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Récit poétique à partir d’images créés par procuration

Créer à partir de textes des images conçues par le biais de l’artefact génératif DALL-E, écrire un texte en regard de ces images.


Anima Sola #29

Après une longue promenade à travers la campagne détrempée, marchant dans les chemins humides troués de larges flaques d’eau reflétant le ciel couvert de nuages, nous nous approchons du rivage. De loin, nous entendons les vagues s’échouer sur le sable avant même de voir la plage. Je m’assois à côté d’elle sur le quai. Je fonce les yeux fermés, penchée en avant. Nous restons un long moment sans rien dire. Le vent dans nos cheveux, l’air de la mer nous enivre. Elle pense parfois qu’il faut s’ouvrir à tout ce qui nous entoure en toutes circonstances afin de faire de notre mémoire le réceptacle de sensations uniques. Elle les énumère à voix basse : Aérer chaque jour sa maison pendant cinq minutes pour renouveler l’air à l’intérieur. Passer la main dans ses cheveux. Lever les yeux en l’air pour regarder les avions traverser le ciel. Remonter son col et rajuster son écharpe dans la fraîcheur de l’hiver. Sentir le parfum d’une fleur même si l’on craint d’éternuer. Encercler avec ses bras le tronc noueux d’un arbre centenaire. Regarder l’horizon depuis la jetée, la mer à perte de vue. À la fin d’une journée au bord de la mer, passer sa langue sur ses lèvres salées. Marcher en silence l’un à côté de l’autre. Chercher dans la forme changeante des nuages des animaux fantastiques. Passer l’aspirateur chez soi pour se réchauffer. Se frotter les mains nues quand il fait froid et souffler dessus pour les réchauffer. Je l’écoute rempli d’aise et presque d’orgueil. Je me retourne au comble de l’émerveillement. Je ris la tête dans mes mains. À mon tour je vois défiler toutes ces images du quotidien qui n’apparaissent que si on les convoque en soi. Essayer de deviner ce que pensent les femmes qu’on croise dans la rue et qui soutiennent votre regard en souriant. S’obliger à attendre que le feu piéton passe au vert avant de traverser même s’il n’y a aucune voiture ni aucun danger à l’horizon, surtout en présence d’enfants. Descendre les marches d’un escalier en ayant l’impression qu’on ne touche plus le sol. Marcher jusqu’à la fatigue. Se perdre dans une ville qu’on connaît très bien, dans un quartier qu’on fréquente depuis longtemps. Regarder défiler les paysages dans le train et cette rêverie que ce mouvement déclenche en soi presque automatiquement. Dormir à côté de la femme qu’on aime, l’entendre respirer, sentir sa chaleur. Regarder un couple s’embrasser à la dérobée. Boire une bière bien fraiche. Lire à voix haute, penser à voix basse. Noter des idées ou dessiner un schéma pour mieux appréhender ce qu’on souhaite exprimer, ce qu’on a dans la tête, cette satisfaction du trait sur la feuille qui est à la fois une écriture et un dessin, qui libère l’esprit. Le temps qu’on passe parfois sur des choses insignifiantes, au travail souvent. Le vent dans les arbres. Découvrir un mot inédit. Un parking désert, une nuit de pleine lune, admirer les reflets des néons de couleurs sur le bitume humide, la nuit après une averse. Découvrir par hasard sur la photographie d’un inconnu le visage d’une personne qu’on connaît depuis longtemps. Se promener dans une maison déserte, abandonnée ou dans un appartement la nuit, à la seule lumière des réverbères dans la rue en contrebas. Un clin d’œil. Un sourire en coin. Les images se superposent avec celles de mes souvenirs. Je lève la tête en direction de la mer. Je contemple un brusque et délicieux ricochet de soleil. Je me caresse les mains sans savoir quoi faire d’autre. Les nuages s’arrêtent dans le ciel. J’admire leur immobilité, leurs mouvements obscurs. Je regarde les bateaux au loin. Elle me prend la main pour me dire qu’il est l’heure de rentrer. Je me retourne vers elle sans surprise. Sans un mot, nous nous levons en même temps. Dans un mouvement coordonné dont l’harmonieux accord renforce furtivement notre complicité.

« Le spectateur ne regarde pas une photo comme il regarde le monde. C’est d’ailleurs ce qui fait l’intérêt d’une photo ; elle permet d’apprendre non pas à voir, mais à recevoir autrement une image visuelle. Face à une photo, le spectateur obéit à une autre structure d’attente, quant à la représentation, à la reconnaissance, à la remémoration, à l’émotion, à l’imaginaire, au désir, à la mort, etc… »

François Soulages, Esthétique de la Photographie, Armand Colin, 2017.


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