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Récit poétique à partir d’images créés par procuration

Créer à partir de textes des images conçues par le biais de l’artefact génératif DALL-E, écrire un texte en regard de ces images.


Anima Sola #15

Je suis les silhouettes de ces inconnues dans la rue, je m’accroche à leurs ombres fuyantes qui s’éloignent sans m’attendre, qui s’amusent à me distancer. Leurs reflets se mêlent au sol humide et luisant. À chaque fois c’est le même phénomène qui vient me troubler. Je ne sais plus où je me trouve. Si je suis devant ou derrière, quelle est ma position ? Est-ce que je suis en train de les suivre, ou me mènent-elles où elle le souhaitent, attirée par leurs parcours dans la ville, leur lente déambulation qui me fait perdre tout repère. Je n’ai jamais eu le sens de l’orientation. Je me perds si facilement lorsque je me promène. Les rues sont des dédales qui me piègent à chaque fois. Je suis facilement distraite. La phrase revient sans que j’en comprenne le sens. C’est pour quand ? J’arrive sans le dire avec la joie de l’espoir. Je continue folle de rage, sonnant et fouettant. Je me promène au-dessus du fleuve qui tonne et roule ses glaces brisées. Je marche dans la rue de cette ville lointaine un soir de fête votive. Je passe dans le temps simultané. Je sais que dans cet intervalle tout s’est effondré, là où vous voyez un pont facile à franchir. Je découvre un emplacement de la ville que je ne connais pas comme une pièce secrète dans une maison. Sur cette place il y a des gens qui dansent, cela paraît curieux car je n’entends aucune musique, seuls les bruits de leurs pas qui frappent le sol avec puissance et détermination, les bras qui cognent leurs corps en présence, l’accord sonore des gestes exécutés à la hâte avec une affolante dextérité, appel d’air et souffle des membres qui s’agitent harmonieusement et zèbrent l’air. Je pense à l’instant même où ça m’arrive là-bas. Il y a des gestes qui en contiennent d’autres à l’intérieur d’eux. La mémoire du corps. Je pense à ces poupées gigognes qui cachent une version plus petite d’elles-mêmes. Je ne perçois pas les menus changements de ces gestes et ce que ceux-ci peuvent bouleverser dans les différences de formes et d’allures. Je tourne la tête lentement. Ce n’est pas qu’un simple pivotement de la tête. Il y a dans ce geste un double secret que je ne perçois pas tout de suite, dont le décalage n’est perceptible que dans sa répétition, sa compréhension intime. Je ne regarde pas ce qui se trouve sur ma droite, j’indique par la lenteur de ce mouvement de ma tête qui se tourne et sa réplique exacte une ou deux fois de suite, l’application d’un geste méticuleux qui s’accorde avec le regard porté, l’ajustement d’une trajectoire répétée mentalement avant de l’effectuer sur place. Je déteste ce jour qui se lève, une froide solitude où prennent place la joie, les souvenirs. J’envie la chaleur de midi, ou le goût des oranges amères, ou la vibration des bambous dans le vent. J’attends un soulèvement général. Je voudrais me mêler à la foule, en grossir le flot invincible. Je suis prête à m’y perdre. La solitude est devenue trop lourde à porter. À la recherche d’un mouvement qui m’emporte. Un pas de danse, une impulsion délibérée. Dans l’attitude de ces jeunes hommes quelque chose me touche. La fragilité de leur silhouette, l’insouciance de leur âge et cette énergie pour monter ensemble sur le capot de cette voiture qui n’est pas la leur, pour regarder le soleil se lever et lui faire face. La ville à perte de vue. Je recherche de la tendresse, une brusque et nécessaire tendresse.

« La vérité n’éclate jamais comme le veut la formule, parce que l’unique vérité est celle qu’on ne connaît pas et qui ne se transmet pas, celle qui ne se traduit pas en mots ni en images, celle qui est cachée et non découverte, et pour cela peut-être on raconte tant ou on raconte tout, afin qu’il ne se soit jamais rien passé une fois raconté. »

Un cœur si blanc, Javier Marías, Gallimard


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