6] Mes rêves sont au monde en signe de conquête. L’épuisement du voyageur explorant ce paysage inépuisable. Ça ressemble à des instants que l’on pouvait encore se permettre de perdre. Dans la vitesse et le peu de temps laissé au hasard on fait ce qu’on peut. Trottoir vide qu’il faut traverser pour retrouver l’image, le grain de temps. Prouver son existence n’est pas toujours simple. Les variations s’offrent en florilège de sourires. Un vertige se produit, qui a l’éclat de notre propre disparition. Après écrire, maintenant juste dessiner quelques traces, quelques horizons. Une ouverture sans réserve, jusqu’au sacrifice de soi. Trottoir vide qu’il faut traverser pour retrouver l’image, le grain de temps. Les variations s’offrent en florilège de sourires. Savoir ce que l’on donne pour ne pas s’égarer. Éprouver à nouveau mêlées la sensation du retour et celle de l’éloignement. Ici rien ne se pense, tout s’accomplit. Chaque exclamation est un pas de danse. Quel silence après tout ce tintamarre.
[7] La démarche de Lee Friedlander s’inscrit ans la tradition des vitrines photographiées par Eugène Atget, au début du XXème, comme des photographies de rues prises dans les années 1950 par William Klein, ou bien encore des images de la vie ouvrière de Lewis Hine. C’est un témoignage neutre, et les autoportraits qui ponctuent l’ensemble de son œuvre, au travers d’ombres, de reflets de lui-même, télescopage d’éléments de la ville comme le miroir des vitrines, l’éclat des publicités, des écrans qui se propagent, et la proliférations des signes qui parasitent l’espace urbain, ne cherchent pas à le placer au centre du monde qu’il montre, celui d’une Amérique où la figure humaine résiste mal selon lui à la dissolution dans la complexité des espaces urbains. Le photographe écrit dans la préface de Self Portrait que ses autoportraits son « l’extension périphérique de son travail », je crois qu’il précise : « un petit rire nerveux » admettant qu’il était lui-même un intrus dans ses propres images.
Faire entrer dans ses images les éléments les plus disparates, les plus ordinaires de la rue, par décadrage, et par étagement de plans sur une grande profondeur de champ, le foisonnement de la ville soumis à la prolifération indéchiffrable du réel s’organisant en strates superposées hétérogènes, que l’image dans l’image démultiplie et diffracte, fragmente et dévie, que les ombres portées (et parfois celle du photographe lui-même qui cache ou couvre, dissimule derrière la masse noire de sa silhouette projetée) envahissent l’espace, rendant encore plus complexe la distinction entre champ et hors-champ. L’effet signature qui résulte de ces traces fantomatiques tient plus d’une forme d’engagement impartial (ne rien cacher) teinte d’ironie (je suis ici, je vous regarde et vous ne me voyez pas mais j’entre ainsi dans l’image, dans l’histoire), que de narcissisme. L’Horizon comme une main sur la frondaison des arbres. Mais reste cette intuition d’un retournement, d’un décalage du point de vue.
[8] La bibliothèque de l’Arsenal, est située dans le quartier de la Bastille. Antoine-René d’Argenson, marquis de Paulmy, y constitua une vaste collection encyclopédique de livres, de manuscrits, et d’estampes ouverte aux savants et gens de lettres. Le premier bâtiment de l’Arsenal est élevé sur un terrain qui appartenait au couvent des Célestins, dont l’emplacement est maintenant occupé par la caserne de la Garde républicaine. Les salons de la Bibliothèque de l’Arsenal, ont abrité les soirées littéraires de Madame de Genlis et de Charles Nodier. Le poète José María de Heredia y fut bibliothécaire de 1901 jusqu’à sa mort en 1905. En 1967, l’Arsenal a acquis les papiers de Louis-Sébastien Mercier. Le fonds comprend sa correspondance, des manuscrits du Nouveau Paris, ses pièces de théâtre, ses œuvres poétiques et philosophiques. À l’opposée de la place du Père-Teilhard-de-Chardin, côté Boulevard Henri IV, on aperçoit une curieuse sculpture de bronze d’Ipoustéguy : L’Homme aux semelles devant.
Je me demande parfois ce qui justifie le choix des emplacements dans l’espace parisien des bancs publics. Juste devant les marches de la bibliothèque de l’Arsenal, à moins d’un mètre, la présence de cet escalier est insolite. Peut-être est-ce pour permettre aux chercheurs de la bibliothèque de se poser un instant, pour vérifier leur mise, chercher leur carte d’utilisateur ? Il faut montrer patte blanche pour entrer et consulter les fonds de la Bibliothèque. Georges Brassens a chanté les bancs publics comme lieu privilégié des romantiques amateurs de baisers langoureux. Ce jour-là, c’est en effet un jeune couple qui monopolisait le banc. Assis à califourchon sur le banc en bois et piétements en fonte. Ils se faisaient face, leurs jambes croisées, enchevêtrées l’une l’autre de chaque côté des lames du banc, leur inconfortable position ne les empêchant pas de s’embrasser avec fougue. Je suis resté à distance pour les photographier, évitant de marcher sur les gravillons sonores de la place.
[9] Les voyeurs souhaitent disparaître et devenir invisibles, pour n’être pas repérables, visibles aux yeux des couples qu’ils observent. Lorsqu’ils voient apparaître des voyeurs novices qui sont peu discrets, ne connaissant pas les démarches d’approche ou des photographes trop démonstratifs risquant d’attirer l’attention des amoureux, les voyeurs n’hésitent pas à les chasser en les menaçant. Je me suis trouvé plusieurs fois pris lorsque je sortais mon appareil, nos appareils réflex ne sont guère discrets avec leur déclenchement sonore. Les voyeurs me menaçaient mais sans hausser la voix, aboiements aphones, d’étranges borborygmes étranglés au fond de leur gorge, ils me fusillaient du regard, un regard noir, et leurs visages crispés dans un froissement de colère et de ressentiment amer, suffisamment explicite pour qu’ils n’aient pas besoin d’en venir aux mains. Troublant de remarquer au passage que dans un très grand nombre de langues le mot voyeur a été choisi pour désigner cette pratique.
[10] Il y avait deux boucles différentes : une intérieur et une périphérique. La première était la plus petite, circonscrit dans le coeur historique et protégé de la capitale, consistant à faire le tour de l’île Saint-Louis, de pousser parfois jusqu’à l’île de la Cité, mais c’était rare (principalement le square Jean XXIII d’un côté de l’île et le Square du Vert-Galant à l’opposée). Lorsque j’avais un peu plus de temps, une après-midi complète par exemple, et surtout le courage de marcher de longues heures, car ce parcours qui semble réduit sur une carte, se révélait épuisant, j’effectuais la seconde boucle, le grand tour : Port de l’Arsenal, du côté de Bastille, puis direction rive gauche, Port Saint Bernard, le Musée des sculptures en plein air du square Tino Rossi et remontant ensuite les quais de Seine jusqu’à la pointe de l’île de la Cité, enfin, je traversais la Seine sur le Pont des Arts. Et je revenais, pour terminer le périple, par les quais en contrebas de la voie Georges Pompidou.
Sachant que le parcours n’était jamais direct mais, découvrant, ou croyant découvrir des couples qui s’embrassaient, je rebroussais chemin, changeais de direction, revenant sur mes pas, valses-hésitations et remords qui m’épuisaient à force de marcher et de piétiner. Car la marche n’était pas la seule explication de ma fatigue, pour ne pas me faire repérer par les couples et les passants avec leurs regards méprisants, d’incompréhension crasse, je devais aller et venir, sans cesse revenir à l’endroit où je les avais avisés pour trouver le meilleur angle de vue, afin de voir sans être vu, ni entendu. Devenir invisible. J’arrivais donc épuisé au Port de l’Arsenal, dans le jardin en terrasse qui suit le cours de l’eau, le bassin est situé dans le prolongement du canal Saint-Martin. Je n’avais plus la force de me cacher derrière l’arche de plantes grimpantes, roses, chèvrefeuille au parfum enivrant, arbres à soie dévoilant leurs délicates fleurs roses qui ressemblent à des éventails de soie.
[11] Un projet jamais mené à terme, comme il y en a beaucoup, celui-ci consistait à décrire un trajet à travers les rues de Paris, dont le tracé dessinait en se déplaçant le prénom de la femme aimée. L’écrire en toute lettre, déclaration d’amour qui s’inscrivait in situ dans le parcours dans lequel on aurait pris de nombreux clichés faisant écho à cette personne. Les lieux eux-mêmes, également choisis en fonction de l’histoire partagée avec cette femme, nos lieux communs : la bibliothèque où nous allions prendre ensemble nos livres, le restaurant où nous fêtions nos anniversaires (la première rencontre, le premier baiser), le cinéma d’art et essai où nous assistions aux rétrospectives de nos films anciens préférés (films noirs et comédies musicales), les commerçants dont nos aimions les produits et ceux où nous savions ne les trouver que là, les squares où nous aimions nous donner rendez-vous pour une heure, et les cafés bien sûr où nous nous retrouvions après le travail pour boire un verre.
[12] Dans l’Ananaga Ranga, le traité hindou de l’amour conjugal écrit au XVIe siècle par Kallyana Malla, on dénombre dix espèces de baisers dont chacune à sa propre dénomination. Le Baiser Milita, qui signifie mélange ou réconciliation : « Si la femme est en colère, pour tel léger motif que ce soit, elle ne baisera pas le visage de son mari ; celui-ci devra donc imprimer de force ses lèvres sur les siennes et tenir les deux bouches unies jusqu’à ce que sa mauvaise humeur soir passée. » Le baiser Sphurita : « La femme approche sa bouche de celle de son mari, qui lui baise la lèvre inférieure. » Le baiser Ghatika, c’est la femme qui le donne, baiser Tiryak (ou oblique), Uttaroshtha, ou baiser sur la lèvre supérieure, Pindita, ou baiser d’ensemble, Samputa, ou baiser en cachette, baiser Hanuvatra, Pratibodha, ou baiser d’éveil, baiser Samaushtha : « Il est donné par la femme, qui prend entre ses lèvres la bouche et les lèvres de son ami, et les presse avec sa langue, en dansant autour de lui. »
Inventer un baiser (lui donner un nom, le décrire en quelques mots) est un art difficile mais passionnant qui en dit long sur soi et son rapport à l’autre. L’arrache-coeur : tourner sept fois sa langue dans la bouche de sa compagne avant de lui parler d’amour. Tel est le principe de ce baiser dont Boris Vian est l’initiateur. Rouge baiser : l’homme embrasse les lèvres maquillées, recouvertes d’un rouge-à-lèvres épais. Il va jusqu’à les lécher longuement pour leur enlever tout maquillage et prendre leurs couleurs. La vérité : ce baiser est un peu spécial, il consiste à alterner doux baisers sur la bouche et baisers glissant vers le menton pour l’énerver, le ronger, le mordiller savamment jusqu’à le faire rougir et laisser des traces visibles durablement, sur lequel on ne peut dire que la vérité. Le bécot : du bout des lèvres petits baisers courts et sonores. Incliner la tête à chaque baiser comme si l’on jouait à cache-cache. À chaque passage les nez se frottent, se caressent tendrement.
Voici d’autres exemples de baisers : La Chasse au Snark : lèvres accolées, bouche à bouche, face à face, visages immobiles, ils se lancent des petits coups de langue rapide (comme celle d’un serpent) afin de percer la barrière plus ou moins dure des lèvres qui se serrent et se desserrent régulièrement au gré de l’humeur, du jeu, jusqu’au moment où la passion prend le dessus, et les déborde, leurs lèvres s’ouvrent, leurs langues se cherchent un instant, se touchent, se caressent et s’entourent, puis s’enfoncent chacune de son côté plus profondément. À ce moment-là les visages s’inclinent inexorablement et perdent la rigidité qui faisait de ce baiser un excellent prémisse. La référence à Lewis Carroll, à la base de l’appellation de ce baiser qui n’a pourtant rien de Victorien, doit son origine au mot-valise Snake/Dark, Serpent Noir). Le palimpseste (qui efface un baiser précédent). Le palindrome (qu’on peut lire dans les deux sens). Baiser d’oiseau : très léger. Baiser de Judas : Perfide.
Les vases communicants : quand l’homme enfonce sa langue dans la bouche de sa femme, elle place alors la sienne contre ses dents, en réserve pour ne pas gêner son intrusion. Quand il se retire et fait comme elle, elle plonge alors la sienne sans retenue. Le baiser souterrain : voir Belle du seigneur, d’Albert Cohen. Le Baiser d’Annabel (Lolita) : « Chaque fois que son extase solitaire l’attirait vers mes baisers, sa tête s’inclinait doucement, en un mouvement alangui et comme accablé, et ses genoux nus happaient mon poignet, le serraient un instant puis relâchaient leur étreinte pendant que sa bouche palpitante, crispée par l’amertume de quelque philtre secret, s’approchait de mon visage avec une aspiration sifflante. Elle tentait alors d’apaiser la torture de l’amour en frottant farouchement ses lèvres sèches sur les miennes, puis s’éloignait soudain, rejetait ses cheveux en arrière d’un coup de tête convulsif, et revenait, toute proche et obscure, me nourrissant à sa bouche ouverte. »