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Récit poétique à partir d’images créés par procuration

Créer à partir de textes des images conçues par le biais de l’artefact génératif DALL-E, écrire un texte en regard de ces images.


Anima Sola #28

Je marche sans même avoir à regarder le fleuve. Je m’accroche aux bruits de la ville, aux visages des amis. Je contemple au-dessus de moi un ciel qui s’écrase contre ma nuque et les épaules. Je me dresse, tout est horrible et lointain. Il faudrait revenir en arrière mais personne n’est prêt à effectuer ce revirement, amorcer ce changement radical. Nous pensons souvent que changer d’avis, rebrousser chemin, défaire ce que nous avons fabriqué, est un aveu de faiblesse, le signe d’un échec. Nous préférons continuer à avancer dans cette fuite en avant, cette course folle même si nous savons que nous n’allons pas dans le bon sens, que tout nous prouve notre erreur, nos errements et nos tergiversations, que l’issue sera fatale. La plupart d’entre nous suivent sans réfléchir le mouvement général, difficile d’arrêter tout seul l’ensemble d’une irrésistible trajectoire en avant, nous nous laissons porter par les autres, les suivons, ils nous portent comme nous les supportons. Il faudrait avoir le courage de lâcher prise, d’abandonner la partie. Se désolidariser pour le bien de tous, mais nous imaginons que seuls nous sommes impuissants. Nous ne pouvons rien faire. C’est faux, bien entendu. Si personne ne commence à montrer l’exemple, à faire le premier pas de côté, le mouvement ne pourra jamais cesser. La force d’inertie du groupe nous emporte malgré nous vers le désastre. Nous ne pouvons pas attendre que tout le monde s’accorde pour cesser d’avancer et espérer ainsi arrêter la progression du groupe. Je sors me cacher et penser à tout cela. Un homme nous menace dans la pénombre. Il ne veut rien entendre. Il pense que nous sommes folles. Ces feux que nous allumons pour alerter la population dénoncent l’incendie qui consume notre monde depuis trop longtemps. Nous détruisons tout sur notre passage, sans penser au lendemain. Nous redoutons de prendre le temps de réfléchir à ce que nous avons fait, à examiner en face notre responsabilité dans la destruction de notre environnement. Notre appât du gain. Notre confort moderne. Le chacun pour soi l’emporte sur l’intérêt général. Nous ne parvenons pas à nous entendre, car nous ne prenons plus le temps de nous écouter. Chacun chez soi, chacun pour soi. La violence de cette indifférence et le mépris de cet égoïsme sont dramatiques. Je crois entendre un bruit de gifle, un bruit d’une indicible obscénité. Je suis secoué par un ordre, un désir irrésistible de lui fermer la bouche. Je soulève son corps qui respire, qui a peur désormais devant nous. Je saisis ce masque répugnant du sérieux. Je m’enfonce dans les pires cauchemars. Je sens le léger frisson quand on arrive à la nuque. Je continue secoué de frissons et de soupirs. Je regarde son visage à nouveau, une ombre de sourire. Dans la crispation de la crainte. Je rentre, incapable d’attendre plus longtemps. Je saisis que la mémoire sait ce qu’elle doit garder intact. Je rêve de lire des poèmes jusqu’à la nausée. Je reviens à l’heure des nostalgies.

« Toute vue de choses qui n’est pas étrange est fausse. Si quelque chose est réelle, elle ne peut que perdre de sa réalité en devenant familière. Méditer en philosophe, c’est revenir du familier à l’étrange, et dans l’étrange affronter le réel. »

Paul Valéry, Choses tues : Cahier d’impressions et d’idées, Éditions Lapina, 1930.


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