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Une page qui se tourne





Suite à la lecture de neuf portes seront passées, l’atelier d’écriture proposé par François Bon à partir d’« Espèces d’espaces » de Georges Perec, sur son site et sur son compte Youtube j’ai eu l’envie d’écrire ce texte : Le secret derrière la porte.

La porte est également un décor aux ressorts dramatiques très utilisé au cinéma.



Perdu dans ce long couloir sans fin, je ne sais plus très bien où je me trouve, désorienté, suis-je dans un hôtel ? dans un immeuble dont j’aurais oublié la situation ? Un souvenir lointain ? Le couloir se profile devant moi, aucune fenêtre pour l’éclairer, juste ces portes, mais des portes fermées, ne laissant transpercer aucune lumière. J’avance dans ce couloir étroit et j’ouvre les portes une par une. Au fil de ma progression. Sur quoi donnent-elles ces portes ? Qu’est-ce que je vais trouver derrière ? Je redoute d’ouvrir la première de ces portes et de découvrir ce qu’elle cache. Ce lieu me rappelle le dédale des couloirs de la Maison de la Radio. Ce n’est sans doute pas un hasard, l’image du couloir convoque en moi d’autres souvenirs plus anciens, notamment ceux d’images d’un film vu et revu dans ma jeunesse. Alphaville. « C’est toujours comme ça : on ne comprend jamais rien et un soir on finit par en mourir »
.

J’avance dans ce couloir, il me paraît de plus en plus long. Il s’invente progressivement. M’invite à poursuivre ce lent cheminement. Pousser plus loin le mouvement d’exploration. Au risque de me perdre.

Après un moment d’hésitation, geste arrêté en suspens, j’ouvre finalement la porte. J’ose enfin.

Porte derrière laquelle je reste caché de peur d’être démasqué. Je suis entré dans cet appartement sans autorisation, et soudain les propriétaires sont là, rentrent plus tôt que prévu, pas le temps de réfléchir, il faut que je me cache. Parer au plus pressé. Je me dissimule derrière la porte, espérant qu’en l’ouvrant, en entrant dans leur appartement les propriétaires sans me voir me laisseront l’opportunité de m’enfuir sans s’apercevoir de ma présence illicite. Dès que je sens une ouverture possible, une fenêtre de sortie, je me précipite dehors, en essayant de me faire le plus discret possible. Je sors furtivement de la pièce, me réfugie dans le salon adjacent. Un coup d’œil rapide, instinctif, me permet de comprendre que je suis pris au piège. À la gorge. Pas d’issue envisageable dehors, il me faut rebrousser chemin, mais j’entends déjà la voix des propriétaires qui se rapproche dangereusement de l’endroit où je me suis dissimulé, je prends peur. Il faut vite trouver une solution. J’ouvre la porte juste devant moi.

La porte que je pousse, je me retrouve dans un nouveau lieu inconnu, incongru, ce que cette femme, infirmière, m’indique avec autorité, voix suave et chaleureuse, il faut te déshabiller à la hâte, dans un espace réduit, inconfortable, un cadre intimidant, et son regard sur moi, on va t’examiner dans quelques instants, il faut ôter rapidement mes vêtements, garder juste mes chaussettes. Mes habits sont accrochés, inanimés comme pantin oublié dans un vieux théâtre de marionnettes, sur la patère mise à disposition dans cet espace. Une autre porte devant moi, à quelques centimètres à peine, le nez tout contre, à peine la place de bouger, de respirer dans ce réduit minuscule. Dans un sas, cet entre-deux inconfortable. Quand la porte s’ouvre enfin, à moitié nu, c’est un rendez-vous avec le médecin qui m’attend normalement. Mais on ouvre la porte d’autorité et contre toute attente je me retrouve ailleurs, comme jeté brusquement à l’extérieur. Sans ménagement. Dans une gare.

Sur un quai de gare, je cours à perdre haleine. Je suis en retard, très en retard. Essoufflé. Un train, le dernier train, courir pour ne pas le louper, si je rate ce train, je le sais c’est couru d’avance, je ne te verrai pas, je manquerai notre rendez-vous prévu de longue date, ce rendez-vous que j’attends depuis si longtemps, et je ne sais pas alors dans combien de temps nous pourrons nous voir à nouveau. Si même tu voudras encore de moi. Je traverse la salle des pas perdus. J’évite le choc, pourtant inévitable à la vitesse à laquelle je détale, avec les passagers qui attendent l’annonce du départ de leur train, le mien est déjà à quai, on annonce son départ imminent. La fatigue se fait sentir, mes jambes flageolent, je n’arrive plus à respirer, le souffle court, l’impression que le courage va soudain m’abandonner, que je ne parviendrai jamais à arriver à temps. Impossible. Je grimpe dans le train, la sirène de la fermeture des portes retentit en même que la porte se referme automatiquement sur moi.

Je remonte le couloir du train qui prend de la vitesse, sort de la gare. J’avance un peu hagard. Sous le coup de l’émotion, je remonte le wagon dans le sens de la marche.

La porte que je ferme derrière moi, rassuré par ce mur installé entre moi et le danger que je fuis, mur protecteur avant de me rendre compte que je suis en fait acculé dans un espace fermé, sans issue possible, prisonnier, la porte n’est plus alors un rempart inaccessible, une protection assurée, ou je me retourne, encore essoufflé par ma course, mon corps soulevé par le rythme intense de ma respiration haletante, je commence à me calmer en me retournant mais le danger s’est immiscé dans la même pièce que moi, il s’est infiltré là je ne sais comment, peut-être avait-il toujours été là à m’attendre, tapi dans l’ombre, et me tombant dessus, m’enfermant dans son piège, croyant lui échapper pour finalement me retrouver seul enfermé dans ce lieu clos avec lui.

Ce périple prend des allures cauchemardesques. Les courses-poursuites de mes rêves d’enfant étaient des chevauchées échevelées. Dans ce couloir de l’enfance qui n’en finit pas.

J’avance dans un lieu inconnu, j’ouvre des portes au hasard, à chaque fois celles-ci s’ouvrent sur un lieu différent, lointain, troublant. Je ferme la porte et si je l’ouvre à nouveau, jamais sûr de retrouver le même lieu, le même paysage. Une permanence. La porte qui claque, le bruit extraordinaire que cela produit qui fait vibrer le mur entier, l’impression que la maison tremble. Mais plus que le bruit c’est cet appel d’air ainsi provoqué qui me surprend, me déstabilise, le vide qu’il provoque en moi, comme un soufflé inversé sous son aspiration suspendue. Pendant longtemps c’est ce bruit qui résonne dans mes oreilles, emplit ma boîte crânienne, m’assourdit de sa violence inouïe. Mais l’air de rien, la douleur vient plutôt de ce manque d’air qui m’empêche de respirer, m’inscrit en porte à faux, suite à ce départ qui me laisse démuni, perdu, sans voix.

J’avance, j’avance toujours dans ce long couloir, ouvre encore les portes qui se présentent à moi, cherche l’issue tant espérée, le moyen de m’échapper de ce lieu où je me trouve enfermé, coincé, poursuivant le chemin vaille que vaille, en ouvrant encore d’autres portes. Dans la répétition infinie de ce geste mécanique. Ouvrir, fermer, ouvrir, fermer. Et derrière ces portes d’autres encore comme autant de souvenirs ouvrant les uns sur les autres, et communiquant ensemble tout en écho et correspondance intimes.

Cette porte devant laquelle je m’agenouille, j’y implore instamment ton pardon, mais tu n’ouvres pas, la porte reste fermée même si je te dit tout ce que j’ai sur le cœur, profitant de cette séparation pudique pour y parvenir enfin, évitant ainsi le face à face qui sinon me laisserait sans voix, je te dis tout ce que j’ai toujours voulu te dire, ce que que je retenais en moi. Passer la nuit devant la porte de cette chambre d’hôtel fermée, et m’endormir épuisé d’avoir tant pleuré et t’avoir tout avoué, le corps lessivé de larmes. Au petit matin, toi à qui j’ai parlé de longues heures la veille au soir, à qui j’ai tout avoué, tu es là devant moi prêt à m’écouter, mais je n’ai plus rien à dire et je me demande bien du coup à qui j’ai pu parler cette nuit si ce n’est pas à toi qui me fait face désormais de l’autre côté de la porte close, qui ne s’est jamais ouverte.

Ce que j’entends et ce que je vois à travers cette porte fermée. Sortir de chez moi, pour aller chercher le pain, mais ne pas sortir vraiment, rester des heures sans rien faire dans le couloir de l’immeuble, dans les marges d’un temps gagné sur le quotidien, l’arpenter de long en large ce couloir comme une extension de chez soi, mais placé légèrement en dehors. Une habitude prise pour aller fumer. Un prétexte bien sûr. Un jour un bruit attire mon attention, je me fige pour ne pas me faire repérer, le parquet du couloir est ancien, en bois vernis, un vieux bois dont les lattes disjointes craquent au moindre mouvement, il faut faire attention si on ne veut pas être entendu des voisins. J’ai d’abord écouté les bruits de leur appartement avant d’oser placer un jour mon œil dans la serrure de la porte de leur appartement. Il y avait deux appartements situés sur le même palier que le notre. Le jeune coupe qui habitait dans l’appartement mitoyen se disputait très souvent, un jour en allant chercher le pain, la violence de leurs cris a attiré mon attention. Je me suis fait discret et suis sorti de l’immeuble pour faire mes courses comme prévu. En rentrant, je ne les entendais plus, c’est ce qui m’a poussé à regarder par l’œilleton. Je n’ai pas tout de suite compris ce que je voyais. Je les entendais chuchoter. Il me semblait apercevoir de la peau mais sans réussir à comprendre l’échelle de ce que j’avais sous les yeux. Lorsqu’ils se sont mis à bouger, j’ai compris qu’ils étaient en train de faire l’amour, le trou de la serrure cadrait précisément le sexe du jeune homme en érection s’extirpant de celui de sa compagne. Obscénité du gros plan. Dans l’appartement voisin, la disposition des lieux où vivent les jeunes couples sont souvent si réduits qu’ils les obligent à improviser dans ces réduits un quotidien où les lieux ont plusieurs fonctions, plusieurs usages en fonction de l’heure et de l’occupation, ce couple dormaient donc dans l’entrée de leur appartement, en tout cas, on pouvait les voir dormir sur un lit de fortune, très bas près du sol, sans doute un futon. Il est arrivé qu’une fois je les surprenne aussi en train de faire l’amour, sous la couette et les allers-retours las de leurs gémissements endimanchés. Je me souviens seulement de la jeune femme qui se levant se regardait dans un miroir disposé au dos de la porte d’entrée, à l’endroit précis où mon œil était collé pour l’observer à travers la porte, son regard insistant me troublait plus que ses jambes fines et longues ou son sexe épilée, après un long regard d’observation qui risquait de me faire quitter mon poste de voyeur à plusieurs reprises tant j’avais l’impression qu’elle pouvait me voir derrière la porte, comme si elle avait été transparente, ou remarquer mon œil à travers la serrure, je l’entendais se plaindre de l’épaisseur de ses cuisses, regrettant ce qu’elle appelait ses jambonneaux. L’indécence de ce terme déplacé dans sa bouche me révolta et je cessais de les observer à la dérobée, de les espionner.

Je rentre chez moi, le ménage à été fait récemment, les paillassons ont été disposés devant chaque porte mais leur position de guingois laisse présager qu’ils l’ont été dans le plus parfait désordre, ce qui me rappelle la scène de La Règle du jeu de Jean Renoir, où l’ancien braconnier devenu l’apprenti domestique qu’on a chargé de nettoyer et de faire briller toutes les chaussures des invités du château les a placé après sa tâche n’importe comment devant les portes des chambres, au matin aucun convive ne retrouve ses chaussures, le désordre s’est installé dans le château et les deux mondes n’auront de cesse, en se mélangeant, en échangeant leur rôle, d’annoncer la fin d’une époque, et la guerre qui arrive avec ses désastres.

La porte qu’enfant je demande à mes parents de laisser ouverte pour qu’y entre un peu de lumière et le bruit des conversations lointaines dont je ne distingue que la douce mélopée sans en comprendre le sens avec précision, comme la lumière me berce. Dans la nuit estivale, à travers les fins rets des volets en bois de la maison de mes grands-parents, les phares des voitures qui filent à vive allure sur la départementale qui traversent le village, balaient régulièrement les branches des arbres nus qui caressent dans leur lente chorégraphie muette le plafond de ma chambre improvisée dans le salon.

La porte que je n’ai jamais connue en l’état dans l’appartement où nous vivons aujourd’hui encore, car elle avait été retirée avant notre arrivée pour dégager la perspective du long couloir desservant les chambres et la salle de bain, et ouvrir l’espace de la salle manger. C’est un cadre, les gonds sont restés apparents, on ne les a jamais enlevés, à quoi bon, la porte est rangée dans un recoin de la cave, remisée bien au fond, mais on ne l’a jamais replacée dans l’appartement, on s’en est servie une fois comme plateau de table pour un repas de famille, parce qu’on avait beaucoup d’invités ce jour-là. Depuis que notre chambre n’est plus dans cette partie de l’appartement, mais dans l’ancien espace de la cuisine recomposée, pour permettre à nos filles d’avoir chacune sa chambre, cette porte fantôme est désormais remplacée par les portes que nos filles adolescentes ferment sur leur espace intime, se retranchant dans leur chambre respective, derrière leur porte fermée jour et nuit. Comme une page qui se tourne.

Se rendre compte tout à coup que les expressions prendre la porte et sortir de ses gonds sont liées par une même violence, celle de ce qui nous pousse hors cadre.

Ce que la porte cache, ce qu’elle dissimule, il arrive parfois qu’elle nous le révèle dans le même temps, même si ce temps est parfois très long à nous être révélé. C’est ce qui est en jeu dans le film de Charles Chaplin, Les lumières de la ville. Cette porte qui, par un jeu de passe-passe auquel il est habitué, il faut bien vivre ou survivre, et le faire avec le sourire est sans doute ce qui rend ce personnage de Charlot si universellement attachant, le fait apparaître à la jeune fleuriste aveugle pour celui qu’il n’est pas, un milliardaire dont elle tombe amoureux mais qu’elle ne reverra pas, avant ce moment si troublant où, luttant avec des imbéciles qui veulent se moquer de sa défroque, pour ramasser une fleur devant la vitrine de la fleuriste, il se retourne et tombe nez à nez avec la jeune femme qui depuis leur première entrevue a retrouvé la vue grâce à la générosité d’un inconnu et s’amuse de la scène qu’elle voit sans comprendre vraiment ce qui se passe, croyant voir un inconnu, sans le reconnaître bien évidemment. Mais le regard de Charlot est si intense, si troublant, les yeux étincelant d’émotion, qu’elle est soudain intriguée par cet homme qui malgré ses oripeaux se met à nu devant elle, l’émotion à fleur de peau, comme les pétales de la fleur qu’il a ramassée dans le caniveau se fanent, et tombent, elle veut lui donner une fleur et une pièce, mais il ne veut pas qu’elle le voit ainsi, sous son vrai jour, il a peur de la confrontation, elle le rattrape malgré tout, sa main agrippe la sienne, et c’est à ce moment qu’elle le voit enfin, avec les yeux du cœur. Elle le reconnaît. Et son amour est éclatant. Maintenant je vois clair, dit-elle. Une nouvelle porte s’ouvre en elle. En nous.

Après toutes ces portes qui se referment sur nous ou juste derrière nous, cela est vraiment très réconfortant. Il y a tellement de portes qui nous résistent, qui ne s’ouvrent pas lorsqu’on le souhaite. Dans La nuit américaine, de François Truffaut par exemple, cette scène qui me trouble et m’amuse, lorsque l’actrice italienne ne parvient pas à se souvenir de son texte (les assistants sont obligés d’écrire le texte de ses répliques sur l’ensemble du décor), tendue dans cette concentration qui la perturbe, que l’alcool exacerbe, peinant à mémoriser le parcours qu’elle doit suivre en fonction des mouvements de la scène qu’elle a à jouer, à chaque fois elle ouvre la porte d’un placard au lieu d’ouvrir la porte qui lui permettrait de sortir de la pièce. Elle ne trouve pas la sortie, bute contre elle, elle ne parvient pas à s’en sortir malgré la répétition de la scène, l’attention de toute l’équipe du tournage qui fait tout son possible pour l’aider, ce qui la dérange de plus en plus. Le vrai, le factice se mélangent. Elle n’y comprend plus rien. Elle entre dans un long couloir dont elle ne sortira pas de sitôt.

Je me sens proche d’elle piégée dans ce couloir, elle m’accompagne discrètement, je la soutiens comme elle me soutient à sa manière. Je l’imagine à mes côtés dans les moments difficiles même si elle n’était pas là, les fois où, lorsque j’étais enfant, pour arracher mes dents, mon père utilisait un long fil qu’il accrochait à la poignée de la porte afin de tirer d’un coup sec et ne pas me faire souffrir.

Quand je me suis retrouvé enfermé dans les toilettes d’un musée, à l’heure de la fermeture. Savoir que la seule solution pour s’en sortir est de crier, d’appeler à l’aide, pour attirer l’attention et espérer qu’on vienne nous ouvrir, qu’on puisse enfin sortir de ce lieu inhospitalier, conscient du ridicule de la situation.

Ce que m’avait raconté cette jeune fille dont j’étais secrètement amoureux et qui de retour d’un long voyage en Chine avec ses parents, m’annonçant qu’elle avait bien reçu mes lettres par la valise diplomatique mais n’avait pas trouvé le temps d’y répondre mais venait me le dire en face en m’invitant à passer un moment avec elle, elle m’avait alors raconté son impressionnant voyage, et la chose qui m’avait vraiment marqué, c’est lorsqu’elle m’avait décrit les toilettes en Chine, dans les trains, les sanitaires n’avaient pas de porte pour protéger l’intimité des voyageurs.

Spellbound, d’Alfred Hitchcock

Derrière la porte transparente, les ombres chinoises se dessinent au travers comme sur un écran de cinéma. Cette nuit sans sommeil avec montée des escaliers, rets de lumière sous la porte, la tentation est trop forte d’entrer dans la chambre, de déclarer son amour, puis nos visages s’approchent et notre baiser se confond avec l’image de ces portes qui s’ouvrent sur le ciel.

Un Noël, se voir offrir une lanterne magique moderne, et le souvenir de l’avoir testée la nuit même, à plat ventre dans la chambre plongée dans l’obscurité, sur le fond blanc de la porte de la chambre fermée, le rets de lumière et ses images qu’il faut animer soi-même en tirant des bandes dessinées en mouvement, l’ancêtre pour soi du projecteur sur lequel on regardera les premiers films Super 8 tournés, avec cette même fièvre de l’enfance, seul dans le noir, retrouvant cette émotion primitive, le cœur battant au rythme des cliquetis de la roue, de la bobine qui tourne, dans les bruits de la machine, la poussière soulevée et soulignée par le trait lumineux, déclenchant les mêmes images et les mêmes émotions en nous, ce qu’on voit là pour la première fois, avancer dans le noir avec pour seul repère le chemin que trace, ouvre, découvre, invente, le mouvement lumineux d’une lampe torche.

Ce dialogue dans Matrix entre Morpheus (dont le nom tu le sais bien renvoie au dieu des rêves) et Neo : « Tu es dans la Matrice. Tu voudrais savoir ce qu’elle est, alors je peux t’indiquer la porte, mais toi et toi seul pourras décider de la franchir. Alors, que décides-tu ? Prends la pilule bleue et tout s’arrête après tu pourras faire de beaux rêves et penser ce que tu veux, choisis la pilule rouge et tu restes au pays des merveilles et on descend avec le lapin blanc au fond du gouffre. Mais n’oublie pas, je ne t’offre que la vérité, rien de plus. »

J’avance, j’avance toujours dans ce long couloir, je ne sais pas si je pourrais en sortir un jour, si même je le souhaite au fond. Chaque porte que j’ouvre annonce son lot de surprises, de découvertes. Et le moment où j’entre enfin dans une des pièces pour examiner ce qui se trouve à l’intérieur, et que je marche un peu au hasard, jusqu’au point de trouver un autre couloir où d’autres pièces avec d’autres portes pour m’en continuer le parcours, je sais que je suis entré dans un labyrinthe sans fin, et qu’il est inutile d’en chercher l’issue. Elle est en moi. La porte est un passage et je suis de passage.

« Il arrive que la réalité soit trop complexe pour la transmission orale. La légende la retransmet sous une forme qui permet de courir le monde ». [1]

[1Alphaville, Jean-Luc Godard


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