L’exposition d’Éric Rondepierre à la Maison Européenne de la Photographie développe une vision panoramique de l’œuvre du photographe avec une dimension rétrospective sur le travail de photographe, en exposant l’ensemble des séries réalisées par Éric Rondepierre durant les vingt dernières années.
Le travail photographique d’Éric Rondepierre se compose essentiellement d’un matériau filmique dont il « photographie des photogrammes », ou des images arrêtées sur un écran de téléviseur, reprises de vue plus que prises de vues, le photographe y travaille à la surface visible de films trouvés, ces trous noirs ou ces matières qui sont tous invisibles à l’œil nu mais qui sont pourtant réellement présents sur la pellicule, en explorant ses angles morts, les aberrations visuelles, les incrustations, la décomposition et la corrosion des images, comme dans ses trois anciennes séries Annonces (sous-titrages blancs sur fond noir, où il traque le subliminal que le cerveau enregistre mais que l’œil ne peut retenir), Précis de décomposition et Moires (images de films muets rongées par les taches du temps).
« En portant atteinte à toutes les formes de la continuité, écrit Marie-José Mondzain, Rondepierre fait voir et fait entendre ce qui s’échappe par la brèche ouverte de l’insu. Saisir le visible en son point d’aveuglement, c’est rompre avec la temporalité linéaire de la pellicule et du récit pour rendre visible une temporalité liminale où les signes surgissent mus par la seule énergie d’un désir. »
« Fonctionnant constamment selon le principe de l’intermittence, écrit Muriel Berthou Crestey sur son Carnet de recherche visuel Le Regard à facettes, les œuvres récentes d’Éric Rondepierre se positionnent entre reprises d’images cinématographiques subtilisées au répertoire d’un passé qui lui est étranger et images arrachées de sa vie photographiée, écrivant au jour le jour le déroulé du spectacle. Empruntant leurs décors figés au flux des films où circulent les protagonistes du quotidien d’Éric Rondepierre, les Seuils produisent des récits de fictions, à l’appui de preuves en images. Le photographe tient dans ses mains les déclencheurs de nos rêves ou cauchemars, où apparaissent des spectres entraînés dans le sillage d’une colonie d’énigmes ».
Depuis le début de son travail, le photographe met en relation l’écriture et les images, que ce soit lorsqu’il documente la fiction ou lorsqu’il fictionnalise le document, sous la forme de rencontres, d’hybridations ou d’hypothèses, à même l’image.
Dans L’Hypothèse, livre réalisé à l’invitation de Publie.net, « L’auteur s’arrête quelques instants sur vingt ans de production photographique et contemple son œuvre. Une sorte de traversée narcissique du miroir qui est aussi une plongée à l’intérieur d’un film qui manque. »
« Attiré dès ses années de formation autant du côté du texte que de l’image, écrit Jérémy Liron dans sa présentation du livre sur Publie.net, comédien, performer, c’est au début des années 90 qu’Éric Rondepierre commence à explorer les « angles morts » du dispositif cinématographique extrayant des photogrammes prélevés à la continuité fugace des séquences pour les donner à voir comme un monde caché du film. Rapidement cette activité se double et se complète de celle d’écrire : les livres d’Éric Rondepierre, mêlant la fiction à l’autobiographie et revenant avec insistance sur ses obsessions de plasticien, accompagnent et prolongent l’exploration de sa vie un peu comme on tâte dans l’obscurité les parois d’une pièce pour s’en figurer les volumes. »
« Je ne dirai pas que mon image ignore le temps ou le mouvement. Toutefois elle les vit passivement, ne les prend pas pour une invite à mener une existence féconde et belle ; elle ne se blottit pas dans la sage dégradation du temps, elle ne fait pas de soi une tombe éternelle. Les saisons l’affleurent et ne lui donnent pas d’avantage qu’une joie symbolique et de peu d’importance, de laquelle elle s’orne avec une joie et une discrétion incommensurables ». [Éric Rondepierre, L’hypothèse, Publie.net]
Le septième numéro de la revue d’ici là était consacré au temps : Le présent n’est que la crête du passé et l’avenir n’existe pas. Éric Rondepierre y diffusait un portfolio d’images de la série Parties communes.
Dans sa série Loupe/ Dormeurs, de 1999 à 2003, l’artiste combine toutes les possibilités du matériau filmique, du négatif à la vidéo, et en convie une troisième : l’écriture d’un texte autobiographique en caractères minuscules, créant sur l’image une trame imperceptible, comme un voile subliminale. On peut lire en s’approchant mais alors on ne voit pas. De loin, l’image est visible mais le texte devient illisible. La question n’est plus alors de savoir « quoi regarder ? » mais « d’où regarder ? ».
Dans Agendas, de 2002 à 2012, le photographe condense dans l’espace d’une photographie l’ensemble des photos prises au jour le jour tout au long de l’année (entre 400 et 700) et d’un journal écrit incrusté dans l’image. « C’est parce que j’oublie que je me souviens, affirme-t-il ».
Dans ses deux dernières séries Seuils et Parties communes, le photographe mêle deux sortes d’images, photogrammes de vieux films et photographies récentes, faisant se télescoper ces deux espaces-temps, cherchant à faire « dialoguer avec des fantômes, et rendre possible ce qui ne l’est pas. »
Avec seulement quelques secondes de cinéma, Éric Rondepierre a créé une œuvre singulière, dont cette exposition rétrospective de la Maison Européenne de la Photographie, nous révèle toute la richesse.