« Derrière une œuvre de prime abord originale, pouvait-on lire dans l’éditorial du n° 18 de La Voix du regard revue littéraire sur les arts de l’image, portait sur les formes de recyclage, reprise, retour, etc., en littérature et dans les arts de l’image, publié en 2005, c’est tout un palimpseste de retours, de reprises, de recyclages qui se manifeste. Dire Re, ce n’est pas dire idem mais c’est dire déplacer. Car ce qui revient ne revient jamais à l’identique. Tout l’intérêt de la reprise d’une image, d’une idée ou d’une œuvre anciennes, réside dans l’appropriation et la transformation plutôt que dans la réédition. Ainsi ne crée-t-on jamais seul. S’approprier, c’est trahir, renouveler l’interprétation ; c’est revitaliser du sens. »
« Un texte peut toujours en cacher un autre, écrit Gérard Genette, mais il le dissimule rarement tout fait. »
« Le palimpseste, écrit Simone Dompeyre, c’est la manière de reprendre en matériau pour des échafaudages nouveaux, d’anciennes nouveautés. »
Sans recourir à la lointaine pratique économique de ce réemploi de parchemin, gratté pour un nouveau message, en gardant ce terme qui sonne étrange à notre oreille, c’est l’approche de la réappropriation par l’art de textes, d’images, de sons déjà inventés. Non pas la question du plagiat, dont on sait qu’il servit d’exercice dans les académies et que Baudelaire rima du Banville et Rimbaud du Baudelaire avant d’être les proférateurs de leur propre parole, tant il est vrai que les exercices peuvent être un chemin vers, mais ce qui nous intéresse ce sont les projets qui entrelacent diverses composantes, les processus qui sous une œuvre découvrent des sous textes, les refontes d’œuvres prises comme matériau.
La réappropriation s’affirme pour moi comme manière d’œuvre.
Le palimpseste ne se limite donc pas à l’emprunt d’images faites, du type ready-made, le palimpseste ce n’est pas obligatoirement reprendre les images d’autrui mais leur trace, leur écho, leur empreinte, leur projet pour les déconstruire, pour les reconstruire, les critiquer, leur reconnaître la force du questionnement ou tout simplement celle du plaisir.
Le produit culturel devenu numérique, téléchargeable et volatile est dorénavant à la portée de tous. La juxtaposition des contenus permet d’en faire émerger de nouvelles pistes de réflexion, d’expérimentation et de création, soit une nouvelle forme d’expression. Montage vidéo, Machinima, Mashup de playlist mp3, photomontage...
Dans son documentaire RiP : remix manifesto, le réalisateur montréalais Brett Gaylor questionne le rôle du droit d’auteur dans l’ère numérique, en faisant tomber les barrières entre consommateurs et producteurs de culture.
Personnage-clé du film, l’artiste américain Girl Talk fait vibrer les foules avec des chansons réalisées entièrement à partir de collages musicaux. Sa démarche fait-elle de lui un artiste du peuple ou un pirate sans foi ni loi ? Le film, parsemé de rencontres avec l’avocat américain Lawrence Lessig, le critique canadien Cory Doctorow, ou encore le musicien et ministre brésilien Gilberto Gil, répond à cette question.
En écho à ce documentaire, quelques exemples de détournements sonores ou visuels que, depuis 2005, je mets en pratique au quotidien dans l’écriture de mes textes :
Prendre deux morceaux, l’un sans paroles, et le second a capella, et les ménager jusqu’à obtenir un nouveau morceau :
SYLVAIN CHAUVEAU vs. KAOLIN
FABIO VISCOGLIOSI vs. GARBAGE
Mixer plusieurs fragments de sons, de musiques avec des textes copiés-collés dans la presse et sur le Net, textes lus et enregistrés en les confrontant à une voix de synthèse :
J’ai vécu trop longtemps. Je suis confus, dit le vieillard. Nous vivons et voilà tout. De moins en moins. Tout en plus et pire. Ça va vite, cette parole qui dit tu, de l’un à l’autre. D’une silhouette à l’autre. Qui parle de solitude ? Un travail en amont qui appelle un effacement. C’est comme des copeaux. J’ai beaucoup aimé les copeaux. C’est le lieu du combat qui déchire. Pour ces esprits fatigués de tout, reste alors l’instinct du jeu, l’ultime forme possible de notre existence. Parle parle parle que je contemple ta voix. Rien entre les dents, rien sous la paupière, vers l’intérieur, rien rétine ouverte, rouge arraché. Nous ne sommes pas loin s’en faut. Ne leur donne pas davantage prise, cela se comprend.
Bien après les jours et les saisons est un extrait d’un mixage composé en 2004, à partir de témoignages de survivants du Titanic, sur une musique de Gavin Bryars, The Thinking of the Titanic et un texte lu par Denis Lavant, élaboré à partir de fragments de phrases extraites des Illuminations d’Arthur Rimbaud.
Du collage où l’animé devient fixe, mais où le fixe s’anime, où le détournement prend un beau tour, où le ciné-poème n’est plus ce qu’on en connaît.
Et pour prolonger cette réflexion sur le sampling, consulter la rubrique Palimpseste du site Liminaire et lire cet ensemble de textes de Jean-Yves Leloup : L’image audiovisuelle détournée et réutilisée, des avant-gardes du XXe siècle à l’amateur d’aujourd’hui.