Un lieu – la résurgence de la Sorgue à Fontaine-de-Vaucluse –, un livre de géographie, un tableau de Giorgione, un commentaire de Lucrèce par Bergson, une forme poétique de Pétrarque sont les éléments qui, agencés en un système circulaire de résonances et d’échos, composent La Vallée close, le film de Jean-Claude Rousseau.
De 1984 à 1995, le cinéaste se rend régulièrement à Fontaine-de-Vaucluse, en bordure de la Sorgue et de sa résurgence et commence à filmer, en Super 8, ce qui se trouve sous ses yeux : un chemin vide, une grotte, une chambre d’hôtel… L’acte de filmer chez Rousseau préexiste à l’idée même d’œuvre achevée. Pour reprendre une idée énoncée par Cézanne, rien ne doit s’immiscer entre le regard de l’artiste et le monde qu’il doit représenter comme il se dévoile à lui. En terme cinématographique, cela se traduit chez Rousseau par un refus du récit construit, voué à faire sens : « il y avait une nécessité de filmer, qui correspondait à des choses assez mêlées- y revenir, nous retrouver là. C’était dès le départ de l’ordre du désir. Le désir du film confondu avec le désir amoureux. Le désir d’être là. »
Le film s’ouvre par deux phrases me semblant essentielles pour sa compréhension. Tout d’abord Jean-Claude Rousseau dédie le film à sa mère, institutrice, puis il cite Jean Brunhes, auteur du livre de classe Leçon de Géographie – Cours Élémentaire (81 dessins ou cartes) : « Toute leçon de géographie devrait être soit préparée, soit complétée par une étude sur le terrain, par une leçon-promenade ».
Rousseau parsème son film de phrases extraites de ce même livre, rappelant des éléments aussi simples qu’essentiels à propos d’une journée, d’une saison ou du cycle de l’eau. Comme des leçons de choses qui seraient ponctuées par l’observation aléatoire du monde. L’écoulement du temps est évidemment essentiel, laissant place à l’esprit et à l’imagination pour faire sa propre route à côté des images projetées.
Réalisé sur une période de plus de dix ans, le film n’avance jamais de manière linéaire ni chronologique mais de façon cyclique.
Le cinéaste s’appuie sur un ancien manuel d’école élémentaire, une « leçon de géographie, » et construit son film en 12 « leçons. » Rousseau raconte qu’il a longuement cherché la structure adéquate, envisageant d’abord de diviser son film en six parties pour se conformer au modèle de la sextine de Pétrarque avant la découverte, dans le Chansonnier, d’une double sextine qui lui donna l’idée des douze parties. Si le mot n’était pas autant galvaudé, il serait facile d’avancer que La vallée close adopte une forme beaucoup moins narrative que « poétique », jouant sans arrêt sur les effets de rimes, de réminiscences, de renvois et de répétitions.
Lorsque arrivent les dernières bobines, le film « accouche » de sa vérité : les éléments purement naturels jouent alors un rôle analogique aux désordres sentimentaux du cinéaste. Pétrarque, Lucrèce, une photo érotique, le tableau de Giorgione La tempête, de courts extraits sonores du Mépris de Godard deviennent des motifs s’insérant parfaitement dans ce qu’Emmanuel Burdeau a appelé la « cosmogonie amoureuse » de Jean-Claude Rousseau : La Vallée close n’est pas une succession de plans reliés entre pour faire sens et récit, mais une constellation d’éléments mis en orbite.
En guise de bonus, les éditions Capricci proposent un véritable livre, abondamment illustré, consacré au film de Rousseau. Dirigé par Cyril Neyrat (critique aux Cahiers du cinéma et membre de la rédaction de la revue Vertigo), l’ouvrage est divisé en quatre parties. Tout d’abord, un long entretien avec Jean-Claude Rousseau où le cinéaste revient sur ses méthodes de travail et sur la manière dont s’est élaborée le film. Dans un deuxième temps nous sont proposés de nombreux documents sur la genèse d’un film réalisé sans scénario ou idées préalables. La richesse de ces documents iconographiques nous plonge au cœur même de l’élaboration de l’œuvre.
Avant de terminer par le « scénario » du film (en fait, l’ensemble des paroles prononcées dans La vallée close), l’ouvrage propose un très pertinent essai critique de Cyril Neyrat qui parvient à dégager les thèmes et motifs principaux du film en se référant à la philosophie de Heidegger (et sa conception de l’art) et en creusant le système d’analogies mis en scène par le film.
Douzième leçon. - Légende et échelle des cartes
« Voici un paysage... Voici un paysage. On y distingue des routes, une rivière, un pont, une ligne de chemin de fer, des cultures, une ville avec ses édifices publics, ses maisons, ses usines. Si nous étions en ballon ou en aéroplane, l’aspect serait bien différent. C’est une immense étendue plate qui apparaîtrait à nos yeux. La rivière ressemblerait à un long ruban argenté, les routes se dérouleraient toutes blanches à perte de vue ; les champs formeraient de grands carrés de couleur marron ou des nappes vertes piquées ça et là de toits rouges ou gris. Les bois se montreraient sous la forme de taches d’un vert sombre. Et si nous dessinions ce que nous avons sous les yeux en indiquant les routes, la rivière et le pont, la ligne de chemin de fer, les carrés que forment les maisons alignées le long des routes, les taches sombres des bois, nous aurions la carte de la région. Une carte est donc le dessin en petit d’une certaine étendue de pays. On peut faire la carte d’une commune, de plusieurs communes et même de la terre entière. Le plus souvent sur ces cartes on ne peut indiquer que les plus grandes villes, les rivières, les collines, les vallées, les montagnes les plus importantes, les principales routes ou lignes de chemin de fer. On colore généralement les murs et les lacs en bleu, les montagnes en marron foncée ou en violet, les très hautes montagnes en blanc ou en rouge. De nos jours, sur toutes les cartes, le nord est en haut, le dus en bas, l’est à droite, l’ouest à gauche... Voici un paysage... Voici un paysage. »
Dérives numéro 1 est un numéro autour de Jean-Claude Rousseau, épuisé ce numéro peut être téléchargé ou lu directement en ligne.
Départ de Saumane de Vaucluse. Au lavoir, descendre à gauche, passer devant la mairie et descendre jusqu’à une bifurcation. Prendre à droite un chemin bétonné qui descend. Au premier virage, prendre à gauche un sentier qui s’élève. Aux intersections prendre le panneau directionnel de Fontaine de Vaucluse. Aller jusqu’à la source et revenir jusqu’au chemin goudronné des Baumes Rouges que l’on remonte jusqu’au sentier en terre. Grimper jusqu’aux bories puis redescendre sur le GR91. Passer devant les ruines de Valescure faisant face au Mourre de la Belle Étoile puis suivre le GR 91 jusqu’à une intersection avec le PR que l’on prend. Contourner la citerne 129 en laissant la piste des Favardes. Descendre jusqu’à La Tapy puis prendre à droite un chemin qui monte jusqu’au plateau. Prendre la route en direction du château de Saumane puis rejoindre la parking à la sortie du village.