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Récit poétique à partir d’images créés par procuration

Créer à partir de textes des images conçues par le biais de l’artefact génératif DALL-E, écrire un texte en regard de ces images.


Anima Sola #17

Tout est prévu de longue date. Il suffit de suivre les indications à la lettre. Les instructions pour rejoindre l’aéroport, les papiers nécessaires pour passer la douane. Ne rien oublier. L’heure de l’avion. L’adresse de l’hôtel à l’arrivée. Cette ville que je ne connais pas. Lointaine, inaccessible. Tout est millimétré. Calculé. Pas la peine de réfléchir, de douter sur le chemin à suivre, se renseigner sur l’adresse de l’hôtel, la chambre a déjà été réservée, il faut juste indiquer son nom à l’accueil, et rejoindre sans attendre la chambre réservée. J’entre dans ce dialogue avec l’ombre. C’est une petite chambre confortable avec une vue impressionnante sur la ville qui grouille dans la lumière bleutée de la nuit qui tombe. Les contours des immeubles s’estompent avec la distance. Les volumes des bâtiments paraissent s’effacer dans une brume granuleuse qui rappelle le sable. Je ne sais pas pourquoi j’ai accepté de venir là, pourquoi j’ai cédé si facilement à ses arguments. C’est sans doute ce mystère qui m’excite, qui me fait perdre la tête. J’espère la surprise et un grand ravissement. Je ne réfléchis plus. Je me laisse porter par l’enjeu d’un si curieux rendez-vous où tout est méticuleusement anticipé. Je n’ai rien à faire sinon obéir et ne rien tenter. C’est ce qui me plait, me laisser porter, sans réfléchir. La peur que cela ouvre en moi, qui me cisaille de l’intérieur. Le doute qui me saisit par instant et qui participe malgré moi à la perversion de ce jeu dangereux. Il m’a dit d’entrer dans la chambre, il y aura sur le lit une robe étendue sur le couvre-lit, il faudra que je la porte à notre rendez-vous. Il m’a dit de prendre une douche et de me coucher sans tarder pour être en forme et reposée. Je me glisse sous les draps blanc du lit. Je redoute toute la nuit l’immobilité la plus absolue. Je ne réussis pas à dormir. J’allume le poste de télévision, fais défiler par à-coups les différents programmes des diverses chaînes proposées par l’hôtel, cela me donne l’impression trompeuse de maîtriser quelque chose alors que je suis modelé par celui qui me manipule à distance, auquel je ne parviens pas à résister depuis le jour de notre rencontre. Je ferme les yeux. La télévision reste allumée dans la pénombre de la chambre lorsque je finis par m’endormir d’un sommeil lourd. Quand je me réveille à l’aube, dans l’air bleu de la chambre, le désordre des draps, je me sens différente. Je m’observe dans le grand miroir de la salle de bain. Je perçois un tremblement qui ne vient pas de la chair. Je me sens transformée. C’est à peine si je reconnais les traits de mon visage. Je me trouve soudain si belle, malgré l’étonnement de ce changement radical. Pour la première fois depuis longtemps je me regarde vraiment. Je ne me vois plus avec les yeux d’un autre. Prise au piège de son regard. Je me sens libre de sortir de l’hôtel et de ne pas le rejoindre comme il l’a prévu. Je m’échappe, me défile. Le vent s’est levé depuis la veille. Mes cheveux volent en tous sens, ils me caressent le visage, me recouvrent les yeux. Je disparais derrière cette touffe de cheveux en désordre. Je m’identifie avec leurs jeux et leurs bonds. Je me replie en un seul mouvement immobile qui est vertige, pause et arrivée.

« Tout regard suppose un point aveugle dans la rétine ; tout système porte sa zone de cécité, contrepartie nécessaire de la zone qu’il élucide. »

Edgar Morin, Le vif du sujet, Éditions du Seuil


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