Il y avait dans le dessin de son tatouage aux volutes sinueuses, un élément indescriptible qui te fascinait, comme toute forme lointaine dont le message secret nous intrigue, dans l’incapacité de son déchiffrement, l’espoir d’en trouver le sens, tu l’observais longuement, en t’appliquant à rester bien attentive face à ce dessin, dont l’encre traçait sur sa peau cette déclaration d’intention, aveu passager, durable dans la trace, un message en anglais à caractère personnel : I’m fine. Je vais bien, disait-elle en apparence. Son tatouage apparaissait un peu au-dessus du genou, quand elle portait des jupes légères l’été. Comment t’étais-tu rendu compte de la duplicité du message, en miroir, ou pour ceux qui, suffisamment intimes, pouvaient s’approcher d’elle, se coller à son dos et voir, par-dessus son épaule, la tête près de la sienne, regardant dans la même direction, le double sens de son mystérieux dessin, à l’inverse de ce qui était écrit, pour ceux qui lui faisaient face ? Sauve-moi.
Comment ne pas penser, en découvrant ce tatouage sur le haut de sa cuisse, à cet autre message, supplique anodine, Alice devant sa petite fiole, et son étiquette de papier autour du goulot, où se lisaient ces mots en gros caractères magnifiquement imprimés : BOIS-MOI. Le souvenir des précautions prises avant de se résoudre à en boire le contenu. « C’était bien joli de dire Bois-moi, mais la petite Alice, bien avisée, n’allait pas s’exécuter tête baissée. Non, je vais d’abord regarder, dit-elle, pour voir si c’est marqué poison ou pas. » Et les conséquences de son geste, la transformation de son corps qui rétrécit et se ferme comme une longue-vue, jusqu’à ce qu’elle atteigne enfin la taille idéale pour franchir la petite porte, et pénètre dans le ravissant jardin inaccessible jusque-là. Cette injonction en forme d’appel au secours, dissimulé dans un banal message rassurant sur son état, comme dans cette phrase, je vais bien, si on ne la laisse pas finir, je vais bien... finir par mourir.
Il y avait des jours où elle se sentait triste sans raison apparente, des matins où elle était incapable de sortir de son lit. Dormir trop ou trop peu dormir, son dilemme. Des nuits où elle se mettait à pleurer car elle se sentait bouleversée, même si tout allait bien au fond, ce qu’elle me disait pour me rassurer le lendemain. Elle s’effondrait parfois pour un rien, une fois coupée la peur, la vie commence, un regard insistant, une phrase déplacée, une lumière trop vive, un fait divers. Tous les jours la boule au ventre. Un besoin permanent d’être tout le temps active, sur le coup, occupée (travailler tous les jours, préparer un rôle pour une pièce au théâtre, tenir le bar parce que son patron l’appelait à la rescousse au dernier moment, visiter des expositions, regarder un film au cinéma), elle ne pouvait pas faire confiance à ses pensées très longtemps. Et des pleurs sans raison, sans savoir pourquoi elle se sentait si inutile, quand elle savait qu’elle avait tout pour être heureuse.
Dans ce geste vif un rien brutal, nerveux, sa mesure et son attente, quelque chose qui prend figure à la limite de l’image, son regard, son sourire, son corps, sa peau, tu froisses la feuille pour la jeter. Son bruit significatif qui se referme sur elle, l’enserre pour l’effacer, la faire disparaître, entre tes doigts tu sens bien que c’est impossible, sa matérialité s’impose à toi, son poids, dans l’évidence de sa densité, de sa rugosité, en même temps image déjà d’un départ. Ce moment où tout soudain bascule. Le visage de cette jeune femme qui te ressemble, qui comme toi est comédienne, difficile d’en accepter l’image dans ce magazine sur papier glacé, effet miroir garanti, aveuglant. Essayer de donner corps à une réalité en faisant dériver les mots : Tu ne peux pas la voir. Quand on ne veut rien d’autre et rien de plus, la plénitude est proche, mais tu n’en es pas là. Autant d’épreuves qu’il te faut affronter sans pouvoir trouver de réponse, dans le silence de cette feuille froissée.