L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat, ou L’Arrivée d’un train à La Ciotat, est un court métrage français, réalisé par les frères Lumière en 1895 et présenté pour la première fois en janvier 1896.
La tradition veut que lors de la projection, l’image du train qui se dirige vers le public l’ait terrifié et qu’ils se soit précipité en le découvrant vers l’arrière de la salle. Ce court métrage a eu un impact particulièrement durable, provoquant la crainte et la panique.
L’Arrivée d’un train a été enregistrée sur le quai de la gare de La Ciotat. L’opérateur fait face aux rails, en cadrage oblique avec point de fuite vers le fond droite. La voie est d’abord vide. Dans la diagonale du champ, une voie ferrée, sur le quai, des voyageurs en habit du dimanche attendent. Un bagagiste s’approche de la caméra. Des voyageurs endimanchés attendent. Au fond, dans la profondeur de champ, une locomotive à vapeur apparaît, son image grossit et semble foncer vers le spectateur. Elle file à gauche de l’écran, au premier plan. Ralentissant, elle dépasse la caméra sur sa gauche, sortant du champ de l’objectif, les wagons s’immobilisent. Le train s’arrête.
Madame Lumière mère et deux enfants habillés de blanc, debout sur le quai entourés de plusieurs personnes en ligne, se dirigent vers les wagons, dont les portières s’ouvrent. Des voyageurs descendent, d’autres s’apprêtent à monter, les curieux regardent par les fenêtres des wagons et s’approchent de la caméra. Un jeune paysan, avec un chapeau et un baluchon, traverse deux fois le champ. Les portières se referment. Le train va repartir.
Ce film est un étonnant florilège des différents cadrages du cinéma : plan d’ensemble, plan américain, plan rapproché, gros plan, et même un très gros plan. Mais cette étonnante variété découle d’un concours de circonstances et non d’une recherche esthétique voulue par les frères Lumière. Les voyageurs qui descendent du train s’approchent par curiosité de ce drôle d’appareil photographique dont l’opérateur active une manivelle. Ils passent devant l’objectif et modifient obligatoirement la variété des cadres. Pourtant, il faut bien reconnaître que cette prise de vues est riche d’émotion, malgré son caractère non intentionnel.
C’est évidemment la locomotive paraissant foncer sur les spectateurs qui fit le succès du film. Mais cet effet de profondeur provoqué par le mouvement vers le premier plan et l’effet de sidération psychologique ont été considérablement amplifiés par la légende critique ultérieure. Jean-Luc Godard s’est amusé à citer parodiquement cette entrée en gare dans une séquence des Carabiniers. Voyant le film des Lumière au cinéma, son personnage de paysan plutôt niais se protège le visage lorsque la locomotive fonce vers lui.
Outre la profondeur de champ, les nuages de vapeur dégagés par la locomotive, emplissant pendant quelques secondes tout le champ, contribuent fortement à la production d’un espace imaginaire en trois dimensions.
En 1995, le film collectif Lumière et compagnie réunit un ensemble de courts métrages réalisés par 41 réalisateurs utilisant le Cinématographe original des frères Lumière en respectant les trois règles suivantes : une durée de moins de 52 secondes, pas de sons synchronisés et pas plus de trois prises.
Patrice Leconte réalise un remake parodique du film des frères Lumière. Il revient, armé d’une authentique caméra d’époque comme l’impose le film, en gare de La Ciotat. Cent ans après, plus aucun train ne s’y arrête. Seul un TGV traverse l’écran, tel un projectile.
Deux heures à peine après l’accident de train survenu le 25 juillet à proximité de Saint-Jacques de Compostelle en Espagne, une vidéo est publiée par un journal en ligne espagnol puis distribuée à plusieurs autres médias et à YouTube. En quelques courtes secondes, ce qui semble être le déraillement du train qui a fait 80 morts et 94 blessés en Galice.
Sur les images, on voit un train arriver à grande vitesse sur les voies vides, s’engager dans une courbe avant que les wagons du centre du convoi ne quittent la voie ferrée, faisant se renverser la locomotive qui avance alors très vite vers la caméra, au moment où l’enregistrement s’interrompt.
Les images passent en boucle sur le net, ce n’est plus un film de cinématographe c’est un cinemagraph, une photographie animée d’un léger mouvement répétitif, généralement au format GIF animé qui peut donner l’impression de regarder une vidéo : une dérive immobile.
« Il est certain que la vitesse est un élément qui a été négligé entre le temps et la durée, déclare Paul Virilio dans la revue Multitudes. Si l’on considère l’histoire et la philosophie, chez Heidegger, saint Augustin ou d’autres encore, on s’aperçoit que le temps c’est de la durée, mais que le terme de vitesse n’entre en considération que beaucoup plus tard. Et cela malgré le fait que toute durée soit une catégorie de vitesse. Le terme de vitesse ne devient réellement nécessaire, au-delà de la notion d’instant, d’instant vécu, d’instant présent, d’instant infinitésimal, qu’avec les technologies de déplacement rapide, celle de la révolution des transports du XIXe siècle, et avec les technologies de communication ou de télécommunication ultrarapides qui utilisent la vitesse de la lumière à travers l’électronique. Je dirais que l’importance de la vitesse se manifeste, dans les sciences humaines et dans la société moderne, lorsque la Théorie de la Relativité la met au premier plan. »
Collisions 3199 LM MAASVLAKTE (Série n°11-14), 2005, photographie de Nicolas Descottes
Dans son livre Collisions, le photographe Nicolas Descottes présente un ensemble de photographies prises dans des centres de recherche sur la gestion des catastrophes où sont simulés et étudiés les différents types d’accidents, de l’exposition d’une bonbonne de gaz à l’accident de voiture, dont la violence et la dramaturgie fascinent l’artiste.
En un siècle, il faut que le train ait un accident et sortent de ses rails pour créer la surprise, représenter un intérêt à nos yeux : « L’accident est l’absolu de la surprise » écrit Virilio. Mais ce n’est plus la caméra d’un homme qui filme ses proches et l’arrivée d’un train dans la gare de la ville qu’il connaît bien pour y habiter, c’est une caméra de surveillance, impersonnelle, commandée à distance, programmée, mais dont les images se retrouvent en moins de deux heures sur Internet, sans contrôle, sans auteur, sans réalisateur et qui du coup nous paraissant irréelles. Et même si elle a été supprimée sur certains sites de partages de vidéos, on la retrouve très vite diffusée sur d’autres comptes, dans un mouvement de propagation qui rappelle étrangement l’image du train entrant à grande vitesse dans ce virage, dont l’image montrée en boucle est un leitmotiv.
« Non, non, écrit Rilke, dans Les Carnets de Malte Laurids Brigge, il n’est rien au monde qui se puisse imaginer, pas la moindre chose. Tout se compose de tant et tant de détails uniques, qu’on ne peut rien prévoir. En imaginant on passe sur eux et, rapide que l’on est, l’on ne s’aperçoit plus qu’ils manquent. Mais les réalités sont lentes et indescriptiblement circonstanciées.